La méthode des 200 °C
cumulés est-elle fiable
pour décider de la date
du premier apport?
La méthode des 200°C cumulés, largement vulgarisée chez nos voisins français, consiste à additionner les températures moyennes journalières positives à partir du premier janvier. Seules les températures moyennes positives sont comptées. Lorsque la température moyenne du jour est négative, elle n’est pas comptabilisée. On préconise parfois d’utiliser la valeur de 250°C pour le ray-grass anglais et les prairies « naturelles ». Cela correspond généralement à 5 à 8 jours supplémentaires.
Pour répondre à la question, nous avons utilisé les résultats d’un essai suivi à Michamps pendant 3 années consécutives. Dans cet essai, on mesurait les rendements de la première coupe d’une prairie temporaire composée de ray-grass anglais intermédiaire avec différentes dates d’application de la première fraction d’azote au printemps (1 mars, 15 mars, 1 avril, 15 avril).
Les 3 années suivies à Michamps, ont été très contrastées. La figure 1 représente les températures moyennes positives cumulées au cours des 3 années d’essais.
La première année, le seuil des 200°C est atteint le 15 avril environ. En deuxième et troisième année, il est atteint vers le 1er mars. Soit une différence d’un mois et demi. L’application de la méthode sur les données météo Pameseb de la station de Michamps des 25 dernières années donne une date moyenne d’application au 20 mars, mais des extrêmes qui vont du 22 février (année 2007) au 17 avril (année 2013).
Rendements obtenus en fonction de la fumure
Comparons maintenant les rendements obtenus en fonction de la date d’application de la fumure azotée. En première année, le meilleur rendement a été mesuré pour l’application d’engrais réalisée le 15 avril, soit à la date prévue par le cumul des températures. Cependant, la deuxième année, le meilleur rendement est mesuré pour l’application du 15 mars alors que le cumul des températures préconisait l’application à la date du 6 mars. La troisième année, l’écart est encore plus grand. Le meilleur rendement est obtenu avec l’application du 1er avril et le cumul des températures indique le 4 mars.
On constate donc que la méthode des 200°C n’est pas la panacée pour caler la date d’application de la fumure azotée. Elle peut entraîner une fertilisation trop précoce avec le risque de perte de rendement, mais aussi d’azote et donc de pollution. On constate aussi qu’un léger « retard » dans l’application d’engrais n’entraîne pas nécessairement une perte de rendement. En 1997, le rendement est quasi identique pour l’apport d’engrais réalisé au 15 mars et celui effectué au 1er avril. Idem en 1998 pour les apports du 1er et du 15 avril.
Au Royaume-Unis, des chercheurs ont également étudié le démarrage de la prairie en fonction des données météorologiques de 1967 à 1984. Ils n’ont trouvé aucune corrélation entre la date à laquelle le seuil de 200°C est atteint et le départ de végétation. En revanche, ils ont observé que la température du sol à 10 cm de profondeur est un meilleur indicateur du démarrage de la croissance et pourrait être utilisée comme guide pour appliquer la première dose d’azote.
Privilégier une date moyenne d’application
Nous ne recommandons pas l’utilisation de la méthode des 200°C cumulés. A défaut de mesure de la température du sol, il vaut mieux se baser sur une date moyenne d’application établie au niveau régional et éventuellement l’adapter légèrement en fonction des conditions climatiques du moment que vouloir piloter sa fertilisation à l’aide des températures cumulées.
Sur base de suivis de croissance de l’herbe (ray-grass anglais intermédiares) sur 3 sites pendant 3 années, le meilleur compromis pour l’application de la première fraction semble se situer vers le 1er mars à Louvain-la-Neuve, vers le 1er avril à Michamps et vers le 10 avril à Elsenborn. Des applications trop précoces présentent un risque de perte d’azote. Ces résultats sont également valables pour les engrais organiques à action rapide comme le lisier. Les observations de Godden et al. (2013) en Haute-Ardenne (Elsenborn) montrent que le coefficient réel d’utilisation de l’azote apporté par le lisier est croissant de décembre à mai. Il est de 30 % seulement en janvier, 50% en février-mars et 70% en mai. Donc, même si l’épandage de lisier est déjà autorisé sur prairies à partir du 15 janvier (maximum 80 kg N/ha), son efficacité sera nettement moindre que si l’épandage est réalisé plus tardivement. Autoriser ne signifie pas recommander.
Il faut également veiller à laisser au moins 5 semaines entre l’application d’engrais et la récolte pour permettre la transformation de l’azote en protéines dans la plante.
Richard Lambert,
Marc De Toffoli
Centre agri-environnemental
de Michamps,
Earth and Life Institute -UCLouvain