Danger : température et ensoleillement en hausse
Ces deux facteurs du climat que l’on associe sous la dénomination « héliothermie » jouent un rôle primordial pour la fructification, positivement en apportant l’énergie nécessaire, mais aussi négativement en perturbant parfois certains processus physiologiques comme la levée de la dormance par une somme de froid, ou en occasionnant des brûlures à l’épiderme et la chair des fruits.
Sous notre climat actuel, les températures hivernales suffisent à satisfaire les besoins en froid des espèces et des variétés habituellement cultivées, et par conséquent un manque de froid ne risque pas de survenir. Mais en cas de radoucissement des hivers, il conviendra, comme dans des zones plus méridionales, de calculer la somme de froid cumulée et de prendre des mesures correctives si elle est insuffisante.
L’ensoleillement, s’il devenait excessif, peut être cause d’un autre souci pour les arboriculteurs. Pendant la période hivernale, lorsque les arbres sont dépourvus de feuillage, un échauffement du bois, et suite à sa dilatation, le décollement et la déchirure de l’écorce peuvent nuire à la croissance par la suite. Ceci se produit surtout sur des arbres qui viennent d’être plantés, et qui, dans la pépinière, se protégeaient mutuellement. Un badigeon de chaux sur le tronc et les charpentières suffira généralement à éviter ces dégâts.
Les fruits, dont la chair se compose de plus de 90 % d’eau et dont l’épiderme est mince, peuvent subir des dégâts irréversibles par échauffement du côté exposé au soleil, où il se forme une tache arrondie brune de l’épiderme et dans la chair lorsque la température dépasse 35ºC. Anciennement, de telles brûlures pouvaient se produire occasionnellement lors d’épisodes caniculaires, mais comme ces derniers tendent à être plus fréquents et plus intenses, il convient d’éviter une forte exposition des fruits au soleil.
Chez nous, actuellement, on tend à exposer les fruits au soleil afin qu’ils se colorent, mais à l’avenir, il pourra être nécessaire de les protéger en laissant, lors de la taille, un peu plus de brindilles dans le haut de l’arbre. Un souvenir d’il y a une trentaine d’années dans ce contexte : en visitant fin juillet sous plus de 40ºC des vergers de pommiers dans le Limousin, et notamment un essai de jeunes ‘Golden délicious’ conduits en fuseaux étroits, cette parcelle (25 ha !) dégageait une forte odeur de pommes cuites : toute la récolte était brûlée. Alors que dans les vergers traditionnels (arbres plus hauts plus épais, où les fruits sont ombragés), il n’y avait que peu de dégâts.
Pour de nouvelles plantations, le choix d’un sujet porte-greffe un peu plus vigoureux pourrait être à conseiller, associé à une taille plus longue : par exemple pour pommiers des clones de M9 plus vigoureux ou M26, pour poiriers des cognassiers plus vigoureux que MC… Pour les fruits à pépins, le choix est vaste parmi des SPG de vigueurs très variables !
Les dégâts causés au feuillage des arbres par une chaleur trop forte sont accentués par la sécheresse de l’air. Dans les vergers équipés d’un système d’irrigation par aspersion sur la frondaison, il est possible d’éviter les brûlures aux arbres dès que la température de l’air atteint 35ºC en faisant fonctionner l’aspersion.
Plusieurs modifications de la phénologie
Rappelons que la « phénologie » est la description et la codification du cycle annuel de végétation des plantes depuis le débourrement jusqu’à la chute des feuilles. Ce système permet de caractériser le stade d’évolution des arbres à un moment précis. La température étant le principal facteur de cette évolution, toute modification va amener des changements dans le cycle phénologique du verger.
Les hivers sont annoncés plus doux et plus humides ; il faut s’attendre à ce que le débourrement soit plus précoce, à condition que la dormance des arbres ait été levée par une somme de froid suffisante. La somme de froid nécessaire varie fortement selon les espèces et les variétés.
La floraison et sa durée dépendent étroitement de la température au moment même.
Ainsi, une température constamment élevée amènera une floraison plus précoce et de plus courte durée, à ce que les premiers stades (gonflement et éclatement des bourgeons) soient plus précoces ; la pollinisation croisée sera bonne si les deux variétés sont synchronisées ;
Mais, une température fluctuante amènera une floraison plus longue et d’intensité variable moins favorable à une bonne fécondation de toutes les fleurs.
La division cellulaire des jeunes fruits, qui dure en moyenne quatre semaines, est plus intense si la température est élevée ; cela donnera des fruits de meilleur calibre que si la température est plus basse pendant cette période.
Par la suite, jusqu’à leur maturation, le grossissement des fruits est rythmé par la température et l’alimentation en eau, ainsi qu’en éléments nutritifs provenant du sol et du feuillage. Une température élevée hâtera la maturité et, surtout, le stade physiologique optimal de récolte des fruits destinés à une conservation longue. Si la cueillette est tant soit peu trop tardive, la durée de conservation des fruits s’en voit raccourcie.
La chute des feuilles sera plus tardive et plus lente si l’arrière-saison est plus chaude, pour autant que l’alimentation en eau soit suffisante.
Adapter son schéma aux maladies et ravageurs
Tout comme la phénologie des arbres fruitiers, le développement de certains organismes qui nuisent à leur croissance et à leur fructification peut être influencé par la température ambiante. Il s’agira souvent, lorsque le cycle ne comporte qu’une génération par an, d’une plus grande précocité ou d’une génération plus courte. Parfois le nombre de générations peut être augmenté, comme chez le carpocapse des pommes où un réchauffement du climat peut amener chaque année une deuxième génération.
Une plus grande précocité d’un ravageur peut aussi correspondre à un autre stade des arbres. C’est par exemple le cas du feu bactérien, qui deviendrait infectieux alors que les poiriers sont déjà en fleurs, tandis qu’actuellement le risque est moindre puisque la floraison est terminée lorsque les infections commencent.
Il convient de modifier son schéma et son calendrier des traitements propre à chaque maladie ou ravageur en fonction des modifications du climat. Il en va de même pour les traitements hormonaux qui doivent être effectués à un stade d’évolution phénologique bien précis des arbres et non à une date précise du calendrier.
Opter pour des variétés adéquates
Lors de la création d’un nouveau verger ou de la modernisation d‘un verger existant, le choix des variétés doit tenir compte des changements du climat. Deux options s’offrent à notre réflexion :
Choisir des variétés nouvelles
Comme la résistance des arbres à la sécheresse, à la chaleur et au rayonnement solaire fait plus que jamais partie des objectifs visés dans les programmes de création variétale, certaines variétés nouvelles peuvent être intéressantes dans le contexte qui nous occupe, à condition d’être disponibles pour les amateurs ou les semi-professionnels.
En effet, la plupart des variétés nouvelles font l’objet d’une protection juridique plus ou moins sévère qui peut aller du simple paiement d’une royaltie lors de l’achat des arbres, jusqu’à un système de « club » où la variété est intégralement protégée : son nom, le matériel végétal lui-même, l’autorisation de le cultiver, la façon de le cultiver, la commercialisation des fruits (s’ils atteignent le niveau de qualité imposé !), l’interdiction d’utiliser les pépins ou les noyaux dans un programme d’amélioration… et d’autres encore ! On comprend que peu de ces variétés soient accessibles à des non-professionnels.
Comme le marché des arbres est mondialisé, l’examen sur internet des propositions faites par les pépiniéristes du monde entier peut néanmoins être instructif.
Préférer des variétés
traditionnelles
Sous notre climat, des zones à climat plus chaud ont cultivé dans le passé des variétés bien adaptées à leur climat, par exemple moins exigeantes en froid hivernal, à ramure plus résistante au soleil et à la chaleur et/ou à la sécheresse que les nôtres. On en trouve dans les pépinières ou dans des collections régionales, et chez les membres de diverses associations.
Ici aussi, internet est un excellent outil de prospection en vue de préparer des visites sur place dans le Sud de la France, en Italie ou en Espagne pour ne citer que les pays les plus proches. Et ne pas oublier à cet égard les États-Unis !
Satisfaire les besoins en eaux malgré les changements
Parmi les changements du climat annoncés pour l’avenir, une modification des apports naturels d’eau vient en deuxième place après celle des températures, mais elle est nettement moins précise. Il peut y avoir une modification ou non de la quantité totale annuelle de précipitation (c’est l’aspect quantitatif), et/ou une modification du régime des précipitations (répartition saisonnière ou non, quantité d’eau par unité de temps).
Comme dans le passé, et même encore actuellement, il est impossible de dégager des tendances générales à partir des données d’une série d’années puisque lorsqu’on les compare entre elles, le premier constat qui saute aux yeux est une extrême diversité quantitative d’une année à l’autre ainsi que de la répartition saisonnière des pluies. Dans un verger adulte, la succession d’années où les précipitations sont déficitaires par rapport aux besoins des arbres et de la couverture herbacée, d’une part, et la répétition de longues périodes sèches à des moments où les besoins en eau sont les plus criants, d’autre part, doivent faire réfléchir à envisager des apports d’eau. La quantité, les moments, les systèmes sont à déterminer.
Dans un nouveau verger, les besoins en eau sont différents entre les deux (ou trois ?) premières années, où l’on demande aux arbres juvéniles de développer rapidement une ramure bien équilibrée qui deviendra productive au stade adulte. La zone à irriguer est localisée ; elle se limite au volume (en augmentation) de terre explorée par les racines.
À ce stade, des essais réalisés sous le climat belge de la fin du 20ème siècle ont montré que par rapport à un témoin non irrigué, l’apport d’eau augmente la croissance et la production des premières années, et que l’apport combiné d’eau et d’engrais double cette différence. Les dilueurs d’engrais spéciaux sont peu coûteux et simples à intégrer pour quelques années dans un réseau l’irrigation localisée.
Les besoins en eau d’un verger sont la somme de l’eau évaporée toute l’année par le sol et sa couverture végétale, s’il y en a une, et de l’eau transpirée par le feuillage pendant la saison de végétation. Le mode d’entretien du sol a varié au fil du temps et de la disponibilité en eau.
Dans les zones où l’eau est un facteur limitant, le sol nu travaillé a souvent été adopté en raison de sa (relativement) bonne économie en eau et de sa simplicité d’exécution, malgré quelques inconvénients (blessures aux troncs et racines superficielles, érosion du sol…). Avec le développement d’herbicides totaux systémiques ou de contact, cet inconvénient a disparu, mais l’emploi de ces herbicides et le sol nu non travaillé sont souvent remis en question.
Le paillage du sol, qui consiste à recouvrir le sol d’une couche de débris de végétaux broyés, est une technique ancienne qui connaît une nouvelle vogue notamment dans un ensemble des pratiques de la permaculture. Attention cependant aux risques d’incendie si de la matière organique bien sèche est épandue au pied des arbres ! L’enherbement permanent est adopté dans les vergers où des animaux sont mis à pâturer.
Le système d’irrigation idéal diffère notamment selon le nombre d’arbres, leur mode de conduite et leur âge. Nous y reviendrons dans un prochain article.
Ir André Sansdrap
Wépion