Accueil Conso

Bruxelles, à la recherche d’une certaine autonomie

Bruxelles, à la fois une ville et une région qui s’inscrit dans un contexte institutionnel fédéral belge qui ne simplifie pas ses relations avec les régions voisines, tente depuis plusieurs années le pari d’une certaine autonomie alimentaire.

Temps de lecture : 8 min

Les objectifs initiaux, beaucoup trop ambitieux, ont été revus à la baisse dans une stratégie Good Food 2 adoptée à l’automne 2022. Mais la région Bruxelles-capitale continue toutefois de mener une politique d’installation d’agriculteurs sur son territoire tout en essayant de structurer des filières d’approvisionnement dans sa périphérie. C’est ce qui ressort de l’analyse réalisée par Antonin Garnier, rédacteur en chef du bureau d’Agrapresse à Bruxelles.

À la fois capitale de la Belgique et de l’UE, mais aussi région indépendante belge avec son propre gouvernement, Bruxelles tente depuis 2016 de rapprocher ses habitants de leur alimentation en développant une offre alimentaire locale et plus durable.

Stratégie Good Food 2

Un objectif initial, et très ambitieux d’atteindre 35 % d’autonomie en fruits et légumes pour la capitale et sa périphérie à l’horizon 2035 avait été fixé par une première stratégie Good food lancée en 2016. Cet objectif a été « abandonné pour son manque de réalisme », admet-on au cabinet du nouveau ministre de l’Environnement bruxellois. Une nouvelle version de cette stratégie, intitulée Good Food 2, a été adoptée en octobre 2022.

Pour son volet agricole les deux principaux objectifs sont les suivants : développer une production dans la région Bruxelles capitale et structurer l’approvisionnement dans une ceinture alimentaire autour de la ville. Le premier volet, compte tenu de la géographie urbaine, laisse assez peu de marges de manœuvre, et le second, dans un contexte d’organisation fédérale de la Belgique est lui aussi compliqué à mettre en œuvre.

Quelques fermes à Bruxelles

La région Bruxelles capitale (à ne pas confondre avec la ville de Bruxelles qui n’est qu’une des communes de la région) est une agglomération de 1,1 million d’habitants, soit 11 % de la population belge, réunis dans 19 communes.

Les terres agricoles bruxelloises à proprement parler représentent environ 250 hectares au total. Les plus importantes sont localisées dans les deux communes d’Anderlecht et Neerpede dans l’ouest de la région, et bénéficient du plan stratégique flamand pour ce qui est de la Pac. La grande majorité de ces terres est utilisée pour une production qui n’est pas destinée à la consommation locale (environ 145 ha de prairies permanentes et 80 ha de cultures fourragères et céréales). Aucune n’est certifiée en agriculture biologique.

En plus de ces surfaces, sont recensés environ 20 ha de surfaces agricoles non enregistrées aux aides de la Pac dont : 2 ha de maraîchage en pleine terre (y compris des plantes aromatiques et médicinales), 1 ha de production de petits fruits, 3 ha d’élevage ovin dans des prés vergers et 0,6 ha de production hors sol. 9,62 ha de ces terres sont certifiées en bio et 6,27 ha sont en conversion. Au total, environ 6 % de la surface agricole bruxelloise qui est certifiée en bio.

Une étude commandée par la Région auprès de l’Asbl Terre en vue menée entre 2016 et 2018 faisait état d’un potentiel théorique total de 480 hectares de terres utilisables sur le territoire de la région entre les terrains non construits constitués de parcelles contiguës de minimum un hectare et demi. Un scénario plus réaliste évalue à 161 hectares les surfaces mobilisables.

Accusation d’accaparement

Conscient du défi, peu après son arrivée à la tête du ministère bruxellois de l’Environnement en 2020, le Vert Alain Maron a annoncé que la région bruxelloise allait acheter dans les mois et les années à venir des terres agricoles dans les provinces voisines du Brabant wallon et du Branant flamand, afin de favoriser une agriculture locale qui pourrait nourrir une partie de la population bruxelloise. L’annonce a entraîné une levée de boucliers des organisations agricoles notamment, accusant Bruxelles de vouloir accaparer des terres.

La Fédération wallonne de l’agriculture (FWA) a dénoncé un projet en opposition avec le modèle d’agriculture familiale. « Il est extrêmement heurtant pour les agriculteurs d’apprendre qu’il serait nécessaire qu’un opérateur extérieur (public ou privé) intervienne pour que l’activité agricole soit menée dans le respect de l’environnement et de la biodiversité », a réagi le syndicat qui a proposé de se faire l’intermédiaire entre l’autorité régionale et les agriculteurs si celle-ci souhaite s’approvisionner directement auprès d’agriculteurs wallons.

Même son de cloche du côté du syndicat agricole Fugea. Pour Yves Vandevoorde, son coordinateur politique, ces achats de terre risquent de mettre une pression supplémentaire sur le foncier agricole déjà sous tension. « Pour nous mieux vaut s’allier avec des agriculteurs qui travaillent déjà ces terres en développant une ceinture alimentaire autour de Bruxelles comme cela est en train de se mettre en œuvre dans d’autres villes comme Liège ou Montpellier », propose-t-il. Mais, il admet « qu’à Bruxelles il est d’autant plus difficile de se mettre d’accord sur ce type de projet qu’il y a trois régions qui cohabitent. C’est la complexité belge ! ».

Installer 50 ha de surfaces agricoles dans Bruxelles

Le ministre a fait machine arrière sur ces achats de terres en dehors du territoire bruxellois. Finalement, la nouvelle version de la stratégie Good Food adoptée en octobre 2022 table sur un objectif de 50 nouveaux hectares de terres mobilisés pour de l’agriculture « professionnelle agroécologique en pleine terre » dans Bruxelles et sa périphérie.

Autre objectif : 30 % de la surface agricole bruxelloise agricole (et 50 % des producteurs) pleine terre bruxelloise devront être certifiés ou en conversion vers le bio à l’horizon 2030. Pour mener cette politique un budget de 630 000 euros été prévu en 2022 et autant en 2023, puis cette enveloppe passera à 415.000  € par an à partir 2024.

Depuis 2016, l’Asbl Terre en vue travaille, dans le cadre d’un projet soutenu par le Fonds européen de développement régional (Feder), à trouver des surfaces exploitables et à y installer des agriculteurs souvent non issus du milieu agricole. L’association bénéficie également du soutien de la région bruxelloise (105.000 € en 2021/2022).

La nouvelle version de la stratégie Good Food table sur un objectif de 50 nouveaux hectares de terres mobilisés pour de l’agriculture « professionnelle agroécologique en pleine terre » dans Bruxelles et sa périphérie.
La nouvelle version de la stratégie Good Food table sur un objectif de 50 nouveaux hectares de terres mobilisés pour de l’agriculture « professionnelle agroécologique en pleine terre » dans Bruxelles et sa périphérie. - M-F V.

Actuellement, elle recense une dizaine de fermes ainsi installées à Bruxelles : 5,5 ha mis à disposition par des propriétaires publics (les communes notamment) et 3,9 ha mis à disposition par des propriétaires privés. Dans ce second cas les terres sont prêtées gratuitement via des contrats de commodat (un système dans lequel le propriétaire met à disposition son bien au profit d’un tiers qui le lui rend après usage). Alix Bricteux de Terre en vue n’a pas constaté d’accélération récente des installations. Le rythme est d’environ 5 ha par an en moyenne depuis 2016. « Mais avant ça il n’y avait rien », indique-t-elle.

Le plan bruxellois prévoit également le développement d’un nouveau cadre juridique et urbanistique pour faciliter à terme l’accès aux sites de production en pleine terre et hors sol et la mise en place d’un observatoire et d’outils de gestion permettant de réguler le marché des terres agricoles.

Des fermes urbaines à défaut de surfaces

Mais les surfaces manqueront toujours. « Faute de surface on entend maintenant parler de cultiver sur des façades ou des toits mais, pour nous, c’est une agriculture totalement industrielle et hors sol », regrette Yves Vandevoorde du Fugea. Ce type d’agriculture se développe effectivement à Bruxelles.

Un de ses fers de lance : le Foodmet une vaste halle alimentaire installée sur le site des abattoirs d’Anderlecht. Sur les toits du bâtiment, la ferme BIGH a aménagé en 2017 quelque 4.000 m² avec une ferme hydroponique (la plus grande d’Europe). 2 000 m² de cultures – principalement des herbes aromatiques et des tomates mais aussi des aubergines et des piments – y sont cultivés et irrigués en circuit fermé avec de l’eau provenant des bassins où sont élevées des truites saumonées.

Et dans les sous-sols du lieu, une autre entreprise de Bruxelles, Eclo, recycle des résidus de bière et du pain invendu pour faire pousser des champignons bio (pleurotes, nameko, shiitaké, eryngii) dans les caves des anciens abattoirs. Des micro-pousses sont également produites.

Faible production bruxelloise

Même avec le développement de cette offre hors-sol, la production bruxelloise restera de toute façon assez faible. Un rapport du Sytra (un institut de recherche belge spécialisé dans la transition des systèmes alimentaires) estime qu’à l’échelle de la population bruxelloise, la demande volumique nette annuelle atteint 48.000 t de fruits (dont 10.000 t de fruits importés), 63.000 t de légumes, 28.000 t de pommes de terre, 4.000 t d’œufs et 200.000 t de produits laitiers, soit un total de 343.000 t/an pour ces cinq produits.

Selon ce travail, l’offre de la région Bruxelles Capitale est nettement insuffisante pour couvrir la demande bruxelloise, notamment en fruits et légumes puisque l’approvisionnement local pour ces produits est actuellement de 0,3 %.

Et les projections les plus optimistes prévoient un approvisionnement de 0,5 % d’autant plus que la population est appelée à croître. « Il semble donc essentiel de réfléchir à des modalités d’approvisionnement régionales, incluant des réflexions sur l’organisation et l’optimisation des filières et des flux entre la ville et les territoires voisins », conclut ce travail.

La capitale prévoit donc le développement d’un réseau logistique comprenant la mise en lien de la demande bruxelloise avec l’offre agricole wallonne et flamande. Des contacts sont pris avec les administrations compétentes dans les régions voisines ainsi qu’avec des acteurs économiques et associatifs mais les dispositifs visent surtout à accompagner les entreprises qui s’engagent dans un approvisionnement local. L’objectif est que 3 hubs logistiques d’envergure régionale (aux extrémités de la région), et 6 hubs d’envergure locale aient vu le jour en 2030. Mais à ce stade, les projets n’en sont qu’à leurs balbutiements.

A lire aussi en Conso

Objectif durabilité pour la filière laitière!

Bovins Au matin ou avant d’aller se coucher, en fromage ou en yaourt, le lait reste un produit star de notre alimentation. Et bonne nouvelle pour le secteur, cet aliment a toujours la cote dans les ménages wallons. Des consommateurs avec une bonne image de l’élevage laitier, mais qui ont à cœur d’opter pour des produits durables, correspondant à leurs valeurs environnementales.
Voir plus d'articles