Accueil Archive

« Acceptez le changement,

aidez à son balisage

et répondez-y ! »

Dans le cadre de l’Agr-e-Sommet qui se tenait en décembre dernier, Yves Beckers, professeur à Gembloux Agro-Bio Tech – Liège Université a pu s’exprimer sur les enjeux et les tendances dont les producteurs doivent tenir compte afin de leur permettre de repenser leur modèle agricole tout en prenant en compte les désirs du consommateur.

Temps de lecture : 8 min

Nos systèmes alimentaires sont complexes, bien assez pour que consommateurs et producteurs ne puissent correctement l’appréhender. La cause ? Il existe entre ces deux « acteurs » un effet de concentration qui se focalise au niveau de l’industrie agro-alimentaire. Dès lors, ces modèles sont forts questionnés, voire critiqués. Car si ces systèmes ont mis énormément de temps à s’établir, nombreux sont les grains de sable à enrayer peu à peu la machine. Pour y remédier, il existe deux attitudes : soit on remet de l’huile pour faire fonctionner les engrenages, soit on démonte le système pour en construire un différent. Mais pour Yves Beckers, « il ne faut pas être binaire ! Il est évidemment possible de se trouver à l’intersection des deux : on garde le meilleur de ce qui existe et on construit à côté quelque chose de nouveau. »

Deux éléments importants doivent aider l’éleveur à avoir une trajectoire vers le consommateur.

La première : les dépenses alimentaires par rapport au revenu du ménage ne cessent de diminuer : environ 10-12 %. Cette diminution au cours du temps est liée au « vouloir d’achat », qui ne cesse de grandir pour les autres dépenses non alimentaires.

La seconde : Dans les régions comme les nôtres où il y a une certaine forme d’intensification, l’agriculture est devenue pourvoyeuse de matières premières, voire d’ingrédients. Il s’explique : « Le rôle de l’agroalimentaire y est très important. Et c’est là que le fossé entre producteur et le consommateur ne cesse de grandir, malgré tous les efforts de certains pour retisser le lien entre producteurs et consommateurs. En termes de fossé, il y a aussi une indépendance totale entre le prix-consommateur et le prix que l’éleveur perçoit. Et ça, c’est inquiétant ! »

Local contre mondial

En termes de production, deux grands marchés se distinguent : le mondial et le local.

Pour le marché mondial, le but est évidemment de produire des ingrédients ou des matières premières de qualité standard à bas prix qui vont nourrir la population. Il y a d’ailleurs un certain nombre de modèles agricoles qui y arrivent très bien et qui devront continuer. Pour ce faire, il faut minimiser son prix de revient car le producteur n’a aucune action sur le prix de vente. La volatilité au niveau des prix n’arrange rien.

Quand on s’oriente vers le marché mondial, il faut aussi accepter la concurrence. Nous sommes dans un système de libre-échange, ce qui signifie que l’on se bat contre des producteurs qui sont certes moins performants mais qui présentent d’autres avantages… On peut parler de distorsion de concurrence.

Produire pour le marché local est tout à fait différent, parce que la réflexion des producteurs est de proposer une offre qualitative pour le consommateur. Ce dernier est donc au cœur de la démarche de l’éleveur. Il y a donc une proximité entre les deux acteurs puisque l’on est en circuit court, voire ultra court. Si opter pour cette voie permet de réduire le nombre d’intermédiaires, il faut être prêt à faire face à d’autres conséquences, comme le fait d’être multi-métiers. Cette solution n’est pas donnée à tout le monde, d’où la possibilité de s’associer avec des gens qui sont en amont et en aval des différentes opérations. « Faites attention, il faut garder raison à toute démarche, la ferme supermarché (ou l’on vend de l’alimentaire et du non alimentaire), je n’y crois pas. Il faut faire attention à ce dans quoi on met les pieds ! »

La démarche du local reste néanmoins tout à fait intéressante. C’est une bonne réponse, à mettre en action quand on voit certaines logiques de consommation. Celles-ci se sont notamment vues amplifier, notamment durant la crise de la Covid-19.

Il est également important pour les producteurs, transformateurs à réfléchir sur la naturalité de l’alimentation (absence de produits chimiques, d’additifs…). C’est un questionnement qui ressort très fort dans les régions du monde où le pouvoir d’achat est important.

Réfléchir l’assiette du consommateur avec lui

À la question quel modèle favoriser, l’orateur n’a évidemment pas la réponse. C’est au producteur à le réfléchir et à le construire. C’est un long cheminement, d’où l’importance d’être progressif. « Ne changez pas de modèle pour un autre, essayez plutôt de les marier. »

Repenser son système de production est tout à fait louable. Quand on veut écourter la distance entre le producteur et le consommateur, on veut surtout travailler ses recettes, son revenu en donnant de la valeur au produit. Les prix unitaires, voire les quantités vont être modulés pour amener davantage de recettes.

Mais pour repenser son système, il faut tenir compte de diverses tendances, surtout si l’on veut pouvoir nourrir 10 milliards d’individus en 2050. Une première ? Compte tenu de la démographie, de la dynamique de croissance de la population, on est passé à 0,43 ha/habitant en 1960 à une projection de 0,16 ha/ hab. Pour l’orateur, cela pose un problème : « Il y a de moins en moins de surface pour nourrir chaque habitant sur notre planète. »

Autre chose : sur un dollar consacré à la dépense alimentaire aux États-Unis, seuls 19 cents reviennent au producteur primaire. Si la situation a peut-être un peu évolué chez nous, la part payée au producteur reste faible. C’est à un point tel qu’il peut y avoir un différentiel allant parfois jusque 100 entre le prix payé par le consommateur et le prix payé à la ferme.

En ce qui concerne les actions locales, Yves Beckers rappelle que c’est dans l’assiette que cela va se régler. «Si vous voulez travailler avec le consommateur, vous devez réfléchir avec lui son assiette de demain. Cela pourrait être, pourquoi pas, un moyen d’élever les prix des aliments. Mais régler un problème peut en entraîner d’autres. L’assiette risque de changer. Il y a toute une réflexion qui se fait sur l’alimentation et il est vrai que dans notre société on est hyper alimenté. On a pléthore d’aliments et certainement que l’alimentation va être redirigée. Sur base de travaux liés à l’assiette de demain, on s’aperçoit que par rapport à celle d’aujourd’hui, nous consommerons davantage de fruits et légumes, de produits laitiers. A contrario, la consommation de viande va tendre à diminuer. « Il faut se préparer à cette éventualité malgré tout ce qu’on peut faire pour la freiner. C’est une tendance forte, bien présente ! »

Pour nourrir 10 milliards de personnes à l’horizon 2050, une série d’éléments est à prendre en considération. Cette question doit aussi être intégrée dans la démarche locale. On peut choisir son itinéraire technique. Certaines pratiques agricoles préconisées par des courants d’idée peuvent nous paraître être un retour en arrière. Cela n’est pas forcément une mauvaise chose quand c’est nécessaire. Il faut cependant être conscient que retourner à ces pratiques nécessite un retour des citoyens dans les champs. La question est dès lors de savoir si la société est prête à s’engager dans cette voie. D’autres initiatives sont intéressantes et notamment les démarches liées à l’agriculture urbaine qui consiste à remettre du vert consommable dans les villes. Si ces tendances lui semblent intéressantes, l’orateur en craint une troisième : la production de viande cellulaire. Le premier hamburger in vitro coûtait 300.000 dollars, les coûts ont aujourd’hui baissé à 9 euros… Il ne va pas arriver tout de suite sur le marché, mais il faut se préparer moyen terme à le voir débarquer sur les étals.

Allez à la rencontre du consommateur

En définitive, produire et vendre mieux sont devenus des obligations pour de nombreux agriculteurs. Pour ce faire, il est important que les producteurs acceptent le changement, participent à son balisage et y répondent.

« Beaucoup de scénarios futurs sont à envisager pour reconstruire les systèmes alimentaires de l’échelle mondiale à l’échelle locale. Si les grandes tendances ont été évoquées, raccourcir la distance entre producteurs et consommateurs est un signal fort. C’est finalement répondre à la question que produire, où, comment et pour qui ? »

Le monde agricole doit aussi accepter la « démocratie alimentaire ». Il ne doit pas uniquement produire pour la ferme mais pour le citoyen. « Allez à sa rencontre, dialoguez avec lui sinon vous risquez de vous tromper. »

Tous les acteurs doivent participer à la construction du système alimentaire, que ce soient les agriculteurs, l’agroindustrie… D’autant que pour l’orateur, il ne faut certainement pas faire l’impasse sur l’agroalimentaire ! « C’est là que les grosses consommations se font, la distribution également. Le consommateur est l’élément pivot à rencontrer ! »

Toutefois la démarche visant à rapprocher producteurs et consommateurs est une bonne chose car elle ramène de la confiance sur des éléments qui l’avaient perdue. Cette confiance est liée à la proximité et basée sur une vraie relation humaine. « C’est plus facile d’avoir confiance en son voisin qu’en une personne qui travaille à 1000 km, quand bien même il travaille bien », explique M. Beckers.

C’est d’autant plus important de pouvoir mettre un visage sur ses produits pour les promouvoir. « Et quand je parle de visage, c’est vous agriculteur et non la vache, le cochon ou la poule que vous allez abattre. Le système doit être transparent, tout en racontant une belle histoire au citoyen. Il en est friand ! »

P-Y L.

La Une

L’Unimog, la polyvalence au champ et sur route

Echo des entreprises De Wörth am Rhein, où il est produit, à la Belgique, où l’importateur Marcel Van Dyck entend bien lui faire une place dans les fermes, l’Unimog n’a que quelques centaines de kilomètres à parcourir. Avec quels arguments à défendre ? Sa polyvalence, sa nouvelle console UniTouch et, entre autres, ses multiples possibilités en termes d’attelage, d’hydraulique et de prises de force.
Voir plus d'articles
Le choix des lecteurs