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Une approche collective pour plus d’autonomie, d’initiatives et de

responsabilités aux agriculteurs

Nos voisins Hollandais sont parmi les premiers exportateurs mondiaux de produits agricoles alimentaires frais et transformés. L’agriculture y est donc particulièrement intensive. Ceci explique la pression très forte exercée sur l’environnement. Comme chez nous, plusieurs questions critiques sont donc loin d’être résolues, on pense notamment à la biodiversité et à la qualité des eaux.

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Comme dans toute l’Union Européenne, les Hollandais ont renforcé petit à petit les législations limitant les effets négatifs de certaines activité agricoles et développé des systèmes encourageant l’adoption de techniques qui améliorent l’environnement, comme les programmes agroenvironnementaux.

Cinquante années de recul des «oiseaux agricoles»

De très longue date, l’élevage y occupe des surfaces considérables de prairies, souvent humides. Ces pâturages non loin de la mer sont très attractifs pour des oiseaux peu présents dans nos contrées, comme les oies, les canards et les échassiers. Jusque dans le courant des années 1960 la manière d’exploiter ces prairies leur est très favorable : il n’y a pas trop de bétail, on ne fauche pas trop tôt et beaucoup de prairies assez peu fertilisés compent alors une végétation diversifiée. Depuis, cela s’est gâté progressivement pour les oiseaux avec des fauches plus fréquentes, le recours a une fertilisation de plus en plus importante et un drainage efficace. L’introduction du maïs et de prairies temporaires comme cultures fourragères réduit aussi la quantité de milieux disponibles.

La réduction constatée aujourd’hui est saisissante. Depuis 1960, les ornithologues hollandais ont évalué la perte à 2.5 millions d’oiseaux agricoles, soit une réduction de 70% des populations. Cette question est donc devenue un sujet majeur de préoccupation.

Des précurseurs de l’agroenvironnement européen

Dès le courant des années 1970, le rôle primordial des agriculteurs pour préserver les oiseaux est reconnu. Une zone couvrant 200.000 ha, soit 10 % de la surface agricole, est alors désignée pour leur protection. Elle abrite les espèces les plus mal en point comme la barge à queue noire. Dès le début des années 80, des contrats y sont passés avec les agriculteurs. Ils concernent la protection des nids et de leurs abords avec une indemnisation pour les surfaces non exploitées. Ils sont mis en œuvre avec l’aide de bénévoles qui aident à localiser les nids et les couvées. Le nombre de volontaires contribuant au marquage et à la protection des nids a toujours été élevé chez nos voisins (11.000 bénévoles en 2008).

Les efforts se sont amplifiés. D’autres actions sont progressivement soutenues comme celles relatives au maintien du caractère humide de prairies ou encore des contrats pour des fauches retardées de parcelles, la préservation des petits éléments du paysage (haies, berges) ou encore l’exploitation extensive de bords de champ (tournières enherbées, bandes en bord de champs destinées à la faune sauvage).

En 1992, le volet agroenvironnemental est intégré au système européen. En 2014, les Hollandais sont fiers de leur agroenvironnement. On doit cependant noter que parmi les actions entreprises moins 5% de la surface agricole est concernée par des mesures financées dans le cadre de la PAC, et seulement 12% des 90.000 agriculteurs y participaient (à comparer avec près de 50% des agriculteurs engagés chez nous). Les paiements sont cependant plus élevés que chez nous et un budget annuel largement du double du budget wallon (45 millions d’euros par an jusqu’en 2014 puis une augmentation de 25% après-cela).

De la protection des nids à celle du milieu de vie dans des zones particulières

Malgré un bon succès de l’ensemble des actions en faveur des oiseaux auprès des agriculteurs avec jusqu’à la moitié des prairies permanentes du pays concernées par l’une ou l’autre intervention de conservation où l’agroenvironnement n’occupait qu’une part modérée, ces efforts n’ont pas donné le résultat attendu.

Les scientifiques se sont penchés sur la question et ont conclu que la protection des nids et couvées ne suffisait pas et qu’il fallait améliorer l’ensemble du milieu de vie. Il faut donc, par exemple à la fois, maintenir un niveau d’eau du sol assez élevé, préserver des herbes hautes pour que les jeunes puissent s’abriter, et assurer une période de tranquillité par rapport aux activités agricoles. Les effets de ces actions doivent en effet s’additionner localement pour atteindre l’objectif. Ces conditions sont indispensables pour assurer que suffisamment de jeunes soient produits pour maintenir et accroître les populations d’oiseaux..

Le travail à l’échelle des parcelles au gré des opportunités offertes par les agriculteurs était un échec. L’action agroenvironnementale devait donc « concentrer les actions », se recentrer sur des zones particulières répondant mieux au départ aux besoins des espèces. Ce sont celles où on trouve encore les oiseaux avec une certaine abondance. Cette approche a été retenue depuis 2015 dans le cadre de la mise en œuvre des actions par des « Collectifs agroenvironnementaux ».

La barge à queue noire est l’espèce la plus emblématique des oiseaux des prairies humides en Hollande Le pays assume a une responsabilité majeure pour cette espèce en abritant la moitié de la population européenne en déclin continu (photo R. Hendricks)

Les « Collectifs » et leurs projets agroenvironnementaux

Des « coopératives agroenvironnementales » se sont développées dès les années 1990. Ces groupes d’agriculteurs voulaient prendre en charge directement la protection de la biodiversité du milieu agricole. Ces coopératives se sont développées comme une réaction du monde agricole pour contrecarrer les associations de protection de la nature qui achetaient des terres et les institutions gouvernementales considérées comme non fiables. C’était aussi en réaction à l’attitude des syndicats qui ne considéraient pas la conservation de la nature comme une activité sérieuse. L’accès aux mesures agroenvironnementales se faisait à cette époque comme chez nous pour chaque agriculteur via un contrat et un engagement individuel avec le Ministère de l’Agriculture.

Ces coopératives sont depuis 2015 regroupées en 39 « Collectifs agricoles ». Ceux-ci rassemblent des agriculteurs volontaires et d’autres utilisateurs de l’espace agricole comme les associations de protection de l’environnement. Pour disposer des budgets de la PAC relatifs à l’agroenvironnement ces Collectifs doivent proposer des projets qui répondent à des critères stricts assurant leur efficacité. Les projets doivent répondre aux objectifs des plans provinciaux de gestion de la nature. Ces derniers, très détaillés définissent notamment pour chaque parcelle agricole quel objectif doit être poursuivi pour bénéficier de soutiens financiers publics.

Les projets sont proposés aux autorités provinciales qui les évaluent et les valident ou non. Si un projet est retenu, alors un contrat global est passé sur cette base entre le Ministère et ce « Collectif ». Celui-ci gère directement la mise en œuvre avec les agriculteur et un suivi de l’effet environnemental est assuré notamment par les naturalistes locaux associés. Les projets retenus font l’objet de paiements aux « Collectifs » qui gèrent ces moyens de sorte à atteindre les résultats du projet. Le « Collectif » passe donc des contrats avec ses membres pour atteindre ses engagements.

Le défi? S’organiser de manière efficace!

Le système de l’approche collective a été proposé aux Pays-Bas pour donner la plus grande autonomie, initiative et responsabilité aux agriculteurs. Il est cohérent avec une longue pratique du travail agricole en coopératives en Hollande.

Par ailleurs, il y associe un très grand nombre de bénévoles engagés dans des actions de suivi et de conservation de la nature de longue date avec les agriculteurs. Ces caractéristiques sont très différentes de la situation chez nous.

Une différence notable par rapport à notre système de MAEC est aussi que les Hollandais se sont résolus à ne les appliquer que sur certaines parties du territoire où ils estiment que cela peut produire un effet déterminant sur les conservation d’une liste d’espèces fortement menacées. Ils fixent aussi des conditions comme celle d’une proportion suffisante de la surface agricole couvertes par des mesures pour atteindre certains objectifs. Cette condition est valable pour bon nombre d’espèces chez nous aussi.

Tout l’enjeu actuellement pour leur approche est de montrer que les » Collectifs » sont effectivement capables de s’organiser de manière efficace et de mieux atteindre les objectifs. Ils sont manifestement confrontés à de nombreux défis comme la nécessité de sélectionner parmi davantage de demandes que ce qui est finançable, la nécessité d’informer certains qu’ils ne peuvent plus participer aux actions et même celle de sanctionner. Ils doivent aussi assurer un suivi des résultats notamment à l’aide de volontaires . La gestion du budget et des finances du « Collectif » n’est pas non plus une mince affaire.

D’après Thierri Walot

UCL ELI Agronomie

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