Accueil Archive

Du saucisson italien ?

Temps de lecture : 5 min

Le sommet des éleveurs à Libramont, troisième du nom, n’a pas touché les nuages en termes d’assistance, au contraire des deux éditions précédentes. Ce 29 novembre 2018, pas mal de fermiers n’ont plus osé s’y risquer, car grimper un sommet, ça vous coupe les jambes quand une fois arrivé là-haut, la visite guidée vous fait découvrir un panorama décevant et vertigineux, après une marche forcée par des sentiers bavards jalonnés de beaux discours, convenus et ahurissants. Montesquieu a dit un jour : « J’aime les paysans, ils ne sont pas assez savants pour raisonner de travers ».

Mais rassurez-vous, l’escalade de cette année fut bien moins éprouvante, avec une Natacha Perat tout à fait zen en première de cordée : Libramont & Co se serait-il converti au Slow Way of Life ? À l’égal des deux derniers rendez-vous, l’accueil quatre étoiles au sein du prestigieux LEC valait à lui seul le déplacement : hôtesses charmantes, tasses de café, boissons diverses et lunch roboratif. Les organisateurs avaient mis les petits plats dans leurs grands bla-bla, selon leur habitude bien rodée, pour le plus grand confort des visiteurs, parmi lesquels de trop rares agriculteurs, des étudiants en agronomie, des journalistes, des commerciaux, des syndicalistes, j’en passe et des meilleurs.

Rappelons-nous les deux précédents sommets. Voici deux ans, Charles Darwin avait été mis à l’honneur : « Les espèces qui survivent ne sont pas les plus fortes, ni les plus intelligentes, mais celles qui s’adaptent le mieux aux changements ». L’ultra-libéralisme avait été encensé et révéré au travers des témoignages et exposés, lesquels avaient célébré l’esprit d’entreprise et le culte de la performance. L’an dernier, la maîtresse de cérémonie avait d’emblée voulu secouer le cocotier : « La solution au problème de la filière « viande » n’est pas à trouver dans le « on », dans les autres. Le « on » n’existe pas ! ». Et de citer Albert Einstein : « La folie, c’est de faire toujours la même chose et de s’attendre à un résultat différent ! ». En d’autres termes, les éleveurs de bovins eux-mêmes devaient se secouer les puces, sortir enfin de leur zone de confort pour trouver des réponses et agir. Bande de fainéants, va ! Allez hop, au boulot ! La solution était toute trouvée : il « suffisait » de mettre en place des marques fortes, évocatrices de bonheur, pour créer des valeurs ajoutées et attirer à nouveau les clients vers la viande.

En 2018, douze mois plus tard, devant une assistance fort clairsemée, après avoir déconcerté le monde agricole lors des deux dernières éditions, Natacha Perat a adopté cette année une approche nettement plus conciliante. « Réconciliante », oserai-je écrire ! D’entrée de jeu, sa métaphore gourmande a fait mouche. Connaissez-vous le saucisson italien, que l’on déguste découpé en toutes fines tranches ? Dès la première, on tombe en addiction : on en reprend une autre, et puis une autre, et encore une autre… tant qu’il en reste ! C’est ainsi qu’il faudrait distribuer nos produits agricoles ! Son compère Pierre-Alexandre Billiet (Gondola), a saisi le saucisson au bond pour détailler les deux sujets du jour : « Comment fournir en direct le secteur Horeca et la restauration collective, et comment les solutions digitales peuvent-elles relier directement producteurs et consommateurs ? ».

P-A Billiet adore saupoudrer ses harangues de bons mots anglais. Selon lui, les produits alimentaires font partie maintenant des « commodities », des denrées de base, comme les carburants, l’électricité, l’eau, qu’il convient d’acheter le moins cher possible, que les autorités doivent maintenir au prix le plus bas possible. Les gilets jaunes ne le contrediront pas. Voilà pourquoi le commerce des denrées agricoles est aussi désastreux pour les producteurs ! Nous ne fournissons plus que des produits blancs pour l’industrie et le commerce agro-alimentaires. Il faut sortir de cette fange où nous sommes enlisés, où l’on nous a englués. Pour ce faire, il faut créer des marques, et surtout prendre en main la commercialisation. Pourquoi ne pas se tourner vers l’Horeca et les centrales de restauration collective ? Pourquoi ne pas vendre soi-même sur Internet ?

Aïe, aïe ! En théorie et en paroles, ces solutions ont beaucoup d’allure et devraient séduire un maximum d’agriculteurs… Hélas, les témoignages censés venir étayer ces propositions ne furent pas très convaincants, plutôt décevants. Libramont & Co avait invité des représentants de Vivalia, Sodexo, Café Liégeois, Q-Group, Efarmz, Fresh Food delivery, Vinçotte, afin d’objectiver l’énorme potentiel de ces filières particulières. Bernard Mayné, du Collège des Producteurs, s’est montré très circonspect devant les divers exposés. La restauration collective est très -trop ?- exigeante en termes de débit, de formats, de poids, de qualités particulières, de traçabilité, de certifications. Un groupement d’agriculteurs ne ferait guère le poids face à des professionnels du commerce. Et comment gérer l’excessive logistique administrative ? Le jeu en vaudrait-il la chandelle, en termes de plus-value ? La restauration collective voudrait acheter de la viande bio au prix de la pâtée pour chiens, ne soyons pas dupes. C’est toujours l’argent qui mène la danse, et les plus belles théories n’y changeront rien.

Alors : Horeca = eurêka ? La fable du saucisson italien a laissé un goût de trop peu sur les papilles avides des quelques agriculteurs présents au troisième sommet de l’élevage. Saucissonnés, nous le sommes déjà suffisamment par le commerce de la viande… Enfin, si l’on peut goûter de tant à autre une petite rondelle, c’est déjà ça ! Le jeune Henry Louvigny l’a bien compris, qui écoule une partie de sa production de viande sur Internet, et vend ses vaches par petites tranches gourmandes. Les petits ruisseaux font les grandes rivières, -pardon ! –, les petites rondelles mises bout à bout feront les grands saucissons, a conclu Natacha Perat de sage manière, somme toute fort paysanne…

La Une

Sécurité alimentaire : la commission lance un tableau de bord

Economie Celui-ci a pour objectif est de présenter un large éventail d’indicateurs (phénomènes météorologiques, coûts du fret et de l’énergie, maladies animales, restrictions commerciales) ayant une incidence sur l’approvisionnement et la sécurité alimentaires dans l’UE.
Voir plus d'articles
Le choix des lecteurs