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Comment grandir

avec des produits

de niche ?

Maarten Jacobs exploite avec son amie Lotte Vleminckx

l’écoferme Den Oude Kastanje à Herselt, en province d’Anvers. Une toute petite exploitation, puisqu’elle s’étend sur un ha,

tout en abritant plus de 400 produits de niche. C’est unique.

Temps de lecture : 12 min

La ferme de Maarten et de son amie Lotte est facilement identifiable. Elle a un caractère « expérimental ». Le terrain est couvert de petites parcelles, portant des plantes toutes différentes. Nous rencontrons Maarten dans sa serre, située près de la maison de ses beaux-parents.

Maarten : « Cela nous a facilité le démarrage de notre petite entreprise. Il y a toujours un risque à devoir acheter du terrain et à y faire des investissements. Et c’est certainement encore plus le cas lorsqu’on veut cultiver des plantes dont nous ne savions s’il y aurait un marché pour celles-ci. » L’homme a une connaissance encyclopédique dans le domaine du végétal. Celle-ci ne lui vient toutefois pas de ses études puisqu’il a un diplôme de laborantin en environnement. Fasciné par la biologie, il a ensuite poursuivi ses études en sciences de l’environnement.

C’est en 2015 que lui et Lotte ont décidé de démarrer leur exploitation. Le maraîcher : « Nous avions déjà constitué une collection de végétaux, et au départ, nous ne devions rien acheter. Petit à petit, nous nous sommes orientés vers le bio. Au début, on a beaucoup tâtonné, ce n’était que pour quelques marchés. Finalement, nous avons fait le pas et créé une vraie entreprise. Nous avons remarqué que la clientèle s’intéressait aux légumes, mais aussi à la manière de les cultiver. Les gens semblent vouloir un retour à une agriculture de petite dimension, et on se méfie des grandes exploitations sous serre. L’intérêt s’est d’abord porté sur les légumes, puis assez rapidement, ce fut sur les plants. À présent, nous vendons de tout : plants, légumes, plantes aromatiques, fruits. »

Maarten rit : « La culture, c’est mon truc, et je suis heureux que Lotte s’occupe aussi de la comptabilité et des commandes. »

« Nous nous situons à mi-chemin entre le petit monde des amateurs et celui des professionnels. Le fait d’avoir beaucoup d’espèces et de variétés nous procure un profil particulier. La clientèle va chez l’agriculteur ou l’horticulteur pour les légumes de tous les jours. Elle vient chez nous pour trouver une spécialité. »

Plus de 400 espèces et variétés sur un demi-hectare

On trouve de tout sur un ha, mais la culture se fait véritablement sur un demi-hectare. Quelque 400 à 500 espèces et variétés y sont plantées. Elles sont disposées sur billon. Maarten : « Nous ne pourrons jamais avoir suffisamment de rendement pour vendre de grandes quantités. Je m’intéresse spécifiquement aux plantes tubéreuses. J’ai commencé avec la poire de terre (Smallanthus sonchifolius), aussi appelé Yacon ou cochet ; la patate douce (Ipomoea batatas) et la capucine tubéreuse (Tropaeolum tuberosum), aussi appelée mashua. Mon père était un pépiniériste, il produisait des plantes ornementales. Lorsque nous étions enfants, mon frère et moi étions bercés par cet environnement. Mais nous avons été plutôt attirés par la culture des plantes comestibles. Mon frère a étudié l’agriculture tropicale, et il a eu ainsi accès à des plantes originales. C’est par ce biais que nous sommes arrivés dans le petit monde des amateurs. »

Et au micro-fermier d’expliquer : « Grâce à mon frère, nous avons trouvé de nouvelles plantes, mais nous avons aussi recherché de nouvelles variétés. Par exemple, nous avons essayé de croiser la patate douce avec une variante violette pour obtenir de plus gros tubercules. »

La petite entreprise cultive 24 variétés de patate douce. Maarten avoue qu’il a des contacts réguliers avec le PCG, un centre d’essai pour les cultures légumières et avec la Haute Ecole VIVES, à Roulers. Une nécessité pour l’échange de connaissances et de plantes.

Pas bio, mais éco

Les plantes sont cultivées de façon écologique. « Nous n’avons pas opté pour le label bio, même si le sol est qualifié en bio, pour une raison tout à fait très pratique. Pour être vraiment en bio, il faut trouver des semences et plants bio. Nous avons des plantes particulières et peu courantes. Nous devrions alors demander des tas d’exemptions et de dérogations. Cela ferait beaucoup de papiers pour obtenir le label, et encore autant pour l’Afsca » explique Maarten Jacobs.

« Je n’aime pas la paperasserie, je préfère mettre mes mains dans la terre. Je fais pousser des plantes et des fleurs, et je suis heureux si on peut y voir arriver un papillon rare. »

Maarten n’emploie pas de produits phyto. Sans doute, beaucoup pourraient être utiles. Mais comment les employer dans un jardin ? « Nous ne devons pas produire jusqu’au dernier kilo. Nous avons déjà des pertes à cause des mulots et autres campagnols, et dans d’autres cultures, c’est la sécheresse qui a réduit les rendements. Nous cultivons pour nous, et une partie est offerte à la vente. Parfois, nous sommes contents d’avoir assez de plants pour continuer la culture l’année suivante. »

En matière de fertilisation, Maarten considère qu’il est important de conserver l’équilibre naturel : « Comme engrais, je n’emploie que du compost ; il est destiné à tamponner le pH du sol, et je l’épands seulement quand c’est nécessaire. »

Échanger et commercer dans le monde des amateurs

À voir des fruits tordus ou des légumes garnis de picots, on se demande d’où ils viennent. « C’est dans le petit monde des amateurs qu’on trouve, qu’on échange ou qu’on vend. Comment ces plantes sont-elles venues en Europe et en Belgique ? Pour moi, c’est bien souvent une énigme. »

Le maraîcher entretient des contacts dans ce petit monde, à travers l’Europe continentale et l’Angleterre. Il n’est pas rare que des jardiniers amateurs, mais aussi des commerces de semences et plants, le contactent pour tester l’une ou l’autre nouveauté. « Aujourd’hui, on trouve facilement un correspondant via internet et Facebook. Il y a également des bourses aux plantes, où on peut rencontrer encore d’autres amateurs, généralement plus proches. Il arrive aussi que des personnes viennent chez nous, en amenant des semences ou des plantes peu connues, que nous pouvons expérimenter dans les conditions de notre pays. Si le résultat s’avère intéressant, un commerce peut alors s’amorcer. »

Maarten ajoute qu’il n’est pas le seul en Belgique à s’intéresser aux plantes, à la fois rares et comestibles. En Flandre, par exemple, des sociétés comme Sanguisorba à Ranst (province d’Anvers) et Ecoflora à Hal (au sud de Bruxelles) disposent également d’un bel assortiment : « On y trouve des plantes que je n’ai pas, et c’est réciproque. »

Marchés fermiers et bourses aux plantes

La vente des plantes aromatiques, des tubercules et des légumes se déroule surtout lors des marchés hebdomadaires et des marchés fermiers. Il y en a un à Hasselt. De tels marchés existent aussi à Anvers et à Bruxelles. « Nous y allons surtout en automne. Nous y vendons les légumes typiques de la saison. Nous proposons des légumes assez conventionnels comme le panais et les scorsonères, cela permet d’attirer la clientèle vers des légumes, plantes racines et tubercules spéciaux, et nous expliquons comment on peut les manger ou les préparer. Nous espérons ainsi que les gens les apprécieront, au point de vouloir les cultiver dans leur jardin. »

Au printemps, ils sont plutôt dans les bourses aux plantes, où ils vendent des plants.

« Nous allons à des marchés connus, mais aussi à de plus petits marchés, comme ceux des Guildes rurales. De temps à autre, nous allons aussi aux Pays-Bas. »

Commercer via internet

Les plantes, ainsi qu’une quantité limitée de légumes, sont également mises en vente via internet. C’est le webshop. « Ce qui est commandé via internet est expédié par la poste. Evidemment, nous n’envoyons que les plantes qui ne sont pas blessées facilement. Le prix dépend de l’offre et de la demande. » Aucune vente ne se fait via un magasin classique, mais on peut toujours prendre rendez-vous pour venir visiter l’exploitation.

« Peu importe la manière dont les gens achètent les plantes. L’essentiel, c’est qu’ils reçoivent la bonne documentation pour parvenir à les cultiver. Un mode de culture officiel existe rarement pour des plantes spéciales. Il arrive que des personnes fassent autrement, et cela nous permet d’apprendre toujours un peu plus. Un exemple : la tomate lychee (Solanum sisymbriifolium) a besoin d’une fécondation croisée, mais je ne l’ai appris que parce qu’une personne n’avait pas suivi mes conseils. »

À petite échelle

« Ce sont surtout des particuliers qui achètent, mais je compte une vingtaine d’agriculteurs et horticulteurs dans ma clientèle. Ceux qui s’intéressent à la permaculture viennent également s’instruire à l’écoferme. »

Et le monde de la restauration ? Maarten : « Nous ne recherchons pas la clientèle des restaurants. Nous en avons juste assez pour les marchés, nous ne disposons que d’une petite quantité. Nous voulons rester une petite exploitation. La vente en grands magasins, ce n’est pas pour nous. »

Y aurait-il des légumes ou des tubercules qui pourraient avoir un succès commercial en Belgique ? La réponse à cette question est difficile, estime Maarten : « Il ne suffit pas que le légume ou le tubercule soit bon. Il faut aussi penser en termes de marketing, de rentabilité, d’investissement et de législation. Prenons le cas du yacon (Smallanthus sonchifolius) qui peut avoir un certain avenir chez nous. « En Flandre, il y a des émissions culinaires télévisées qui le mettent en avant, le consommateur commence à en parler et à le rechercher. Son goût est excellent et le rendement est élevé, de l’ordre de 6-7 kg par plante. Ce sont de bons arguments. La patate douce pourrait aussi devenir une culture en Belgique. Pour l’instant, on trouve des patates douces qui nous viennent des Etats-Unis ou du Sud de l’Europe. Des agriculteurs bio s’y intéressent. Là aussi, il y a de l’espoir.

Maarten : « Je pense qu’il est temps que les centres de recherche s’y mettent pour voir si la culture peut être réalisée à grande échelle. Il serait dommage qu’une partie des plantes présentées en grands magasins ne vienne pas de chez nous. Mais je pense qu’il faudra encore des années pour y arriver. Il faudrait aussi que davantage d’agriculteurs, bio ou non, s’y intéressent. Il faut savoir qu’aucune machine n’est disponible pour le moment. On ne sait pas si on pourra mécaniser de telles cultures. »

Beaucoup de travail

La ferme a démarré en 2015. Maarten avait alors déjà 10 ans d’expérience avec les plantes à tubercules. Du matériel de l’année sert pour la culture de l’année prochaine. Selon la plante, ce sera sous forme de boutures, tubercules, ou sous forme de graines. Mais il y a des exceptions. La chayotte (Sechium edule) est une cucurbitacée, mais sa seule graine doit être conservée dans le fruit auquel elle adhère fort. Ce n’est qu’ainsi qu’elle germe.

Maarten : « Aucune plante n’est pareille à une autre. le yacon est de la famille du topinambour et du tournesol. La plante produit des tubercules mais elle ne se cultive pas du tout comme la pomme de terre ou la patate douce. Le crosne se cultive à peu près comme la poire de terre. »

Son assortiment est bien plus riche, certaines plantes étaient jadis cultivées chez nous, comme la gesse tubéreuse (Lathyrus tuberosus), mais, généralement, les noms des plantes sont plutôt « exotiques » comme l’ulluco ou l’Oca du Pérou.

Peu importent les noms, ces plantes ont toujours besoin d’entrer dans une rotation, comme les plantes cultivées de nos régions. Chaque année, les billons changent de cultures. « Je tiens compte des besoins de la culture. »

Maarten fait tout manuellement, ce qui explique pourquoi il ne cultive réellement un demi-ha réellement cultivé. Il faut tout faire manuellement, de la plantation à la récolte. Il n’est donc pas rare qu’il fasse appel à sa belle-famille toute proche. « Durant la saison, on empote des centaines de plantes par jour, tout aide est la bienvenue. Et puis, il n’y a pas que la culture, nous recevons aussi des curieux et des clients. »

Une Belgique tropicale ?

Maarten Jacobs teste avant tout des plantes tropicales. « On n’a presque pas de problèmes en ce qui concerne les maladies et les ravageurs. J’ai évidemment des pucerons dans la serre, mais c’est un problème récurrent ». On connaît peu sur de possibles maladies virales ou bactériennes. Les plantes se comportent bien si on excepte le stress dû à la chaleur. « J’ai remarqué qu’il y a un problème avec les ullucos. L’agence sanitaire britannique l’a constaté, c’est en recherche à l’Afsca. La plante ne peut plus être importée en Europe. Il faut attendre. »

Les symptômes de maladies ne sont pas tellement connus. « Je tiens ça à l’œil, mais je n’envoie pas chaque fois au labo dès qu’il y a une tache. Je teste plusieurs années avant d’avouer un échec. J’ai la chance de pouvoir faire appel à mon frère à ce sujet. Il y a toujours des cultures qui ne s’adaptent pas aux conditions pédoclimatiques de la Belgique. C’est le cas du gingembre, par exemple. Un fruit qui mûrit tard n’arrive jamais à maturité chez nous. D’autres plantes doivent être plantées lorsque le sol a atteint une température suffisante, c’est le cas de la famille des potirons. Dans la serre, j’ai un bac chauffé pour cultiver de vraies plantes tropicales, mais la serre en elle-même ne l’est pas.

Du goût et de la résistance

L’amusant dans cet ensemble, c’est que chaque espèce a ses propres caractéristiques. « Ma plante favorite, c’est tout de même la poire de terre. Le tubercule est très fruité, et pour moi, c’est parfait à 16h, pour le goûter. La racine sucrée a un goût qui se situe entre le panais et la carotte, mais en plus doux. De nombreux insectes et petites abeilles s’intéressent à ses fleurs. J’aime beaucoup aussi la chayotte. Ce n’est pas une plante à tubercules, elle est de la famille du potiron, les fruits sont comme une courgette, fermes quand ils sont cuits. La plante pousse comme les cucurbitacées. On peut manger le fruit cru, il est ferme et très juteux. Le goût rappelle subtilement le chou-rave. Le pépin (il n’y en a qu’un) a le goût d’une châtaigne crue. Mais il faut des gants pour la cueillir.

Outre les tubercules, Maarten cultive beaucoup de plantes aromatiques, à commencer par la sauge et le thym : « Les clients ne s’y trompent pas. Ils savent que nous cultivons sans chauffage, or beaucoup de plantes sont cultivées dans une serre chauffée. Si on les met directement dehors, elles ne résistent pas. Nous essayons donc de cultiver des plantes résistantes, qui vont pouvoir croître et se développer en pleine terre. »

Maarten cultive diverses plantes aromatiques, que l’on ne retrouve pas couramment chez nous : la plante à curry ou immortelle (Helichrysum italicum), la coriandre du Vietnam, l’herbe citronnelle et la verveine citronnelle, l’acorus gramineus, le gingembre japonais, le poivre du Sichuan, le Shiso ou basilic japonais, la cochléaire…

Maarten cultive aussi des légumes oubliés, comme le chénopode bon-Henri (parent de l’épinard et de la betterave), l’oseille sanguine, la patience ou épinard-oseille, l’oseille des jardins, le crambe maritime ou chou marin…

Le bouche à oreille

Maarten est satisfait de l’évolution de sa petite ferme : « Elle nous fait vivre tous les deux et le chiffre d’affaires augmente graduellement. Mais nous ne deviendrons pas riches. »

La réputation de l’écoferme Den Oude Kastanje se fait par le bouche-à-oreille, et par internet : « Chaque année, nous essayons d’agrandir notre assortiment. Il faut alors continuer à expérimenter. »

Il termine avec une pointe d’humour : « Mais finalement, la meilleure réclame, c’est encore toujours le bon plant. »

D’après M.V.

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