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L’animal est le meilleur conseiller en gestion de pâturage !

Pour bien gérer ses prairies, il faut être attentif au principal intéressé : le ruminant. Sa façon de manger, de laisser des refus ou non, son comportement lors de l’arrivée dans une nouvelle parcelle, etc. sont autant d’indicateurs de la bonne tenue, ou non, de vos terrains. Shane Bailey de PâtureSens explique cela en détail, et précise les réactions à adopter en fonction des situations.

Temps de lecture : 13 min

Il est important de suivre le cycle de l’herbe, et de considérer celle-ci comme une culture à part entière. Mais concrètement, quelles actions faut-il entreprendre et comment savoir qu’on se dirige dans la bonne direction ?

Concernant la fauche, certains désirent faucher une grande quantité d’herbe d’un seul coup, mais cela ne fait qu’en réduire la valeur alimentaire. La plante perd en effet 30 % de sa valeur alimentaire lors de sa floraison, chiffre qui va atteindre 50 % à la fin de la floraison. Le foin est d’ailleurs très cher à produire si on considère la valeur alimentaire totale par tonne. Mieux vaut donc pâturer ou faucher plusieurs fois des petites quantités, lors de l’optimum de croissance, qu’une seule fois une grande quantité.

L’herbe est le mieux valorisable lorsqu’elle se trouve à 6 ou 7 cm de hauteur. D’aucuns utilisent le stade 3 feuilles comme indicateur : « C’est compliqué, c’est faux, ça ne fonctionne pas ! » affirme d’emblée Shane Bailey. « Une graminée ne fera jamais plus de 3 feuilles vertes en même temps, quelle que soit sa hauteur. Dès qu’une quatrième feuille arrive, la première entre en sénescence et meurt. »

Maximiser le tallage

Les graminées se développent soit par production d’une graine (2 ou 3 % dans une prairie), soit, principalement, par tallage. Ce que tout éleveur recherche, c’est un maximum de talles afin de densifier la plante. En effet, plus il y a de talles, plus la production de la prairie est élevée, on va donc chercher à forcer le tallage. Il s’agit d’un système de survie de la plante, donc en mangeant l’épi, le tallage va être favorisé. Celui-ci a lieu lors de 2 périodes : vers septembre-octobre, où il se réalise assez bien tout seul, et vers mars-avril, où il est important de le forcer. Cela signifie que si vous sortez vos animaux en mai, il est déjà trop tard. Il est également à noter que, comme la brebis mange plus ras que la vache, elle forcera plus le tallage et constitue donc un outil de densification de la prairie. Il est donc tout à fait possible d’élever une brebis par hectare sans diminuer la production des bovins.

Le premier facteur de développement des talles est la lumière. Une herbe trop haute provoque trop d’ombre pour un développement optimal. Il est donc nécessaire de faucher si on ne voit plus la base de la prairie. S’il n’est pas possible de sortir les bovins tôt, par exemple car le terrain est trop humide, on peut éventuellement faire pâturer tard en automne pour induire une croissance printanière. On peut également remplacer les bovins par des ovins pour le premier pâturage. Lorsque les vêlages se produisent en février, l’augmentation des besoins alimentaires du troupeau concorde avec l’augmentation de la production de l’herbe.

Au printemps, entre 3 et 6 jours sont nécessaires à la production d’une feuille. La première feuille produite par la graminée sert déjà à produire de l’énergie via la photosynthèse. À partir de 2,5 feuilles, la réserve d’énergie est optimale, c’est le moment idéal pour pâturer. En effet, dès que la troisième feuille est sortie, il y a arrêt de la production d’énergie, croissance de la quatrième et sénescence de la première feuille. Cette matière morte que représentent les feuilles sénescentes dans la prairie est l’élément le plus néfaste pour la production : limiter la sénescence permet donc d’optimiser la valeur alimentaire de la prairie.

Des heures de repas sacrées

Une vache mange 3 repas par jour pour environ 4h30 de pâturage en 24h. Ces trois repas ont lieu entre 5h et 9h (40 % de la consommation), entre 18h et 22h (40 % de la consommation), et durant la nuit (20 % de la consommation). Lorsque la température augmente, les vaches vont se nourrir plus tôt, la traite doit donc avoir lieu plus tôt ou plus tard afin de laisser les animaux se nourrir, car les vaches ne font pas d’heures supplémentaires.

Il est important de conserver une régularité d’heures de repas et de traite, sinon la production peut beaucoup fluctuer. Le changement de pâtures doit être régulier également. Lorsqu’il fait plus chaud, ce n’est cependant pas un problème de transférer les vaches le soir plutôt que le matin pour garder un bon rythme de repas.

Concernant la conduite du pâturage, la hauteur d’entrée dépend du troupeau. Si elle n’est pas adaptée, les animaux n’ingéreront pas les 18kg MS moyens. Une bonne qualité de pâture se traduit par une faible quantité de matière morte, un petit nombre de tiges, beaucoup de feuilles vertes, au moins 30 % de légumineuses et une composition végétale variée, sans pour autant qu’il y ait trop de plantes différentes. Le meilleur mélange est toujours le plus simple, avec des espèces endémiques, comme le ray-grass chez nous. Il n’est pas possible de gérer du ray-grass dont le cycle dure 20 jours avec de la luzerne dont le cycle en dure 30 dans la même prairie.

« Rien n’est plus efficace pour reprendre une prairie que l’ammonitrate : c’est toujours mieux d’augmenter la fertilité que de ressemer. » explique Shane Bailey. Le principal facteur d’auto-fertilité repose sur le positionnement de l’abreuvement, puisque la majorité des bouses va se retrouver autour des abreuvoirs.

L’indicateur essentiel : les résiduels

Une bonne conduite de pâturage vise à laisser 3cm d’herbe derrière les vaches. Une doctrine britannique dit qu’« il vaut mieux surcharger une prairie que de ne pas avoir assez d’animaux ». Un seul indicateur est absolument à retenir pour savoir comment gérer ses pâturages : les résiduels ! La vache sait quand elle a mangé l’optimum. La quantité de surface foliaire restant après le passage des animaux est bien l’indicateur le plus important. La hauteur de l’herbe sous le fil ou la clôture est aussi à observer, puisqu’il s’agit de la hauteur optimale pour tout le paddock. Peu importe le type de clôture, le bord de la parcelle sera toujours le plus propre, et ce sont les vaches dominantes qui se nourrissent du tour de la parcelle. En changeant de parcelle toutes les 24h, il est intéressant d’aller voir celle-ci après 1h30. S’il reste de l’herbe à manger sur le tour, c’est que la parcelle est trop grande.

La couleur de la prairie est également un bon indicateur de gestion : si elle est blanche ou jaune, c’est mauvais signe. Les résiduels doivent être homogènes sur toute la prairie. Il est normal qu’il reste de l’herbe autour des bouses, mais les vaches devraient avoir mangé au moins le haut de celle-ci. Il faut donc toujours regarder derrière plutôt que devant, et réagir immédiatement en cas d’excès (résiduels trop hauts) ou de manque d’herbe (résiduels trop bas).

Pas plus de 3 jours

On laisse maximum 3 jours les vaches sur un paddock. S’il y a des restes, on peut alors faire passer un lot en entretien pour le nettoyage. Dès que ça arrive, qu’on s’est fait dépasser par l’herbe, il faut immédiatement recommencer sa tournante de parcelles par la première, en laissant tomber les éventuelles parcelles restantes, qui seront fauchées. Il est tout de même utile d’en garder 3 ou 4 sans les faucher pour pouvoir réagir en cas de changement brusque de température.

Si on n’a pas de lot pour le nettoyage, on peut laisser la parcelle repousser et faire du topping : on fauche la parcelle avant de directement remettre les vaches dedans. De cette façon, la production reste constante malgré une qualité moindre. La difficulté quand on élève des vaches allaitantes, c’est qu’on n’a pas de données de production. Il ne faut donc pas hésiter à peser de temps en temps ses animaux pour se rendre compte.

Le surpâturage est totalement à proscrire. On se permet de mal valoriser l’herbe car on n’y fixe pas de prix. Il existe 3 formes de surpâturage :

– les vaches consomment trop de surface foliaire (plus de 50 %) ;

– la rotation est trop rapide, et donc inadaptée à la croissance de l’herbe (si on manque de surface, on peut utiliser la complémentation pour faire tampon) ;

– les vaches restent plus de 72h sur la même parcelle (elles remangent alors toujours les mêmes plantes qui ont repoussé).

Préserver le système racinaire

Si 50 % de la surface foliaire est pâturée, 2 à 4 % de la masse racinaire arrête son développement. Ce chiffre monte à 50 % et à 80 % lorsque respectivement 60 % et 70 % de la surface foliaire est pâturée. Un temps de pâturage court (entre un et trois jours) associé à un temps de récupération long est bien plus sain pour les plantes. Si la plante est trop sollicitée, le système racinaire restera dans les premiers centimètres du sol plutôt que de descendre chercher l’eau et les nutriments en profondeur.

Les adventices sont une conséquence de la gestion. Il ne faut surtout pas remettre les bêtes une deuxième fois pour éliminer les refus car elles mangeront encore moins bien : elles vont surpâturer les bonnes variétés et permettre aux mauvaises de survivre. Le chardon est le seul qui nécessite réellement qu’on s’en occupe. Même le rumex, si les animaux sortent assez tôt quand il est encore jeune, sera mangé et il y en aura de moins en moins chaque année.

En pâturant régulièrement, on met la pression sur les plantes à cycle long, et celles à cycle court comme le ray-grass, la fétuque ou le trèfle s’en sortent mieux. Les conséquences du surpâturage ne sont réellement visibles que sur le système racinaire. Visuellement, on va avoir envie de pâturer à nouveau, mais cela ne sera en fait qu’un deuxième surpâturage car le système racinaire ne se sera pas encore nécessairement remis de la première agression.

Mieux vaut des petites parcelles

Le comportement animal est également à observer pour savoir si on gère bien. Une bonne gestion implique des animaux qui ne meuglent pas à tue-tête et qui ne se précipitent pas sur certaines variétés de plantes lors de l’entrée dans une nouvelle parcelle. De même, si le troupeau n’est pas calme après une minute dans la nouvelle parcelle, il y a un problème. Un changement de parcelle régulier n’entraîne pas de stress pour le troupeau. Lorsqu’une vache entend le bruit du moteur qui indique le changement de parcelle, elle doit prendre le temps de se lever, de faire ses besoins, et puis seulement d’arriver à la barrière. De même, si 50 % de du troupeau est déjà couché après seulement une heure dans la nouvelle parcelle, c’est que l’auge est trop remplie et qu’ils ont déjà mangé avant.

Plus la parcelle est grande, plus elle sera difficile à gérer. Au contraire, plus il y a de parcelles, plus l’herbe sera facile à gérer. Le problème des grandes parcelles, c’est que les vaches restent près de l’abreuvoir. Elles vont donc devoir faire des allers-retours de plus en plus grands et de plus en plus nombreux pour ingérer la même quantité. Mais les vaches sont fainéantes, et ne vont plus boire assez pour ingérer la bonne quantité d’herbe, donc il y aura une perte de production. En plus, les nombreux allers-retours vont engendrer du piétinement qui va souiller la flore, et laisser des trous dans la prairie qui vont être repris par les adventices. On se rend vite compte qu’un deuxième abreuvoir n’est pas si cher, ou en tout cas qu’il est utile de faire le calcul.

Les conditions n’étant pas identiques partout, la vitesse de croissance de l’herbe varie entre les différentes parcelles. Au deuxième tour de paddock, l’ordre des parcelles peut donc changer. Il est donc nécessaire de créer un chemin qui permet d’atteindre toutes les parcelles sans devoir passer par celles qui sont censées rester vides. Le temps d’occupation des parcelles a également un impact sur la productivité. Les vaches commencent toujours par manger le meilleur sans bouger beaucoup, donc le premier jour, l’efficacité est optimale, mais on constate une perte grandissante de rendement avec le deuxième et le troisième jour. Pour avoir un tank optimal et régulier, le meilleur système consiste à les laisser 24 heures par parcelle, et d’utiliser des taries pour terminer les parcelles en 72 heures.

Semis à la volée

Dans une prairie, la graminée domine tandis que le trèfle va former la composante secondaire. C’est néanmoins ce dernier qui va servir de moteur à la prairie. La graminée a une croissance verticale, tandis que le trèfle a une croissance horizontale. Cela signifie que si l’herbe est trop haute, le trèfle disparaît. De plus, le trèfle ayant un système racinaire moins développé, il n’est pas concurrentiel pour puiser l’eau.

À cause de ce développement, on ne peut pas semer une prairie en ligne. Le trèfle qui se développerait ne serait pas protégé par les graminées et serait donc mangé, ce qui entraînerait que la prairie reste en ligne. C’est la même chose avec le développement des talles, donc il est nécessaire de semer à la volée, sinon 30 % de la surface de la prairie n’est pas utilisée. Ce qui fonctionne le mieux, c’est de semer à la volée lorsqu’il vient de pleuvoir, puis de rouler dessus. On utilisera en moyenne 12kg/ha contre 35kg/ha en semis classique.

L’avantage des légumineuses est qu’elles fixent l’azote atmosphérique grâce aux rhizobiums en échange de sucre. Il n’y a pas d’échange d’azote entre la légumineuse et l’environnement, donc pour le rendre disponible pour les graminées, il faut le restituer via l’animal qui va le pâturer puis l’excréter.

Concevoir le chemin en premier

Lors de la création des parcelles, il faut toujours commencer par le chemin, spécialement pour les laitières qui doivent retourner à la salle de traite. Pour réaliser un paddock, il faut un itinéraire technique stable de lots homogènes avec des besoins alimentaires constants entre les lots. L’extérieur du paddock est clôturé en dur et l’inter-parcellaire en nylon afin de pouvoir modifier facilement les parcelles ou les faucher si nécessaire.

En plus du chemin, un élément auquel on ne réfléchit souvent pas assez est le réseau électrique. Il faut bien songer à avoir un tour extérieur qui distribue à chaque fois aux subdivisions pour pouvoir couper ce que l’on souhaite, ne relier que le côté de la poignée pour les barrières, choisir des barrières très visibles pour que les jeunes détectent tout de suite où se trouvent l’entrée et la sortie… Les animaux n’aiment pas tourner à 90º, donc c’est mieux de placer les barrières en biais pour éviter cela.

La forme des parcelles est extrêmement importante pour un paddock. La forme la plus efficace est le carré, mais le rectangle est envisageable, à condition que la largeur ne dépasse pas le quart de la longueur. Il faut absolument éviter les parcelles triangulaires car les vaches se sentent oppressées dans les coins et vont surpâturer au centre.

L’abreuvoir est idéalement placé au centre d’un des côtés de la parcelle, avec une distance maximale de 200m avec tous les points de la parcelle. La pire disposition est d’entourer un abreuvoir par plusieurs parcelles triangulaires.

Technograzing

Le technograzing est une autre forme de paddock qui suit le principe de couloir avec fil avant – fil arrière. Cela consiste à établir des couloirs de largeur définie qui seront subdivisés dans l’autre sens afin d’obtenir des parcelles de fractions d’hectare connues. Cela permet de faire facilement varier la taille des parcelles en fonction de la dimension du lot et de ses besoins. Il n’y a donc que 2 lignes à bouger pour déplacer les animaux : le fil avant et le fil arrière. Ce système n’est néanmoins pas adapté aux vaches laitières car il n’y a pas d’accès à la salle de traite.

Le paddock classique présente bien des avantages, mais pousse à s’enfermer dans un système où on ne peut plus faire de modifications car la taille des parcelles reste inchangée. Le système fil avant – fil arrière est par contre totalement variable et permet de suivre le cycle de l’herbe en donnant plus de surface lorsque la pousse est moins rapide et inversement. Cela permet également d’avoir toujours des parcelles carrées ou rectangulaires, cela nécessite moins d’électricité et engendre moins de perte, et il n’y a qu’un fil à enlever pour aller faucher.

J.D.

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