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Pour une meilleure répartition

des bénéfices entre les différents acteurs

Temps de lecture : 5 min

Le monde agricole est tantôt vénéré tantôt critiqué. Vénéré, lorsque plus de 150.000 personnes vont chaque année fin juillet à la foire agricole et forestière de Libramont. Lorsque les médias font des reportages sur votre métier. Quand vous organisez des portes ouvertes d’une multitude de fermes ou des événements comme la ferme à la ville, il y a foule.

Et lorsque vous exprimez votre colère dans les rues avec vos tracteurs devant l’entrée des dépôts de la grande distribution, devant le parlement wallon, ici aussi, vous attirez la sympathie d’une partie de citoyens qui tentent de comprendre quelles sont les causes des difficultés auxquelles vous devez faire face. Critiqué, lorsque les coulées de boue envahissent les maisons lors de fortes précipitations, pour l’usage de pesticides, l’installation de grands élevages de veaux, cochons, poulets qui ne verront jamais le soleil et qui seront nourris par des aliments importés. Cette double attitude vous met en colère.

Cela dure depuis presque 40 ans et vous avez l’impression que rien ne change malgré tous les beaux discours et les mesures de compensation, les subventions et primes qui ne s’attaquent pas aux racines du mal développement de notre agriculture.

Une partie d’entre vous a choisi un autre chemin

Depuis plus de 40 ans, certains d’entre vous ont développé des techniques agricoles alternatives dont le bio. Ils sont de plus en plus nombreux et soutenus par une partie de la population. En circuit court, ils vendent leurs productions à la ferme ou des coopératives. Ces supérettes et groupement d’achats se multiplient dans nos villes dans nos villages. Des jeunes non issus du monde agricole se joignent à ce mouvement. Ils reprennent des terres cultivent et élèvent des animaux en bio. Le développement de toutes ces fermes et leur croissance viennent amplifier les critiques pour les autres agriculteurs qui ne sont pas en bio qui commercialisent avec l’agro-industrie et la grande distribution

Un face-à-face sans issue ?

La grande distribution, elle-même, met en évidence le bio, la production locale, alors que vous percevez vous-même que ces géants de la distribution mettent la pression sur tous les acteurs en amont : producteurs, transformateurs de produits alimentaires et sur leur personnel. Les scientifiques sont pris à partie. Certains dénoncent les dégâts irréversibles causés à la biodiversité par vos pratiques agricoles : pertes de la fertilité des sols, pollution des nappes phréatiques, extinction des pollinisateurs, etc.

D’autres les minimisent. Invoquent l’impérieuse nécessité économique. Il est vrai que les chiffres en témoignent. Le secteur agroalimentaire en Belgique en 2022, c’est 75,9 milliards d’euros, 100.546 emplois.

Sans issues ?

Durant toute votre carrière, vous avez cherché et vous avez trouvé des issues. Aujourd’hui, votre colère s’adresse aux responsables politiques qui, par leurs décisions liées à la protection de l’environnement, vous amènent à devoir remplir une paperasserie toujours plus complexe et qui conditionnent l’accès aux diverses subventions dont vous avez bien besoin. Votre colère va aussi vers ceux qui, manifestement, gagnent très bien leur vie et s’enrichissent dans les filières que vous alimentez.

Les prix de vente n’augmentent quasi-pas. Alors que vos coûts de production ne font que croître. Les seules issues trouvées jusqu’ici pour maintenir une rentabilité économique suffisante sont : produire plus, donc plus de travail et plus d’endettement, ou obtenir plus de subventions mais avec plus de travail administratif. Vous ne voyez guère d’autres issues pour le moment.

Un système de domination très sophistiqué

Les filières de production transformation distribution des produits alimentaires fonctionnent très bien pour une partie des acteurs. Les résultats chiffrés en témoignent. Mais tous les risques : mauvaises récoltes, maladie dans le bétail, augmentation des prix de l’énergie, etc. sont pour vous.

L’augmentation continue : pollution des sols et de l’eau sont aussi pour vous puisque ce sont les ressources naturelles de base dont vous avez besoin pour vos cultures, vos élevages. En amont de vos fermes, ils sont très nombreux les marchands : de produits phytosanitaires, de matériel agricole, d’aliments pour le bétail, etc. qui gagnent leur vie grâce à vous. Vous êtes le « socle » de toute une partie de notre économie.

Pour quel avenir…

Les pertes accumulées de la biodiversité sont des dangers à ne pas négliger : fertilité des sols, extinction des pollinisateurs, etc. Mais les techniques alternatives qui permettent de réduire, voire d’annuler ces dégâts, coûtent plus cher en main-d’œuvre. Jusqu’ici, vous avez su faire face. Vous êtes un bosseur et un entrepreneur.

À ce jour vous ne voyez pas très bien les marges de manœuvre possibles pour en sortir. Les donneurs de leçons vous agacent. Quant aux syndicats agricoles, ils oscillent entre la défense bec et ongles du métier mais sans changer le cadre de cette agriculture exportatrice, sans remettre en question la répartition des subventions de la Pac de façon pertinente.

Et si on se parlait…

Pour y voir plus clair, il faut prendre du recul, sortir du cadre habituel, regarder les problèmes sous un autre angle Il nous faut, dans les prochaines années, équilibrer la répartition des bénéfices entre les différents acteurs des filières agroalimentaires, réorienter les subventions de la Pac pour retrouver des fermes solides sur le plan économique et régénératrices de la biodiversité.

Ce qui nous manque, ce sont les étapes à mettre en place pour y arriver. Si on en parlait ?

Thierry Laureys

Énergie & Développement local

Chercheur-associé d’Etopia

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