La floraison des cipans…
Depuis 2018, les semences de betteraves enrobées avec des néonicotinoïdes n’ont pu être utilisées qu’à condition d’éviter, pendant 5 ans, la floraison des espèces végétales entomophiles – pollinisation des fleurs assurée par les insectes – dans ces mêmes parcelles.
Or, après la récolte de betterave, les parcelles sont généralement consacrées à la culture de céréales d’hiver suivies en arrière-saison par des cultures intermédiaires piège à nitrate pour éviter la lixiviation de l’azote et la contamination des eaux souterraines. Ces « cipans » sont régulièrement constituées d’espèces majoritairement entomophiles (moutarde, phacélie, radis, féverole, tournesol…).
Les conditions météorologiques, de plus en plus clémentes, favorisent la floraison de ces couverts végétaux en fin de saison, en octobre-novembre. Ainsi, de telles cultures fleuries pourraient transformer un intérêt pour les sols, la qualité de l’eau et la faune en une menace potentielle pour les insectes pollinisateurs.
… une menace réelle dans ces conditions ?
Plusieurs expériences ont été menées au sein de l’Earth and Life Institute (UCLouvain) dans le cadre d’un travail de fin d’études afin d’évaluer ce risque. Le but était de mesurer, dans les agroécosystèmes, et depuis le sol jusqu’aux ressources florales, la présence de clothianidine, molécule de la famille des néonicotinoïdes.
Résultats au champ
L’analyse d’échantillons de sols collectés en champ montre la présence de 4,5 ng de clothianidine par g de sol, et ce 2 ans après le semis de betterave. Ce premier résultat confirme la persistance de ces produits dans les sols. Rappelons que 1 nanogramme (ng) = 1 milliardième de gramme.
Couramment utilisées en interculture, des moutardes, phacélies et féveroles ont été semées sur cette parcelle après la récolte de froment suivant la betterave afin d’évaluer la possible contamination des ressources florales de ces cipans. Des résidus de clothianidine ont été retrouvés dans le pollen de féverole et de moutarde blanche, avec des concentrations respectivement de 0,07 et 1,7 ng/g (la phacélie n’étant pas arrivée au stade de floraison).
Résultats e
En parallèle, des analyses de résidus ont été effectuées lors d’une expérimentation réalisée en serre avec ces trois mêmes espèces cultivées en pot avec une dose de départ en clothianidine quadruple du champ, dû au volume plus restreint du sol (teneur dans le sol : 240 ng/g). La clothianidine a été détectée dans les parties végétatives, tiges et feuilles (1.200 à 3.600 ng/g selon l’espèce), mais également dans les fleurs (200 à 420 ng/g), le pollen (0,07 à 1,7 ng/g) et le nectar.
Accumulation
Ces résultats indiquent que les molécules s’accumulent dans les plantes, puisque les concentrations détectées sont nettement supérieures à celles présentes dans le sol. Les teneurs mesurées dans les ressources florales paraissent faibles, mais elles présentent un danger potentiel pour les insectes pollinisateurs. En effet, les valeurs obtenues dans le pollen atteignent le seuil de toxicité chronique aiguë pour les pollinisateurs, dont l’abeille domestique (Schneider, 2012). La toxicité aiguë de la molécule est évaluée chez celle-ci à 4 ng par individu par voie orale et 30 ng par contact.
L’usage de néonicotinoïdes pour préserver les betteraves, en particulier des attaques de pucerons, est à questionner au vu de la persistance de ces néonicotinoïdes dans l’environnement. La demi-vie de la clothianidine – le temps nécessaire pour dégrader la moitié de la dose de celle-ci – est estimée selon les études de quelques mois à près de 15 ans (Arla 2017).
Feu rouge à cet usage
Il apparaît urgent d’arrêter l’usage des néonicotinoïdes, condition nécessaire pour que des alternatives voient le jour. La priorité doit être mise sur la recherche de nouvelles pratiques culturales et la sélection de variétés tolérantes à la jaunisse (éventuellement au sein de variétés « avant NNi »). L’abandon des néonicotinoïdes favorisera un rééquilibrage de la faune auxiliaire qui bénéficiera aux cultures et à la biodiversité.
,Earth and Life Institute, UCLouvain