Le courage de croire

que l’agriculture a de l’avenir

Les crises se suivent dans le monde agricole. Sanitaires ou économiques, elles ne laissent aucun répit aux agriculteurs, et rendent encore plus ardu un travail déjà éprouvant. En conséquence, au fil des années, le nombre d’exploitations se réduit, et les jeunes se détournent de l’exploitation familiale, parfois à regret, pour un avenir plus sûr. Ou bien ce sont les parents qui dissuadent leurs enfants de continuer l’activité chère à leur cœur, espérant ainsi assurer un futur plus radieux à leur progéniture.

De moins en moins nombreux

Entre 1990 et 2015, le nombre d’exploitations agricoles est passé de 29.000 à moins de 13.000 en Wallonie. Durant la même période, la main-d’œuvre agricole a diminué de moitié. La surface agricole utile moyenne par exploitation, elle, a plus que doublé. Des chiffres symptomatiques d’un secteur où il est nécessaire de produire de plus en plus pour gagner sa vie.

Et les jeunes ne s’y trompent pas : 9 % des exploitants agricoles wallons ont moins de 40 ans, tandis qu’ils sont 31 % à avoir plus de 60 ans. Plus grave encore, seuls 21 % des exploitants de 50 ans et plus ont actuellement un successeur. De quoi s’inquiéter quant à l’avenir de notre agriculture.

Heureusement, des jeunes osent encore se lancer dans l’aventure agricole, malgré les craintes existantes, et avec l’espoir que la situation s’améliore. Parmi eux se trouve notamment Christophe Gillis, 31 ans. Christophe a repris en 2016 une partie de l’exploitation familiale située à Nethen, dans la commune de Grez-Doiceau.

Une histoire de famille

« C’était la suite logique. » explique Christophe. « Mes grands-parents ont commencé ici en 1965, puis mon père a repris une partie avant de posséder la totalité de l’exploitation avec ma mère, et maintenant c’est moi qui travaille avec mes parents. » L’exploitation comprend un élevage de Blanc-Bleu Belge et des cultures. « Nous engraissons nous-mêmes les vaches et nous envoyons les taureaux chez un engraisseur. Nous cultivons des céréales, des betteraves, de la chicorée, du lin et des pommes de terre, ainsi que du maïs et des prairies permanentes pour notre bétail… »

Avant de devenir agriculteur à temps plein, Christophe a assuré ses arrières. « J’ai eu la chance de faire mes études de bioingénieur en sciences agronomiques à Gembloux Agro-Bio Tech, dans l’optique au début de travailler à l’extérieur et de venir aider mes parents durant les week-ends et les jours de congé. J’ai ainsi commencé à travailler en tant qu’agronome saisonnier à la Raffinerie Tirlemontoise, puis j’ai travaillé à la SCAM, et je suis finalement revenu à la Raffinerie. L’occasion s’est alors présentée de m’intégrer à l’exploitation car il y avait beaucoup de travail. D’abord avec le statut d’aidant pour continuer à travailler à la sucrerie, et après 2 ans, je me suis rendu compte que mon emploi du temps était trop chargé. J’ai donc entamé les démarches dans le cadre de la reprise de l’exploitation, puis j’ai réalisé mon stage et les autres formalités pour avoir accès aux aides. »

Bien que Christophe ait fait des études universitaires, il a toujours eu dans l’optique de travailler à la ferme. « Depuis tout petit, j’ai été intéressé par ce que faisaient mes parents, aussi bien au niveau de l’élevage que des cultures. L’exploitation wallonne telle que je l’imagine, c’est la combinaison de ces deux aspects. Et si mes études m’ont apporté certaines bases théoriques sur mon travail à la ferme, ce que je sais m’a surtout été appris par mes parents, et au contact d’autres agriculteurs. »

Des craintes…

S’il a eu le courage de se lancer dans l’agriculture, l’incertitude de l’avenir l’inquiète un peu. « Malheureusement, la filière bovine est très mauvaise depuis quelques années. Ici, c’est parce qu’on a déjà les bâtiments, les prairies et le bétail qu’on peut continuer. Les idées que nous avons pour développer la partie bétail sont aujourd’hui en stand-by, faute de perspectives favorables. Nous préférons garder une exploitation à taille humaine au niveau de la charge de travail sans être dépassé : il vaut mieux faire un peu moins et bien le faire plutôt que d’en faire trop. Chez beaucoup d’exploitants, le conjoint doit travailler à l’extérieur afin d’assurer un revenu fixe au ménage. D’autres jeunes agriculteurs doivent travailler à mi-temps à l’extérieur, ou trouver des diversifications viables comme le maraîchage. J’ai l’impression qu’on va aller de plus en plus vers une agriculture à 2 vitesses. Avec d’un côté de très grosses exploitations spécialisées en culture industrielle comme les pommes de terre et les betteraves, ainsi que des céréales qui n’assurent pas la rentabilité mais sont nécessaires à la rotation. Et de l’autre côté des petites structures spécialisées dans le maraîchage et la culture de proximité, en conventionnel ou en biologique. Ce qui m’inquiète, c’est qu’avec la politique anti-viande qui a le vent en poupe actuellement, tout l’aspect élevage risque de disparaître à moyen ou long terme alors que ça permet de valoriser les prairies et les co-produits de l’industrie ainsi que de produire de l’engrais de ferme. »

mais surtout de l’espoir !

Outre ces craintes, c’est bien sûr l’espoir qui domine dans l’esprit du jeune homme. « On a forcément des rêves et des envies, partagés entre l’utopie et la réalité des choses. Mais les parents et les grands-parents ont toujours bien travaillé alors en continuant dans cette voie, en restant dans des investissements qui tiennent la route, en travaillant correctement au jour le jour et en faisant les bons choix, il n’y a pas de raison que ça tourne mal. » Sans vouloir révolutionner ce qui se fait chez lui, Christophe a des envies de diversification et d’amélioration. « Il faut surtout trouver les filières qui ont des débouchés. On parle beaucoup pour le moment du chanvre, du miscanthus et du quinoa par exemple, mais il faut que toute la chaîne de production s’y retrouve, depuis le producteur jusqu’à la transformation. Il faut voir où vont les choses et prendre le train en marche quand il y a des nouveautés intéressantes. »

Et s’il pouvait donner des conseils à d’autres jeunes qui hésitent à se lancer dans l’agriculture, ce serait tout d’abord d’avoir un bon bagage au niveau des études. « On ne sait jamais de quoi l’avenir est fait, et un accident peut malheureusement vite arriver et empêcher de continuer à travailler à la ferme. » Christophe invite également à découvrir d’autres réalités en allant visiter d’autres fermes, à lire la presse agricole, et surtout à bien analyser la situation. « Faire une étude de la ferme, évaluer les points positifs et les points négatifs, ce qu’on peut améliorer. Après, et c’est primordial, il faut être passionné. Il ne faut pas compter ses heures, et ne pas baisser les bras au moindre petit souci mais bien persévérer. Il arrivera aussi sans doute un moment où tout seul, ce ne sera plus viable. Il faudra s’associer avec d’autres agriculteurs au niveau du matériel et du stockage, même si ce n’est pas vraiment dans la mentalité en Belgique actuellement. »

De la passion, de l’espoir et du courage, voilà probablement de quoi sont actuellement faits les jeunes qui se lancent dans la reprise de l’exploitation familiale. Non, l’agriculture n’est pas morte. Elle évolue, et ses acteurs doivent s’adapter aux changements. Oui, nos agriculteurs wallons nous nourriront encore longtemps. C’est en tout cas ce que croit Christophe Gillis, et on ne peut que souhaiter que l’avenir lui donnera raison.

J.D.

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