Les vaches se pressent autour des « abris-boules », comme ces clients pressés devant les enseignes Brantano en liquidation. Faillite pour nos prés, petits et grands !
« Labourage et pâturage sont les deux mamelles de la France », se plaisait à répéter Sully – Maximilien de Béthune, duc de Sully, 1560-1641 –, ministre des finances du roi Henri IV, ce « bon » monarque célèbre pour sa poule au pot du dimanche. À cette époque, le réchauffement climatique était bien loin ; sans doute pleuvait-il régulièrement sur les campagnes de France et d’Europe de l’Ouest ? De quoi arroser à temps et à heure les herbages où paissaient veaux, vaches, cochons, couvées, moutons, chevaux…
Disons qu’aujourd’hui l’une des deux mamelles se tarit en été, tandis que les cultures labourées tirent mieux leur épingle du jeu. Chez nous, les céréales n’ont pas vraiment déçu ; les maïs, pommes de terre et betteraves fourragères sont restés étonnamment verts et courageusement dressés, jusqu’à présent, tandis que les prés, d’habitude si opulents, tirent une langue jaune et crayeuse, couverte de pustules d’un vert-roux douteux.
Le système racinaire des céréales et des plantes sarclées puise l’eau davantage en profondeur, de toute évidence. Un ingénieur agronome me parlait de deux mètres pour le blé, dans un sol profond et non compacté s’entend. Les betteraves explorent plus loin encore ; le maïs aussi, semble-t-il. Lors du creusage d’une tranchée cette semaine, un ami a observé en plein champ l’absence totale d’humidité sur une épaisseur d’un mètre ! On comprend pourquoi nos pâturages permanents sèchent sur pied et semblent même mourir, comme si on les avait pulvérisés à l’aide d’un herbicide total. Est-ce dû au piétinement des animaux, lequel tasse le sol et abîme le gazon ?
Le fait de brouter trop ras est également fort dommageable, mais comment échapper à ce phénomène ? Les vaches doivent prélever leur nourriture à leur manière particulière, en tordant et arrachant les herbes. Les espèces fourragères naturelles qui composent les prairies permanentes pâturées souffrent beaucoup des longues périodes de sécheresse, c’est un fait incontestable.
Les herbes cultivées et fauchées résistent beaucoup mieux, surtout le dactyle, les fétuques, la luzerne, les trèfles. La fléole, espèce fourragère emblématique de l’Ardenne, donne une belle coupe de foin en juin, puis plus rien ; les ray-grass ne sont guère vaillants non plus, sous un soleil de feu. Il n’empêche, pour les implanter, il faut labourer, herser, semer, brûler beaucoup de mazout ; ensuite, il faut faucher, récolter, user ses machines, consommer du carburant.
Le pâturage des prairies permanentes naturelles, quant à lui, est beaucoup plus facile et éminemment plus écologique ! Comme l’affirme en rigolant André Pochon (89 ans), ce Breton bien connu des paysans, amoureux du trèfle blanc et ennemi de l’agriculture intensive, « les vaches sont équipées d’une barre de coupe à l’avant, et d’un épandeur d’engrais à l’arrière ». Le système ancestral du pâturage naturel est tout à fait durable, car il est peu gourmand en énergie fossile ; les prairies permanentes constituent même des puits de carbone avérés !
C’est bien beau tout ça, mais la nouvelle « normalité » climatique n’est pas du tout favorable aux prés et pâtures établis sur nos champs depuis la nuit des temps. Seules des pluies régulières en été assurent une production correcte, en qualité et quantité. Faudra-t-il à l’avenir sortir les charrues et labourer nos vieilles prairies, pour les ensemencer en fourrages résistants, en sorgho ou brôme par exemple, si l’on veut nourrir ses animaux ? Cela ne sera pas possible partout, sur les parcelles pentues par exemple, sur les sols trop pierreux ou en zone Natura 2000.
Et puis, tous ces travaux agricoles sont extrêmement chers à mettre en œuvre, dans un contexte de très basse conjoncture financière. Les semences se vendent pour une vraie fortune, les tracteurs et le matériel sont hors de prix ! Le coût de revient du lait et de la viande risque de monter un peu plus en flèche, tandis que laisser pâturer est si bon marché, tellement simple et naturel, si profitable au bien-être de nos herbivores, et au nôtre aussi…
La sécheresse de 2020 n’a rien à envier aux épisodes historiques de 1976, 1947 ou 1929. De nombreuses questions se bousculent dans nos têtes quant à notre avenir, tandis que nos prés rient jaune en attendant la pluie. Reverdiront-ils cet automne ?