
Ce motif d’opposition se positionne comme une garantie de bonne exploitation des parcelles pour le bailleur. La loi prévoit ainsi, premièrement, que le cessionnaire doit disposer de toutes les aptitudes et connaissances pour exploiter les parcelles dont le bail lui est cédé. La capacité professionnelle peut s’entendre, simplement définie, de la connaissance suffisante du métier d’agriculteur.
Critères d’aptitudes, un seul suffit
La question qui se pose est de fixer les critères : à partir de quel moment le cessionnaire peut-il être considéré comme suffisamment armés en termes de « savoir-faire » professionnel ? On peut, à ce sujet, déjà s’en référer à l’article 35 al.3 de ladite loi, lequel énumère les critères d’aptitude que doit légalement remplir le cessionnaire : « 1° le cessionnaire est porteur d’un certificat d’études ou d’un diplôme à orientation agricole ; 2° le cessionnaire poursuit un cursus depuis un an au moins en vue d’obtenir un certificat d’études ou d’un diplôme à orientation agricole ; 3° le cessionnaire est exploitant agricole ou l’a été pendant au moins un an au cours des cinq dernières années ». Ces critères ne sont pas cumulatifs : en d’autres mots, il faut mais il suffit que le cessionnaire en remplisse un.
Il sera observé que, à quelques nuances près, ces critères sont identiques à ceux qui doivent être remplis par le bénéficiaire d’un congé pour le motif d’exploitation personnelle (voir article 9 de la loi à cet égard).
Les moyens matériels plus difficiles à cerner
Quant aux « moyens matériels nécessaires pour une bonne exploitation du bien loué » dont les termes, à l’article 36 5° de la loi, suivent un « ou », et par un « et », leur définition peut être plus difficile à cerner, ce d’abord et surtout parce que la loi n’explique par comment il faut les entendre et ensuite parce que l’exercice de la profession d’agriculteur peut en règle être menée sans forcément disposer de (beaucoup) de matériel : le recours, aujourd’hui, à l’entreprise agricole, même à grande échelle, est fréquent et l’achat de matériel, surtout à grande échelle, s’avère parfois fort coûteux…
À des fins d’intérêt général
Le sixième motif est le suivant : « 6º l’intention des administrations publiques ou personnes juridiques de droit public qui ont loué le bien, d’affecter ce bien, dans un délai inférieur à cinq ans, à des fins d’intérêt général ».
Ce motif d’opposition, cela va de soi, ne pourra être soulevé que par les administrations publiques ou personnes juridiques de droit public en leur qualité de bailleur. Ceux-ci ont loué à ferme un bien et entendent affecter ce bien à un projet d’intérêt général. Ce motif d’opposition, pour imprécis qu’il apparaît, ne peut et ne doit être la résultante d’une vague intention de l’autorité publique de procéder à telle ou telle réalisation. D’abord parce qu’il est logique que le juge, saisi de l’opposition, soit en mesure d’apprécier si le projet envisagé rencontre la notion d’intérêt général, ce qui suppose que des explications un tant soit peu précises soient communiquées. Ensuite parce que ce projet doit être concrétisé dans un délai inférieur à cinq ans, ce qui, en termes de gouvernance publique, revient presque à dire « demain » : il faut en effet délibérer, budgétiser, rédiger le cahier des charges, attribuer le marché public, etc etc. Rappelons que, tout au long de la loi sur le bail, une place particulière est toujours laissée à l’autorité publique avec, souvent, une forme d’assouplissement des règles à son profit : ceci s’explique par l’habituelle distinction à faire entre l’intérêt général/public avec l’intérêt privé…
La prochaine et dernière parution relative aux contours de l’opposition à cession privilégiée sera consacrée aux sanctions et aux conséquences en cas de triomphe d’une action judiciaire destinée à s’opposer à une cession privilégiée… En attendant, ne perdons pas de vue que, la matière étant complexe et bien souvent à nuancer au cas par cas, un conseil préalable ne mange jamais de pain…
avocat au Barreau de Tournai