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Le meilleur des mondes

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Ce n’est un secret pour personne, parmi les mesures destinées à diminuer les émissions de gaz à effets de serre, les membres du GIEC préconisent le retour à une agriculture moins intensive et locale, animée par de petites structures du type familial. Ce vœu pieux est des plus séduisants, mais risque fort de se heurter au mur des réalités modernes, quand on y réfléchit à deux fois. Les chantres du développement durable sont particulièrement sympathiques, mais leurs théories manquent de pragmatisme, quand ils veulent remodeler notre secteur nourricier. L’idéal -s’il existe ?- serait de moduler un système pluriel et équilibré, une cohabitation entre diverses formes d’agriculture, qui répondraient aux demandes multiples et parfois contradictoires des consommateurs.

Une fois mises en pratique, les plus belles théories montrent très vite leurs limites. Le comité pour le climat et le développement durable affirme qu’il faut mettre un terme à l’intensification de l’agriculture et se diriger vers un système agro-écologique local, sans engrais ni pesticide. Le but du jeu est ici d’émettre un minimum de GES par kilo ou par litre de production agricole. Prenons un cas pratique, celui de l’Inde et de l’Europe, deux régions du globe qui produisent environ la même quantité de lait. L’agriculture indienne serait davantage vertueuse que la nôtre, si l’on considère les critères du GIEC : petites structures familiales, élevage extensif sans intrants chimiques. Hélas, les Indiens ont besoin de 122 millions de vaches pour produire une quantité de lait obtenue par 23 millions de vaches européennes. Même si l’on comptabilise les importations de soja, un litre de lait « intensif » européen coûte à la planète beaucoup moins d’émission de GES que le lait indien !

Autre exemple. À Bruxelles, tout ce qui touche au développement durable gagne du terrain : aliments bios, marches pour le climat et réduction des plastiques à usage unique. Fort bien ! Notre capitale est une vraie pépinière d’idées sur le sujet. La dernière trouvaille en date émane de Bernard Clerfayt (Défi) : il affirme que la cité du Mannekenpis pourrait devenir à terme autonome en fruits et légumes bio, lesquels seraient produits par de petites exploitations écologiquement intensives. Il « suffirait » de jardiner les quelques centaines d’hectares que compte la Région Bruxelloise, de cultiver sur les toitures, en aquaponie verticale, sur les balcons et dans les courettes. Il est marrant, Bernard, pourquoi pas dans les pelouses des parcs publics, comme pendant la guerre ? Ou dans les serres de Laeken entre les rhododendrons ?

Faisons un petit calcul. Bruxelles compte un million deux cent mille habitants, et sa superficie représente seize mille hectares environ, lesquels sont recouverts de surfaces bétonnées ou asphaltées, de zones construites, de parcs et verdures d’agrément. Imaginons que seulement cinq cent mille Bruxellois mangent une pomme, ou une poire par jour (+ ou – 200 grammes). Cela représente un tonnage de trente-six mille t/an, soit à 15 t/ha de beaux fruits, 2.400 hectares de vergers. Sous les arbres, peut-être sera-t-il possible d’installer des potagers, de cultiver en permaculture ? Ou pas ? Il faudra donc pour les légumes quelque 2 à 4.000 hectares de plus, et je ne parle pas des pommes de terre pour les fritkots et les restos (+ 3.000 ha). Au final, on arrive pour les fruits et légumes à 8.000 hectares à la grosse louche, soit la moitié de la superficie de Bruxelles. Les quelques centaines d’hectares cultivables sur la Région Bruxelloise seront très loin de suffire… Cependant, rien n’empêche d’encourager des initiatives agricoles, adaptées à une zone urbaine, mais de là à nourrir Bruxelles…

Ceci dit, au niveau mondial, 70 % de l’alimentation est déjà produite par de petits agriculteurs. La paysannerie locale est bien présente partout en dehors de l’Europe et des pays riches. Pour nourrir l’humanité, il faudra fournir 50 % de calories en plus, d’ici à 2050. Les processus industriels font peur et dérangent ; l’agriculture intensive conventionnelle n’est pas du tout en odeur de sainteté, au contraire des modes de production agro-écologiques. Ces différentes manières de travailler la terre ont chacune leur pertinence, avec leurs qualités et leurs défauts. Demain, l’idéal sera sans doute de les mettre en œuvre les unes à côté des autres, et de les articuler autour d’un impératif de développement durable, en fonction des régions et des densités de populations. Le meilleur de chaque agriculture, pour nourrir le meilleur des mondes…

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