Parfums de vie

Quelle honte ? Vivre et travailler avec du vivant vous expose naturellement à partager les effluves naturelles. Les dames élégantes en costume d’équitation sentent le cheval en fin de séance, ce qui n’enlève rien à leur charme ; les personnes amoureuses de leur chien ou de leur chat se chargent, elles aussi, d’odeurs particulières, très différentes d’un parfum de rose ou de jasmin. Nous-mêmes exhalons des arômes on ne peut plus naturels, parfois incommodants pour d’aucuns. Masculins ou féminins, les footballeurs après un match ne fleurent guère le chèvrefeuille ou le mimosa. Pour le reste, je vous ferai grâce ici de prosaïques évocations scatologiques, peu poétiques en conviendrez-vous…
À l’occasion, je vous conseille la lecture de l’incontournable et jouissif roman de Patrick Süskind : « Le Parfum ». Autrefois, raconte-t-il au fil des pages, les gens disposaient d’un nez infiniment moins délicat qu’aujourd’hui. Les déodorants, les savons, les dentifrices, les parfums chimiques n’existaient pas, et les gens vivaient dans un pot-pourri de remugles que nous trouverions aujourd’hui insupportables, révoltants. Habitants des villes et des campagnes puaient avec une égale frénésie. Ainsi, le roi soleil Louis XIV ne prit jamais de bain !
Ceci dit, les « mauvaises » odeurs n’avaient pas que des inconvénients. Lors des épidémies de peste bubonique, les palefreniers et les cavaliers étaient moins contaminés par la maladie, car le fumet caractéristique des chevaux déplaisait aux puces des rats, lesquelles sautaient moins volontiers sur les gens imbibés de ce parfum honni par ces petites bébêtes porteuses du bacille de Yersin. Légende ou vérité ?
L’odorat fait partie de nos cinq sens. Il joue un grand rôle dans la perception de notre environnement. Nous préférons le délicieux bouquet d’un steak sur le gril, à celui d’un animal mort. Pourtant, matériellement, la différence n’est pas si grande… Une odeur de frites ou de pain frais nous fait saliver ; l’arôme d’une bonne soupe, ou d’une omelette aux lardons fumés, provoque des gargouillis dans nos estomacs.
Nous respirons en permanence mille séquences de molécules aromatiques. Notre cerveau archaïque d’animal des savanes les analyse en continu sans que nous en ayons conscience. Quelquefois, nous disons d’une personne qu’on ne « la sent pas », sans même la connaître, parce qu’elle diffuse une fragrance naturelle que notre cerveau analyse comme négative, évocatrice d’un danger potentiel. À l’inverse, certaines personnes nous sont d’emblée sympathiques, on ne sait trop pourquoi. Et c’est ainsi qu’on tombe en amour ou en détestation pour quelqu’un, sans qu’on sache en expliquer la raison profonde. « Phéromones » : les femmes et les hommes savent pourquoi !
Notre perception des odeurs peut paraître subjective. Les effluves des déjections animales font partie de notre quotidien et ne nous dérangent pas, parce que nous baignons dedans et sommes « immunisés ». Pour nous, une vache ou un ensilage ne sentent pas si mauvais. Par contre, l’odeur du fumier de cochon ou de fientes de volailles nous incommode davantage, parce qu’ils ne font pas partie de notre univers olfactif. Ainsi, un jour, ai-je failli rendre mon petit-déj’ en respirant le parfum sucré-pourri d’un fumier de je-ne-sais-quoi épandu sur un champ auprès de notre ferme. L’ammoniac piquait aux yeux ! Absolument abominable ! Était-ce des fientes, du lisier de porc, du digestat de biométhanisation ?
Là, j’ai compris pourquoi tant de personnes à la campagne se plaignent des odeurs prégnantes lors des journées d’épandage d’effluents d’élevage, comme celles que nous vivons ces jours-ci ; pourquoi certains portent plainte, comme aux Pays-Bas ces dernières semaines.
Les odeurs agricoles indisposent, c’est sûr, mais ce ne sont pourtant que des parfums de vie…