
Chute du nombre d’exploitations agricoles
Enquête de durabilité en province de Luxembourg
« Une population agricole usée et vieillissante »
« Croître ou périr »
La diminution de la marge sur les productions a par ailleurs contraint les exploitations à s’agrandir, à se mécaniser davantage et à faire appel à de la main-d’œuvre coûteuse.
Pour poursuivre leur activité, les agriculteurs n’ont plus trop le choix, il leur faudra « croître ou périr » a asséné Frédéric Rollin en ajoutant que « les revenus sont souvent constitués des primes Pac ».
Quand on travaille, on doit non seulement être valorisé financièrement, mais aussi psychologiquement et sociétalement. Et c’est là que le bât blesse pour le scientifique qui a évoqué, comme deuxième cause, le dénigrement du rôle des agriculteurs dans la société.
« Pour une partie de la population, les fermiers passent pour des assistés, voire carrément des parasites, sans parler des ruminants taxés de tous les maux ».
Concurrence, illectronisme, harcèlement administratif
La troisième raison à ce mauvais résultat tient au travail et au harcèlement administratifs dans la gestion d’une exploitation. On parle ici des contrôles tous azimuts qui génèrent un stress permanent chez les agriculteurs qui n’ont pas, contrairement à l’Administration, de droit à l’erreur.
M. Rollin a également évoqué les difficultés, pour les plus âgés, de maîtriser les outils numériques, parlant même « d’illectronisme » pour certains.
La quatrième et dernière raison porte sur l’inflation galopante des prix du foncier du fait d’investissements pas des groupes financiers (Colruyt), la concurrence de particuliers en mal de terrains et celle qui existe entre agriculteurs, parfois transfrontaliers, notamment avec le Grand-Duché de Luxembourg.
Cet ensemble d’éléments rend la transmission familiale quasiment impossible et provoque l’augmentation des fermages et des dessous-de-table.
Bientôt plus de chevaux que de bovins en Belgique ?
Si, en Wallonie, il reste environ un million de bovins, la Belgique recense 536.000 chevaux pucés auxquels il convient d’ajouter les non pucés, qui sont de l’ordre de 300.000 à… 600.000 unités.
C’est dire qu’il y aura bientôt plus de chevaux que de bovins dans notre pays. « Or, Ils émettent aussi des gaz à effet de serre » a posé le professeur Rollin, ajoutant que « ce sont par contre de très mauvais pâtureurs ».
Le scientifique s’est dans la foulée intéressé au prix moyen des terres agricoles au premier semestre 2022 pour nous apprendre qu’il tourne autour des 40.000€/ha en Wallonie, bien moin cher que chez nos voisins flamands.
S’il n’a pas de boule de cristal, Frédéric Rollin envisage l’avenir sous deux angles qui sont autant de phases successives, avec une période de chevauchement entre les deux. Le moins que l’on puisse dire, c’est qu’elles annoncent plutôt des lendemains qui déchantent…
Des lendemains qui déchantent
La première phase serait caractérisée par la poursuite de la tendance actuelle, soit une diminution drastique du nombre d’éleveurs et de bovins en Wallonie au profit des cultures qui constituent un travail beaucoup plus saisonnier et beaucoup moins contraignant qui ira de pair avec la dégradation des sols.
Une évolution qui va s’intensifier et « achever » celle qui est actuellement en cours.
« Seule son ampleur est incertaine » a prévenu le professeur Frédéric Rollin ajoutant que « sur base de la pyramide des âges et des difficultés que je peux observer, je prédis dans les dix ans la disparition de trois-quarts des élevages et de la moitié des bovins restants en Wallonie ».
Quant aux grandes exploitations restantes, « elles vont finir, contraintes et forcées, par faire de l’intégration ».
Avec un grand nombre de bovins, le « zero grazing » prendra de l’ampleur, une tendance qui ira de pair avec des races hyper-sélectionnées « comme la Holstein qui, en quelques générations, deviendra incapable de pâturer vu son potentiel génétique ».
Une vision sombre toutefois nuancée par la subsistance d’élevages de petite taille, en agriculture biologique et en circuit court et donc plus résilients.
La deuxième phase serait quant à elle portée par une augmentation du nombre de détenteurs d’animaux, une stagnation de ceux de bovins et un accroissement des petits ruminants en Wallonie.
L’ombre du rapport Meadows
« Si cette évolution est quasi certaine, seules l’ampleur et son calendrier ne le sont pas » a annoncé le Professeur Frédéric Rollin qui a replacé cette tendance dans le contexte plus global d’un effondrement de notre société annoncé dans le « rapport Meadows » du Club de Rome en 1972, lequel alertait sur la finitude des ressources planétaires dans une société à la croissance infinie.
Les chercheurs estimaient en 1972 que la croissance s’effondrerait à partir de 2020. Cette prévision s’avère globalement juste.
La croissance économique des pays développés est au mieux anémique (si l’on excepte la situation exceptionnelle actuelle du rebond post Covid-19) et celles des pays en voie de développement ont un coût écologique et social très lourd.
Garantir un revenu comparable aux autres secteurs
Si l’on veut pouvoir assurer un avenir aux agriculteurs pour qu’ils puissent continuer à nourrir leurs concitoyens, il faut tout faire pour « augmenter et conserver la main-d’œuvre et ses compétences » mais aussi garantir aux agriculteurs un revenu « au moins comparable aux autres secteurs d’activité ».
Cela passera aussi par une diminution des dépenses énergétiques et des intrants mais « il faudra aussi cultiver l’autonomie et la solidarité plutôt que la compétition, surveiller de près les disponibilités en eau, se battre pour garder un accès à la terre et s’adapter au dérèglement climatique » a déroulé Frédéric Rollin.
Quelques pistes de solutions
Le scientifique a toutefois tenu à ne pas plomber le moral des agriculteurs.
« Les bovins sont nos alliés pour la santé des sols, il faudra tout faire pour les préserver et stopper l’hémorragie en cours » a-t-il insisté, ajoutant qu’il faut « au moins 30 tonnes de fumier par hectare tous les deux à quatre ans pour maintenir le carbone organique total dans les sols à un niveau suffisant. Cela équivaut à 1,5 à 2 UGB par hectare ».
Pour M. Rollin, il faut aussi les faire pâturer et veiller à « améliorer leurs performances, diminuer le taux de réforme, l’âge au premier vêlage, l’intervalle entre les vêlages », des éléments importants pour la durabilité économique et environnementale des exploitations.
Et ce n’est pas tout.
« Il faut également optimiser leurs rations, leur digestibilité, l’équilibre azote/énergie, mais aussi concevoir des étables beaucoup moins énergivores ».
« En été comme en hiver, en prairie comme à l’étable, les ruminants nourrissent la faune et la flore des sols et contribuent à leur humification ».
« Si les bovins ont été apprivoisés par l’Homme, ce n’est peut-être pas pour leur viande, leur lait, mais leurs déjections et donc pour favoriser les productions végétales » a osé Frédéric Rollin.
