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Des objectifs contraignants, des flexibilités

et des moyens qui restent à préciser

Malgré les pressions de toute part, la commission a présenté le 22 juin sa proposition de transformer la directive européenne sur l’utilisation durable des pesticides en un règlement plus contraignant.

Temps de lecture : 9 min

Cette proposition obligerait les États membres à se fixer des objectifs de réduction de l’utilisation des produits phytosanitaire en vue d’atteindre une baisse de 50 % au niveau de l’UE en 2030.

Des flexibilités tiennent compte de l’intensité d’utilisation, des efforts faits au cours des dernières années et de la dangerosité des molécules. Selon ce dispositif, les pays les plus vertueux pourraient donc se fixer un objectif de réduction limité à -35 % et les plus gros consommateurs, eux, devraient atteindre jusqu’à -65 %.

Autre mesure : l’interdiction de l’usage des pesticides dans les zones Natura2000. Mais le texte apporte peu de réponses sur le nerf de la guerre : les moyens (financiers mais aussi techniques) mis à la disposition des agriculteurs pour entamer ces transitions. Côté incitations, il est en effet prévu, sans plus de précisions, de soutenir le développement de solutions alternatives (molécules à faible risque) ou technologiques (NBT, agriculture de précision…) et d’autoriser les États membres à apporter une aide supplémentaire via la PAC au déploiement des méthodes de lutte intégrée contre les ravageurs.

Première nouveauté : la révision proposée transforme l’actuelle directive (SUD) en un règlement (SUR) rendant les obligations bien plus contraignantes pour les États membres. Avec ses objectifs chiffrés obligatoires et son interdiction d’utilisation des pesticides dans les zones sensibles (dont Natura2000), sur le papier, le texte sur la table est resté très ambitieux malgré le retard pris par sa publication (signe en général d’une dissolution des ambitions initiales).

Mais c’est dans les détails (dérogations, flexibilités) et surtout à l’issue d’un processus de discussions dans les institutions européennes qui promet bien des débats, que sa réelle portée pourra être mesurée que ce soit en termes de contraintes ou de mesure d’accompagnement.

Des objectifs pondérés

Le règlement prévoit que les États membres fixent, dans des plans d’action nationaux, leurs propres objectifs contraignants. Mais ces objectifs pourront s’écarter du seuil de -50 % (à la hausse comme à la baisse) dans les limites d’une formule qui permet aux États membres de tenir compte des progrès historiques réalisés avec les efforts enregistrés depuis 2011, mais aussi de l’intensité d’utilisation.

Cette notion d’intensité a été ajoutée au dernier moment pour répondre aux inquiétudes de certains États membres d’Europe centrale et orientale notamment. Mais pour maintenir un niveau d’ambition suffisant, un plancher minimum de 35 % est fixé.

Dans les grandes lignes : une baisse de 35 % peut être autorisée lorsque l’intensité d’utilisation pondérée du risque des produits phytopharmaceutiques d’un État membre est inférieure à 70 % de la moyenne de l’UE. Un objectif de 50 % devrait être fixé lorsque l’intensité de l’utilisation au cours se situe entre 70 % et 140 % de la moyenne, et de 65 % si l’intensité est supérieure à 140 %.

À titre d’exemple, la commission a transmis des chiffres sur l’utilisation de pesticides en kg par hectare en 2019 : 8,9 kg/ha aux Pays-Bas, 4,5 kg/ha en France (cinquième position), 3,8 kg/ha en Allemagne, 3,7 kg/ha en Espagne et en queue de peloton 0,6 kg/ha en Roumanie.

Mais à cette intensité s’ajoute également un paramètre prenant compte de la réduction de l’utilisation entre la moyenne des années 2011, 2012 et 2013 et celle des années 2015, 2016 et 2017. Enfin, une pondération est appliquée en fonction des catégories de substances utilisées. L’UE les classe en quatre groupes : les substances actives à faible risque, les substances actives les plus dangereuses, toutes les substances actives approuvées, et enfin les substances actives qui ne sont pas approuvées. Ces pondérations visent à encourager l’utilisation de produits contenant des substances actives à faible risque et à décourager l’utilisation de produits jugés les plus dangereux en particulier, les substances non approuvées mais utilisées via des autorisations d’urgence au niveau national.

Natura 2000 et PAC

Deuxième grande proposition du texte : l’interdiction d’utilisation de produits phytopharmaceutiques dans les zones sensibles (Natura2000 notamment) et à moins de 3 mètres de celles-ci. Mais le règlement autorise le recours « au cas par cas » à des dérogations. De même, l’application par voie aérienne devrait être interdite « avec des dérogations limitées ». « L’application de produits phytopharmaceutiques à partir d’un aéronef (y compris l’application par des avions, des hélicoptères et des drones), est généralement moins précise que les autres moyens d’application et peut donc potentiellement avoir des effets néfastes sur la santé humaine et l’environnement », justifie le texte.

« Les pesticides doivent désormais être utilisés en dernier recours lorsque tous les autres moyens de lutte ont été épuisés. » C’est le nouveau mantra de la commissaire européenne à la Santé. Pour y parvenir, la commission veut amplifier le déploiement des méthodes de lutte intégrée contre les ravageurs et table sur le développement de l’agriculture de précision.

Afin d’accompagner les transitions, une dérogation temporaire (de cinq ans) va être adoptée au titre de la PAC pour permettre aux États membres de soutenir (dans le cadre des écorégimes du 1er pilier, des mesures agroenvironnementales du 2e pilier et des aides aux investissements) la mise en œuvre des méthodes de lutte intégrée. Faisant partie des exigences de base de la Pac, elles ne peuvent en effet pas actuellement bénéficier d’aide supplémentaire.

Des solutions technologiques

Suffisant pour rassurer le secteur agricole ? La commission admet, dans l’étude d’impact qui accompagne sa proposition, que ces dispositions pourraient se traduire par une hausse des coûts de production en raison notamment des exigences de déclaration plus strictes et plus détaillées et de la baisse attendue des rendements en raison d’une moindre utilisation des pesticides. « Les consommateurs de l’UE pourraient voir les prix des denrées alimentaires augmenter, ce qui pourrait conduire à une hausse des importations des pays non-membres de l’UE dont la réglementation sur l’utilisation des pesticides est moins stricte », reconnaît-elle aussi.

Mais elle compte sur le développement de solutions techniques, citant les nouvelles techniques génomiques de sélection végétales et l’agriculture de précision, pour éviter tout problème de compétitivité. « Il est nécessaire de prévoir un cadre législatif qui incite au développement de l’agriculture de précision », souligne le règlement. Et, comme depuis des années, Bruxelles promet l’accélération de l’autorisation des molécules à faible risque. Et de préciser qu’une vingtaine de ces molécules ont été déjà autorisées depuis 2019.

Suivi renforcé mais décalé

Pour mesurer les progrès réalisés, le système européen de suivi de l’utilisation des pesticides et de l’évaluation des risques qui vont avec devrant être renforcé. L’UE est déjà en train de réformer son système de collectes de données.

Chaque État membre devra élaborer et publier sur un site Internet un plan d’action national contenant diverses informations, dont les objectifs nationaux de réduction à l’horizon 2030. La commission se réserve le droit de demander aux États membres de relever leur niveau d’ambition s’il n’est pas jugé suffisant. En dernier recours, elle pourrait, en théorie, utiliser la procédure d’infraction de l’UE.

Sur une base annuelle, les États membres devront présenter des rapports sur les progrès et la mise en œuvre de ces plans (incluant des données quantitatives relatives à l’utilisation, la formation des professionnels, le matériel d’application et la lutte intégrée contre les ravageurs). La commission analysera ces progrès tous les deux ans. Les données indiquant si les objectifs de 2030 en matière de réduction de l’utilisation et des risques liés aux pesticides ont été atteints ne seront donc probablement disponibles qu’en 2032.

Ce suivi se fera principalement par le biais des indicateurs de risque harmonisés adopté en 2019. Des indicateurs décriés par les ONG qui estiment qu’ils ne prennent pas suffisamment en compte la dangerosité des molécules. Certains pays, dont la France, comptent d’ailleurs bien ouvrir le débat sur ces indicateurs en vue d’en trouver de « plus robustes ».

Place désormais à des discussions au parlement et au conseil qui promettent d’être compliquées, que ce soit sur la formule permettant de fixer les objectifs nationaux, les dérogations possibles ou les indicateurs de risque. Rien ne dit que la nouvelle présidence parviendra, fin 2022, à une position des États membres. Au parlement, les débats entre commission de l’Environnement et commission de l’Agriculture devraient, elles aussi, être âpres.

Néonicotinoïdes : une volonté d’abaisser les LMR à zéro

« Nous aimerions réduire à zéro les limites maximales de résidus (LMR) pour les pesticides interdits dans l’UE dans le respect des règles de l’OMC. C’est un travail que nous avons entamé avec les États membres et nos partenaires commerciaux pour ce qui est des néonicotinoïdes », a indiqué la commissaire européenne à la santé à l’occasion de la présentation de ses propositions de règlement sur l’utilisation durable des pesticides.

Cette révision des LMR ne fait pas partie du règlement en question, mais Bruxelles souhaiterait avoir recours à cette mesure pour protéger les agriculteurs de l’UE auxquels des restrictions sont imposés. Dans son rapport sur la possibilité d’imposer aux partenaires commerciaux de l’UE des normes environnementales, publié début juin, la Commission européenne promettait déjà de réviser les tolérances à l’importation des limites maximales de résidus pour les pesticides qui ne sont plus autorisés dans l’UE.

Une réforme de la collecte des données

Fixer des objectifs de réduction de l’utilisation des pesticides est une chose, encore faut-il des outils permettant de mesurer les progrès. C’est le but de la réforme du système de collecte des données sur les intrants sur laquelle le parlement et les États membres ont trouvé, après d’intenses discussions sur la question des pesticides notamment, un compromis début juin. Aucune délégation ne s’est opposée à cet accord dont l’adoption finale aura lieu au second semestre sous la présidence tchèque.

Et la sécurité alimentaire ?

La commission va préparer « une analyse complète » sur « tous les moteurs de la sécurité alimentaire », a confirmé le vice-président de la commission européenne Frans Timmermans en marge de la présentation du paquet de propositions sur la nature. Ce travail permettra de répondre aux questions suivantes : « Quels sont les véritables problèmes qui sous-tendent les pénuries que nous connaissons ? Quelles sont les véritables solutions à long terme pour une communauté agricole productive et durable dans l’UE ? Quels sont les véritables défis pour la sécurité alimentaire en Europe et dans le monde ? ».

« Si cette analyse, fondée sur la science, nous obligeait à revoir les propositions que nous avons faites, nous y serions ouverts », promet-il. Mais il a aussi rappelé que 20 % de nourriture consommée dans l’UE est gaspillée. Et de conclure : « Il va falloir quelques années avant que nos propositions entrent en application (d’abord les négociations au Parlement et au Conseil, puis les trilogues, et enfin l’adoption), d’ici là la situation aura probablement changé. »

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