Après un premier écho publié dans notre édition du 23 décembre dernier, nous poursuivons ici le compte-rendu de cet entretien.
Les petites cultures, bientôt sans phytos ?
La recherche et le développement de nouvelles molécules, de nouvelles familles chimiques actives dans la protection des plantes sont de plus en plus coûteux et le nombre d’années avant la mise sur le marché d’une nouveauté ne cesse de croître. D’où la concentration du secteur sur un nombre de plus en plus limité de sociétés. Et une recherche focalisée sur les 4 à 5 principales cultures à l’échelle mondiale.
Autrement dit, les plus petites cultures (lin, chicorée, pois, cultures légumières) se trouveront-elles bientôt dépourvues de phytopharmacie ? Quid pour les producteurs de celles-ci ? Une vraie menace ? Si un jour un gros souci inattendu survient dans une de ces petites cultures, que se passera-t-il ?
« En Belgique, lorsqu’une molécule s’avère intéressante pour les petites cultures, les officiels font le maximum pour en sauvegarder ou étendre l’usage sur celles-ci. Mais il faut évidemment que la molécule en question soit sur le marché », observe Jean-Marc Moreau. Dans notre pays, au niveau du ministère, de l’agréation des produits phytos, les petites cultures sont très bien défendues. Des officiels, des instituts de recherches parviennent à obtenir des agréations des molécules de notre propre gamme (extension d’agréation, etc.) avec beaucoup d’efficacité.
Par contre, il est évident qu’aucune société phytopharmaceutique ne va développer une molécule uniquement pour le marché belge sur une culture mineure. Même si l’agréation tombait du ciel, on ne va jamais développer un produit sur le marché belge pour une culture mineure. Ce n’est pas réaliste.
Jan Vermaelen ajoute pour les petites cultures, la phytopharmacie dispose de moyens efficaces pour lutter contre les maladies et ravageurs « classiques » au cours des années à venir. Par contre, en cas de problème inattendu, il en va autrement. Ce fut le cas, cette année, où par exemple il y a eu un souci avec des chenilles dans les cultures de choux et contre lesquelles il n’y avait pas de solution immédiate.
On a eu le cas avec la mouche asiatique (Drosophila suzukii) dans les productions de petits fruits. Il n’y avait pas de remèdes et de nombreux fruits ont dû être jetés. Certains produits de lutte étaient agréés mais les producteurs n’étaient pas préparés à leur utilisation. Cette année, une dérogation a été accordée, faute d’alternative, pour l’usage limité et contrôlé de quelques produits insecticides en cerisiers et griottiers pour une durée de 120 jours, au motif de circonstances exceptionnelles. C’est une solution d’urgence qui a été autorisée, en espérant qu’elle ne doive pas être appliquée trop souvent. En l’occurrence, il y a ici le besoin de trouver de meilleures solutions de lutte.
De nouvelles cultures telles que le quinoa, le lupin, le chanvre industriel, le miscanthus… sont conduites à très petite échelle dans le cadre de filières très spécialisées, souvent à faible charge intrants. Un intérêt pour les sociétés phytos ?
Même si une molécule est agréée au plan mondial sur l’une de ces cultures, il ne faut pas imaginer que la firme phyto concernée introduise un dossier d’homologation spécifiquement pour quelques dizaines d’ha en Belgique. Ce n’est pas concevable, relève Guy Vroman.
En matière d’agréation, la Belgique se distingue parmi ses collègues de l’Union européenne, déplore Jean-Marc Moreau ! « Le système en cours dans notre pays est particulièrement exigeant en main-d’œuvre… pour répondre à des exigences supplémentaires de nature belgo-belge. C’est un peu une usine à papiers. Vu la quantité de travail qui nous est ainsi imposée pour le seul maintien de nos produits dans les principales cultures en Belgique, il nous est impossible d’imaginer introduire un dossier d’agréation pour une culture mineure ou de participer à un projet de recherche avec une institution régionale. Et c’est regrettable ! »
Jan Vermaelen reconnaît aussi qu’il s’agit là d’un dossier sensible. « Cela se complique encore plus lorsque des limitations d’usage viennent s’ajouter à l’échelle régionale. Au point que, dans certaines régions, pour tel ou tel produit, la possession serait légale, mais pas l’utilisation ou seulement dans une mesure extrêmement restreinte. Cela va trop loin, avec au final un impact sur le développement des produits, les sociétés phytos hésiteront à introduire une demande pour telle ou telle spécialité dans certains pays. »
Bert Callebaut fait le même constat, ajoutant que cette problématique se traduit bien actuellement avec glyphosate. « En région bruxelloise, il est permis de posséder cette substance active, mais il n’est plus autorisé de l’appliquer. »
Au sujet de ces différences régionales, Jean-Marc Moreau constate que les seuils définis dans les eaux souterraines pour les métabolites ne sont pas identiques en Flandre et en Wallonie. « Ils sont rendus plus sévères en Wallonie, de sorte qu’il y aura, pour des concentrations équivalentes, des usages permis en Flandre et interdits en Wallonie. »
La Belgique est clairement l’État le plus exigeant en matière d’agréation : lorsque le dossier est accepté au plan européen, commence alors pour les sociétés phytos un travail encore considérable en Belgique. Toujours cette tendance belge à vouloir laver plus blanc que blanc, à la différence qu’il y a des divergences très nettes entre le nord et le sud du pays.
Jan Vermaelen demande que les autorités fassent la clarté sur ce dossier, tandis que Bert Callebaut rappelle que le bouclage des dossiers d’agréation au niveau européen n’est pas une sinécure. Et de confirmer que « les raisons des suppléments d’informations ou exigences supplémentaires demandés par les régions ne sont pas toujours très claires ».
Tom Musschoot identifie à ce propos un déficit de transparence. « Nous savons à quel point les dossiers d’agréation sont exigeants et les analyses et études exigées très strictes et complexes. Mais la société et même des politiques n’en ont généralement aucune idée. Et c’est un gros désavantage et un lourd handicap dans la discussion. Pour des questions de concurrence entre firmes, nous ne pouvons forcément pas rendre publics les résultats de nos études. »
Et d’ajouter : « Chez Syngenta, nous avons pris l’initiative de créer une « chambre de lecture » aux Pays-Bas à travers laquelle des tiers ont accès à nos données, dans le but de lever la méfiance à notre égard. »
Communication : le secteur fait son mea culpa !
L’alimentation et les modes de production de l’agriculture font aujourd’hui largement débat. Les pesticides sont fortement décriés dans les médias, les consommateurs s’en méfient, les accusent de mille maux et les politiques leur emboîtent le pas.
Pourquoi tant de haine ? L’agro-industrie est-elle trop arrogante et incapable de communiquer ? Le secteur a-t-il encore la possibilité de corriger le tir ? Est-il toujours dans la défensive et systématiquement en retard dans sa communication ? Et par ailleurs, la voix des scientifiques est-elle encore audible ?
Toon Musschoot note d’emblée que le secteur doit d’urgence améliorer sa communication. « Celle-ci est effectivement défaillante », dit-il pointant notamment l’absence de l’asbl Phytofar sur Twitter. « Aujourd’hui, c’est sur ce canal de communication que se font les débats et que circulent des idées et les réactions. Nous devons remédier à cela et agir de manière proactive, sans oublier que les meilleurs porte-paroles sont les agriculteurs eux-mêmes. Et ils sont de plus ouverts à la société. »
« Les scientifiques également doivent participer à cet effort de communication avec la contribution d’une information solide fournie par les sociétés phyto. Notre secteur doit aussi se montrer beaucoup plus accessible envers les medias et beaucoup plus prompt sur la balle. »
Et Toon Musschoot d’illustrer ses propos en évoquant le dossier des OGM. « Ces derniers étaient totalement décriés et voici qu’à travers les médias l’opinion envers lesdits organismes se montre moins virulente, plus nuancée. Grâce au décryptage des journalistes scientifiques, on observe que de plus en plus de pays envisagent désormais favorablement les nouvelles techniques d’amélioration végétale. »
Selon Jan Vermaelen, il est aussi important de s’adresser directement au grand public, car désormais les infos leur arrivent de partout et cherchent surtout à faire le buzz sur des événements particuliers et, comme par hasard, à caractère anxiogène.
« Le fossé existant entre les consommateurs et le monde agricole ne fait que renforcer la défiance des premiers et leur propension à croire les slogans les plus alarmistes », ajoute Bert Callebaut.
Jean-Marc Moreau relève aussi une réelle désinformation de la part de certains médias. « Il est facile de dire que l’on peut cultiver autrement et illustrer cela avec une séquence sur un maraîcher bio travaillant avec un cheval de trait ou de déclarer que tous nos sols sont épuisés et de zoomer sur une poignée de terre avec quelques vers de terre prélevée dans une petite parcelle… Cela, sans contradicteur, et en sous-entendant que la majorité des agriculteurs ne pensent qu’à leur portefeuille et n’ont aucune considération pour le sol et l’environnement. »
Et de constater que, hors secteur, de plus en plus rares sont les personnes qui connaissent la réalité de l’agriculture et de son évolution. « Quelle est la proportion de gens qui parmi le grand public savent à quelle époque on sème le froment ? Et que dire au sujet de nos chères abeilles ! Lorsque surgit une guêpe virevoltant pendant un repas pris au jardin, en été, il y aura toujours quelqu’un pour alerter les autres convives et les convier d’urgence à « protéger cette abeille ». On en est là aujourd’hui ! La méconnaissance de notions élémentaires est abyssale chez beaucoup de nos concitoyens. »
Selon Guy Vroman, certains industriels de l’agro-alimentaire et autres chaînes de la grande distribution n’hésitent pas à surfer sur cette méconnaissance du consommateur et en tirent des arguments commerciaux pour dénigrer le traditionnel au profit du bio « meilleur pour la santé plus savoureux… » Moins les gens sont informés, plus cette communication trompeuse sera profitable à ceux qui la véhiculent.
« Autour de la durabilité, aussi, il y aurait beaucoup à dire », lance encore Jean-Marc Moreau. « La durabilité ne se limite pas à la préservation des abeilles et des petits oiseaux. L’agriculture durable devrait aussi permettre aux agriculteurs de faire leur carrière sans arriver au bord de l’épuisement à 55 ans, d’aller le samedi soir écouter un concert ou sortir avec des amis, de conduire les enfants à l’école… La durabilité, c’est aussi faire en sorte que l’agriculteur puisse mettre en place un plan d’entreprise avec des emprunts remboursables. Mais qui pourra honorer son dû en produisant 10 t de froment par ha une année et seulement 6 t/ha la suivante à cause de dommages causés par un pathogène ou un ravageur ? »
Enfin, Jan Vermaelen lance l’idée d’un cours de base sur l’agriculture en lien avec l’alimentation, dans les écoles. Et ce, sous la forme d’informations digitales bien concrètes et directement accessibles.
M. de N. et TD.