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Big Sister, ou la dictature du regard permanent

Temps de lecture : 4 min

Vous connaissez peut-être « 1984 » de Georges Orwell. Ce roman dystopique décrit une société totalitaire dominée par « Big Brother », sorte d’entité autoritaire qui observe le moindre des agissements des gens via un système de caméras et de micros installés dans tous les lieux de vie. Cette transparence oblige les citoyens à adopter un comportement irréprochable, à respecter les normes imposées et les directives qui en découlent. Le pouvoir tyrannique est imposé via ce puissant vecteur, ce regard permanent qui pèse de manière intolérable sur les individus.

Brrr ! De tels agissements nous donnent froid dans le dos, qui croyons vivre dans une société démocratique où les personnes sont respectées, où l’intimité de chacun semble préservée… Et pourtant, la fiction de « 1984 » n’est pas tellement éloignée de notre réalité 2019. À notre insu, l’informatique est devenue notre « Big Sister », une grande sœur très avenante et tout à fait sympathique en apparence, qui rend des services inestimables et s’impose partout : messagerie électronique, réseaux sociaux, WhatsApp, Skype, achats et ventes en ligne, PC banking, Paconweb, Cerise, Myminfin, Mypension, You Tube, Spotify & Cie… On peut tout trouver sur Internet : un co-voiturage sur BlaBlaCar, l’amour de sa vie sur Meetic, les derniers décès sur Enaos, un bouquin sur Amazon, son chemin pour aller à Tombouctou, les heures d’ouverture de tel ou tel magasin…, la liste est infinie ! Tous ces sites « gratuits » sont trop beaux pour être inoffensifs : ils collectent et stockent toutes nos données, pour mieux nous manipuler et influencer nos comportements de consommation de biens et de services. Toutes nos caractéristiques, nos souhaits, nos rêves, nos émotions, nos agissements, sont digitalisés, numérisés, stockés dans des datas, et sont susceptibles d’être vendus et de partir en balade dans l’univers virtuel du Web. Big Brother de Georges Orwell n’était qu’un plaisantin, à côté de notre Big Sister, en termes de mise en transparence, de pénétration au cœur de notre intimité.

À dire vrai, c’est proprement effarant, hallucinant, sidérant ! L’un après l’autre, les derniers bastions de notre civilisation tombent sous la coupe de l’informatique. L’agriculture n’a pas échappé au grand déshabillage, à l’écharnage, au carnage, au dépeçage, au pillage de nos données personnelles. J’exagère, pensez-vous ? Tenez donc : qu’allons-nous faire ces jours-ci, si ce n’est déjà fait ? Déclarer nos superficies sur Paconweb, détailler nos cultures, nous mettre à nu, ouvrir toutes grandes les portes et fenêtres de nos fermes aux regards électroniques inquisiteurs… À la moindre naissance ou au moindre mouvement dans le troupeau, il faut sauter sur Cerise et renseigner les nouveautés. Protect’eau collecte les données des fumiers, lisiers et autres fientes, échangés entre fermiers. Rien n’est laissé dans l’ombre, il faut être transparents et exhiber nos taches. Nous vivons en pleine dictature du regard permanent.

Le concept n’est pas neuf : pour contrôler une population, il suffit de lui faire croire qu’elle est sans cesse surveillée, afin de tuer dans l’œuf les moindres velléités. Autrefois, la religion, l’œil de Dieu, tenait ce rôle de garde-chiourme « panoptique » (qui regarde tout). À partir du 19e siècle, les prisons ont été conçues de manière à pouvoir observer sans cesse les cellules, agencées en cercle autour d’une tour de contrôle, laquelle éclairait et faisait peser son regard jour et nuit sur les détenus. Imaginez-vous dans cette situation intolérable, sans cesse scrutés, épiés, surveillés ! Aujourd’hui, l’œil de Big Sister est infiniment plus efficace encore ! La « digit-hitlerisation » universelle fait partie de notre quotidien, sans que personne y trouve à redire. Nous animons nous-mêmes le système et le nourrissons. Plus fort encore : lorsqu’une frange de la population n’utilise pas Big Sister, on parle de « fracture numérique », comme si les derniers réticents étaient devenus des anachronismes, des handicapés du système, des recoins obscurs, qu’il faut absolument éclairer et convertir.

Toutes les franges de la population sont concernées par cette vaste entreprise de contrôle, à des degrés divers, mais l’agriculture est quant à elle complètement cadenassée dans ce système carcéral. Dans « Huis Clos », Jean-Paul Sartre concluait : « L’enfer, c’est les autres », le regard des autres. Avec Big Sister, la trop belle diablesse, l’enfer, c’est les ondes !

Et bien, continuons…

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