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Tic-tac, tic-tac, pique-PAC

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Pincez-vous si vous voulez : vous ne rêvez pas ! Dix à quinze degrés à midi, voire davantage en plein soleil, ciel bleu et brise du sud, Saint-Valentin n’a pas lésiné sur la chaleur de ses baisers, et depuis le 14 février, la météo s’est résolument mise en mode « printemps », avec six semaines d’avance. Les terres détrempées s’essorent à toute vitesse, et déjà, les rivières vagabondes gonflées d’eau rentrent sagement dans leur lit. D’ici quelques jours, il sera possible de labourer, de herser les prairies, d’épandre les fumiers. La ronde des saisons s’est accélérée pour un temps, entre vêlages et semailles. Tic-tac, tic-tac, l’horloge tourne et le temps s’enfuit. Et pour nous, depuis le 15 février, il est l’heure, ou plutôt « il est l’or monsignor » de remplir nos déclarations PAC de superficie.

Personne ne niera aujourd’hui l’importance de cette obligation administrative. Nos revenus en dépendent étroitement, hélas, puisque les prix de vente à la ferme ne suffisent plus à nous nourrir. « On a trouvé, en bonne politique, le secret de faire mourir de faim ceux qui, cultivant la terre, font vivre les autres ! ». Cette remarque de Voltaire, glissée malicieusement à l’oreille de son protecteur Frédéric le Grand en 1752, n’a pas pris une ride en plus de 250 ans… Tic-tac, tic-tac, côté cœur et côté pique, la PAC rythme nos jours et nos heures, tout particulièrement au moment de lui renouveler notre serment d’allégeance via la déclaration de superficie. Cette année, peu de changements viendront compliquer ce périlleux exercice de style. On ne perd rien pour attendre, car d’ici deux ou trois ans, une nouvelle PAC verra le jour (ou la nuit). Elle est en pleine construction dans les coulisses de la Commission et du Parlement Européens.

Les discussions n’ont rien de triste ! C’est par moments la foire d’empoigne entre les différents représentants des 27 pays, entre les différents partis. Dans une seule région, c’est déjà difficile de s’entendre et d’accorder ses violons ; au sein d’une mosaïque de nations aux mentalités parfois diamétralement opposées, c’est carrément mission impossible ! Et pourtant, la Commission fait le forcing pour boucler sa réforme avant les élections de mai. Le Parlement freine des quatre fers et multiplie les amendements (8000 à ce jour !). Ce serait tout de même bizarre et illogique qu’une équipe soit chargée de faire appliquer une réforme qu’elle n’a pas élaborée elle-même. Ce serait un déni de démocratie pour les prochaines élections européennes, puisque celles-ci seraient pratiquement sans enjeu, en ce qui concerne l’agriculture.

Et cet enjeu est de taille ! Il s’agit d’établir les règles qui détermineront les conditions selon lesquelles les agriculteurs pourront recevoir les subventions de la PAC. Cela représente 40 % du budget de l’UE, 365 milliards d’euros sur 7 ans, à partir de 2021. Comment partager la galette ? Chaque pays, chaque parti politique a sa propre conception de l’utilisation de tout cet argent public. Le clivage droite-gauche est réellement impressionnant ! Le Rift africain ! Le Grand Canyon en Arizona ! Les partis libéraux, fidèles à leur doctrine, laissent la bride sur le cou aux marchés et prônent une politique d’aide aux innovations, à la productivité, à l’optimisation des paramètres de rendement. Socialistes et Écolos s’acharnent à les contrer ; la justice sociale, le partage équitable de l’argent public entre les agriculteurs et la lutte contre le réchauffement climatique représentent l’ossature de leurs revendications.

Les uns et les autres ont des arguments solides à faire valoir. Ils sont poussés, chacun de leur côté, par des lobbies qui exigent toujours davantage et ne font pas dans la dentelle. Les forces en présence s’affrontent et semblent s’annuler, au final, quand on lit les comptes rendus dans la presse agricole. Par exemple, la notion d’agriculteur actif n’a jamais été clairement définie. Le plafonnement des aides octroyées par exploitation est sans cesse renvoyé aux calendes grecques. Le système actuel de subventions à l’hectare encourage l’agrandissement des exploitations et crée une bulle spéculative pour la terre ; trop d’argent public aboutit au final chez les propriétaires fonciers ! Cet agrandissement des fermes entraîne une production de denrées standardisées, avec des conséquences néfastes pour l’environnement, pour la production d’aliments diversifiés et naturels.

Tic-tac, tic-tac, l’horloge tourne et la PAC enfourne l’agriculture familiale pour une cuisson maximale. Cramée, desséchée, pulvérisée, que reste-t-il de la paysannerie ? Tous les sept ans, l’UE réforme cette PAC terriblement importante, et suscite des espoirs fous. Mais à chaque fois, la montagne accouche de quelques souris aux petites dents mordantes, qui ne nous sourient guère…

Marc Assin

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