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Des pistes pour préparer la viticulture de demain avec le projet EMRWINE

Grêle, sécheresse, inondations… Le climat est devenu un enjeu majeur pour les agriculteurs en général, et pour les viticulteurs en particulier. Tous peuvent perdre une année d’efforts en quelques minutes. En Belgique, le projet EMRWINE propose quelques pistes pour développer des pratiques durables.

Temps de lecture : 8 min

Fin juin, des orages puissants accompagnés de grêlons de la taille d’une balle de ping-pong ont détruit en quelques minutes plus de 10.000 hectares de vignes dans le Bordelais. Implacable. Même phénomène quelques jours plus tard en Champagne, en Bourgogne et sur une partie du Languedoc. Il n’y a bien sûr pas que les pluies. La sécheresse fait elle aussi des ravages, en allumant quelques feux sur sa route. Les éléments n’épargnent décidément personne.

Si l’on sait que depuis 1850, l’activité de l’homme a multiplié par 150 les gaz à effet de serre (GES) de notre atmosphère, on comprend mieux que sans changement radical de nos comportements, la température moyenne pourrait bien augmenter de 5ºC d’ici la fin du siècle, entraînant un impact majeur sur notre quotidien.

Selon les experts du climat, une augmentation de 2ºC réduirait les surfaces de vignes dans le monde de 20 à 75 % selon les scénarios envisagés. Des pays comme l’Espagne, l’Italie, le Chili, l’Australie ou les États-Unis souffriront surtout de la réduction des réserves d’eau, plus de la moitié des vignobles sud-africains pourraient disparaître. Plus proches de nous, en France, la région du Rhône et Bordeaux seraient les plus touchées.

Adapter les pratiques

Les 20 et 21 juin derniers, Vinexposium – premier organisateur mondial de salons de vin et de spiritueux – a organisé « Act for Change », un symposium qui a réuni à la Cité du Vin à Bordeaux 35 experts internationaux de 17 nationalités autour d’une série de débats prospectifs sur l’avenir des vins et spiritueux à l’horizon 2030.

Parmi les enjeux soulevés, l’évolution des habitudes de consommation, les conséquences du changement climatique et leurs impacts sur la production et la distribution des vins et spiritueux. Chaque débat a abordé et apporté des éléments concrets. À l’issue du symposium, les professionnels présents se sont accordés pour inscrire l’avenir du secteur vitivinicole dans le collectif, l’innovation, la technologie, la valorisation des pratiques vertueuses, la transparence, le partage de connaissances et les échanges entre grandes maisons et vignerons.

Au nombre des solutions évoquées, l’émergence de nouveaux cépages au sein des appellations (nous avons beaucoup d’avance sur la France en ce domaine), le soutien à la conversion en bio et biodynamie des domaines ou l’adaptation des pratiques à la vigne. Cyril Grira, directeur Retail chez Google France a par exemple souligné la multiplication par trois des recherches avec les termes « vin bio » sur le célèbre moteur de recherche. Il note également que les requêtes des consommateurs s’orientent majoritairement vers les cépages, les appellations et les productions locales.

A Beaufays, le domaine Bellum Fagetum vient de s’enrichir de 5 hectares supplémentaires.
A Beaufays, le domaine Bellum Fagetum vient de s’enrichir de 5 hectares supplémentaires. - BF

Quel avenir ?

Face aux enjeux climatiques et à la nécessité de rester compétitifs sur un marché en constante évolution, les débats ont mis en évidence que les innovations en matière d’agroécologie représentaient l’avenir. Il faut construire de nouveaux modèles et admettre que, comme le souligna Rachel Kolbe Semhoun, responsable développement durable au sein de InVivo, lors du même symposium, « nous ne sommes plus dans un contexte « un problème, une solution ». C’est un ensemble de pratiques et toute une culture qu’il faut initier pour opérer un réel changement. Pour réaliser cela, il faut favoriser la création de réseaux d’entraide, avec une approche orientée vers de petites solutions peu coûteuses. »

Si l’on ne peut évidemment pas comparer la viticulture belge à ce qu’il se passe ailleurs dans le monde, on peut toutefois dire que c’est en quelque sorte la philosophie qui guide chez nous les animateurs du programme EMRWINE. Lancé en juin 2021 par quatre centres d’enseignement agricole liégeois et limbourgeois (Belgique et Pays-Bas), ce projet entend promouvoir une viticulture, plus durable et respectueuse de l’environnement et encourager les viticulteurs à modifier leurs pratiques.

Grâce à un budget européen « Interreg-Euregio Meuse-Rhin », ce consortium développera jusque décembre 2023 un programme de formations ainsi qu’une charte de sensibilisation aux bonnes pratiques. Celle-ci propose à chaque viticulteur diverses mesures à développer en étapes dans son vignoble pour répondre à la demande citoyenne d’une agriculture plus durable et plus responsable.

L’adhésion à cette charte, entièrement volontaire, permet en outre aux différents signataires d’accéder aux formations et journées d’échange de l’EMRWINE dans les trois régions, durant toute la durée du projet, et de contribuer ainsi à l’émergence d’un réseau eurégional entre les filières de production et de formation dans la vitiviniculture des trois provinces et de créer un secteur écologique, durable et local dans ses moyens de production et dans sa consommation.

Viticulture galopante

« Si on regarde une carte, explique Michel Delrée, formateur au Centre provincial en agriculture et coordinateur du projet, on voit que l’Euregio Meuse Rhin, couvre la province de Liège, celles du Limbourg belge et néerlandais, et une partie de l’Allemagne jusqu’à Aix-la-Chapelle. Et aussi étonnant que cela puisse paraître, aucun projet viticole n’avait jamais été rentré dans ces trois provinces où l’on dénombre pourtant plus de 200 viticulteurs. La province de Liège par exemple rattrape son retard au grand galop. En dix ans, le nombre de viticulteurs est passé de 40 à 70 environ. Impressionnant. »

L’appel à projets de l’Interreg Meuse Rhin est donc une réelle opportunité pour imaginer un programme de développement de formations, d’une part pour les viticulteurs eux-mêmes, mais aussi pour toutes celles et tous ceux qui aimeraient se former à un métier de la vigne.

« Notre projet souhaite également augmenter l’employabilité des jeunes en travaillant sur une amélioration de la formation dispensée dans les centres d’apprentissage par la mise en place de programmes communs tenant compte des connaissances nécessaires pour répondre aux enjeux de demain. »

Les différentes mesures sont traduites en trois étapes de développement (» workpackages 1, 2 et 3 »). Il ne s’agit pas d’une certification soumise à contrôle, mais bien d’un engagement volontaire de chacun. Chaque viticulteur a la possibilité d’adapter ses pratiques en fonction de la spécificité de son exploitation, de son territoire mais aussi de sa sensibilité personnelle.

Une charte des pratiques durables

Pour fédérer les viticulteurs, EMW WINE propose d’adhérer à une charte des bonnes pratiques les amenant à produire plus propre et, pourquoi pas, à se convertir in fine à l’agriculture biologique.

Depuis décembre 2019, la présidente de la Commission européenne a fait du « Pacte vert pour l’Europe », aussi appelé Green Deal, sa priorité politique absolue, dans le but de transformer l’UE « en une société juste et prospère, protégeant la santé et le bien-être des citoyens des risques et incidences liés à l’environnement et au climat ».

« S’agissant de la production biologique, elle fixe l’objectif d’une affectation d’au moins 25 % des terres agricoles de l’Union européenne à l’agriculture biologique d’ici à 2030. (…) Pour atteindre ces objectifs, outre le renforcement des mesures relevant de la Politique agricole commune (Pac) en faveur de ce mode de production, la Commission européenne a proposé en mars 2021 un plan d’action en faveur du développement de la production biologique au niveau européen traduit au niveau wallon dans le Plan de développement de la production biologique en Wallonie à l’horizon 2030, aussi appelé Plan bio 2030, dont sont extraits les éléments présentés ci-dessus. »

En Wallonie, comme ailleurs en Europe, la mobilisation de la Pac pour soutenir financièrement le développement de la production biologique est essentielle.

« Le Green Deal, reprend Michel Delrée, implique la réduction massive de l’ordre de 50 % de tous les intrants dans l’agriculture. Notre idée était donc de prendre la viticulture qui est un domaine parmi ceux qui utilisent le plus d’intrants, de montrer que c’est possible de le réaliser. C’est un grand défi. L’objectif d’EMRWINE est de faire bouger les gens tout en essayant d’inclure tout le monde, notamment via cette charte et pourquoi pas grâce aux bonnes pratiques en viticulture. Il faut que tout le monde s’y retrouve, mais aussi qu’il y ait un chemin à suivre.

En signant cette déclaration d’intention, les parties prenantes ont accès à des journées de formation et d’échange dans les trois régions pendant toute la durée du projet. Ils contribuent ainsi à la création d’un réseau eurorégional entre les secteurs de production et de formation de la viticulture dans les trois provinces et à la création d’un secteur local et durable en termes de production et de consommation. »

Quelles mesures ?

Présentées en trois étapes, les différentes mesures concernent des domaines parfois très différents, comme l’enherbement des vignobles, la préservation du paysage, le choix du porte-greffe, l’accroissement de la biodiversité, la plantation de haies, l’installation de nichoirs, l’utilisation économe de l’eau et des matières premières, ou plus simplement le choix des variétés résistantes aux maladies de la vigne, qui demandent beaucoup moins de pulvérisations, voire aucune dans certains cas.

Et c’est sans doute là que réside la différence entre les viticulteurs flamands et ceux des deux autres régions de l’EMRWINE, Wallonie et Limbourg néerlandais. Ni le bio, ni les variétés résistantes n’ont vraiment la cote chez nos voisins du nord, que ce soit au Limbourg ou dans d’autres provinces flamandes. Les cahiers de charges de certaines appellations flamandes ne permettent pas de produire des vins en AOP avec des variétés résistantes, alors que c’est le cas du côté wallon, avec, notamment, l’AOP Côtes de Sambre et Meuse. Cela n’empêche toutefois pas certains viticulteurs flamands de les planter et de les commercialiser. Aux Pays-Bas, la question des variétés interspécifiques ou « Piwi » ne fait plus débat, c’est une évidence depuis de nombreuses années. Quoi qu’il en soit, la transition écologique se fera d’une manière ou d’une autre, la voie est tracée et il sera difficile d’en sortir.

Marc Vanel

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