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Drosophila suzukii: petite mouche… grands dégâts!

Observée pour la première fois en Belgique en 2011, la drosophile asiatique a rapidement colonisé tout le pays, au point de devenir le problème nº1 pour les producteurs professionnels de fraises, cerises et petits fruits. Aujourd’hui, l’absence de méthode de protection totalement efficace les contraint à recourir à une combinaison de divers moyens de lutte.

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Au cours du 20ème  siècle, plusieurs graves problèmes phytosanitaires nouveaux sont apparus dans nos vergers suite à l’introduction de bio-agresseurs. Par exemple, à partir de 1970, le feu bactérien (Erwinia amylovora) qui se répandit dans les vergers de poiriers et obligea dans un premier temps à arracher un nombre considérable de variétés sensibles, et dans les vergers restants à faire régulièrement des contrôles fastidieux de tous les arbres.

D’autres organismes nuisibles ont vu leur agressivité augmenter pour différentes raisons. La première décennie du 21ème  siècle a été marquée par une installation dans toute l’Europe de la drosophile asiatique (Drosophila suzukii) sur un grand nombre d’espèces fruitières ; elle est devenue en très peu de temps le problème nº 1 pour les producteurs professionnels de fraises, de cerises et de petits fruits. Puisqu’actuellement il n’existe pas de méthodes de protection totalement efficaces, la lutte repose sur une combinaison de plusieurs mesures différentes.

Dans les jardins d’amateurs, la drosophile asiatique est omniprésente, mais généralement ignorée, et ses dégâts sont attribués à d’autres organismes. Faute de mesures de contrôle, les jardins d’amateurs pourraient bien être un réservoir dans lequel elle se maintient et à partir desquels elle se multiplie chaque printemps. C’est dire l’importance et l’utilité de quelques mesures prises ou à prendre dans les jardins, qui seront expliquées plus loin.

La drosophile asiatique : carte d’identité

Drosophila suzukii est un petit diptère qui ressemble fortement à la drosophile commune (D. melanogaster) que l’on voit voler au-dessus de fruits en décomposition pendant toute la belle saison ; elle est attirée par les odeurs aigres de fermentation de fruits qui ont été blessés, ce qui lui vaut le nom commun de « mouche du vinaigre ». La drosophile asiatique est originaire du Sud-Est du continent asiatique, c’est-à-dire de climats chauds et humides.

Les adultes de la drosophile asiatique sont des insectes jaune-brunâtre à bandes noires sur l’abdomen ; leur teinte est plus foncée en hiver ; les yeux sont rouges. Les mâles mesurent 2 à 3 mm ; les ailes portent à leur extrémité une tache noire. Les femelles mesurent 3,2 à 3,4 mm, l’extrémité de l’abdomen comporte un ovipositeur qui permet d’introduire les œufs sous l’épiderme des fruits, dans la chair. Les œufs sont blanchâtres, ils mesurent 0,6 x 0,2 mm ; les larves sont fusiformes, de teinte blanche, de 2 à 3 mm de long ; les pupes sont brun-rougeâtre, portant deux stigmates qui ressemblent à des cornes.

De gauche à droite : pupe, larve et deux adultes mâles. Au contraire du mâle,  la femelle ne présente pas de tache à l’extrémité de ses ailes  et porte un ovipositeur à l’extrémité de son abdomen.
De gauche à droite : pupe, larve et deux adultes mâles. Au contraire du mâle, la femelle ne présente pas de tache à l’extrémité de ses ailes et porte un ovipositeur à l’extrémité de son abdomen.

Comment se déroule son cycle annuel ?

Les femelles fécondées à l’arrière-saison qui ont hiverné sont en diapause ; leur aspect est un peu plus foncé. Au mois de mars, avec la hausse de la température, elles reprennent leur activité. Après trois à neuf semaines (en général vers la mi-avril), elles pondent 7 à 16 œufs par jour, qu’elles introduisent par un à trois sous l’épiderme, dans la chair de fruits sains presque mûrs ou en sur-maturité, sur les plantes ou même après la cueillette, pendant la commercialisation. Il y a plusieurs pontes dans un même fruit. Au total, une femelle pond 300 à 400 œufs. En quelques générations, on atteint rapidement une population importante, qui est généralement la plus élevée au mois de septembre.

En fonction de la température, les œufs éclosent 12 à 72 heures après la ponte ; le stade larvaire dure 3 à 13 jours et les pupes 3 à 15 jours ; ensuite apparaissent les adultes. Au total, le cycle dure de 8 à 28 jours. Il y a 6 à 10 générations par an, jusqu’en septembre ou octobre en fonction de la température.

La drosophile asiatique est bien adaptée à notre climat : elle est active entre 10 et 30ºC (optimum = 23ºC) ; elle aime un air humide (dans les serres, par exemple) et son activité ralentit par temps très chaud et sec. Le froid hivernal semble avoir peu d’effet sur les femelles si elles sont au stade adulte et ont été fécondées ; les larves et les mâles y sont beaucoup plus sensibles.

La drosophile asiatique n’apprécie pas les endroits exposés au vent. Le rayon d’action de son vol peut atteindre 2 km.

Les plantes-hôtes sauvages ou cultivées sont très nombreuses : jusqu’à 84 espèces sont citées. Parmi les espèces fruitières cultivées, épinglons :

– fruits à noyau : cerises, prunes, pêches, nectarines, abricots ;

– petits fruits : fraises, framboises, mûres, myrtilles, raisins, groseilles ;

– fruits à pépins : pommes, poires, nashis ;

– autres fruits : tomates, kakis, kiwis et kiweis, cornouilles, asiminiers, rosiers, aucubas, Prunus padus (et serotina  ?), sureaux… La liste n’est pas close !

En Belgique, la culture des fraisiers et des cerisiers semble la plus menacée. Sur fraises et cerises, la ponte débute dès que la coloration rouge apparaît. Comme la population augmente avec le temps, ce sont les cultures de fraisiers et de framboisiers remontants ainsi que les variétés tardives de cerises qui sont les plus exposées.

La détection de fruits infectés est difficile, s’ils sont apparemment sains extérieurement. Chez des fruits lisses, on peut remarquer un léger renfoncement de l’épiderme et un petit trou à l’endroit où se trouvent des larves, et plus tard une pourriture de la chair et le développement de champignons (Rhizopus, Botrytis…). Chez des fruits rugueux, comme les fraises par exemple, la chose est beaucoup plus difficile au début.

Dans une culture ou dans un lot de fruits commercialisés, on immergera un échantillon dans de l’eau salée ou sucrée ; les larves apparaîtront rapidement à la surface du liquide. On peut aussi utiliser un piège (voir plus loin).

Présente dans toute la Belgique depuis 2013

La drosophile asiatique est connue dans le Sud-Est de l’Asie (Japon, Corée…) depuis 1916.

Elle est signalée en Amérique centrale depuis 1997, aux États-Unis depuis 2008 sur la côte Ouest, et 2010 sur la côte Est, et en Europe, en Catalogne (Nord de l’Espagne) et dans le Haut-Adige (Nord de l’Italie). En 2009, sa présence est confirmée en Espagne et en Italie, de même qu’en France.

En Belgique, la première observation a été faite en automne 2011 dans un jardin situé à Ostende. On considère qu’elle est présente dans tout le pays depuis 2013.

Dégâts de larve dans une framboise.
Dégâts de larve dans une framboise.

Les causes de la propagation extraordinairement rapide de cet insecte sont multiples : elles tiennent à la biologie de l’insecte et au comportement des humains :

– une fécondité très élevée : de quelques femelles fécondées qui ont passé l’hiver, on atteint après 3 ou 4 générations un nombre élevé d’individus, et il y a jusqu’à une dizaine de générations par an ;

– une capacité de déplacement importante ;

– le grand nombre de plantes-hôtes sauvages ou cultivées ;

– dans un premier temps, l’absence d’ennemis naturels, et la méconnaissance de ce ravageur ;

– la faible visibilité des pontes, avant les dégâts dans la chair des fruits ;

– le transport de fruits infestés à grande distance ;

– une négligence des abords des cultures comportant des plantes-hôtes ;

– une négligence des fruits infectés tombés au sol ;

– une destruction des fruits infectés peu efficace ;

– notre climat tempéré qui lui convient bien ;

– une lutte préventive commencée trop tard dans la saison, lorsque l’insecte est déjà installé ;

– l’absence de mesures préventives ou de lutte dans les jardins d’amateurs, et d’autres encore.

Adopter des mesures de lutte préventives et prophylactiques

L’efficacité d’une série d’actions qui vont à l’encontre des facteurs de développement de la population de drosophile asiatique ne doit pas être sous-estimée, même si elle ne résout pas complètement le problème. Elle doit débuter en hiver, avant que la drosophile ait commencé à se reproduire, et à circuler.

Les abords des cultures doivent être propres : herbe fauchée rase, taille des brise-vent et des plantes-hôtes, bonne ventilation des serres et abris et placement de filets à mailles de 1,1 à 1,3 mm sur les ouvertures si la drosophile est encore absente.

Une taille sévère des arbres permet une meilleure ventilation du centre de leur ramure et un meilleur éclairement, que la drosophile asiatique n’apprécie pas.

Pendant la culture, l’enlèvement des fruits attaqués ou trop mûrs et leur destruction est obligatoire ; il faut éviter de les mettre au compost, mais plutôt soit les enterrer à au moins 30 cm de profondeur, soit les placer dans un sac en plastique translucide exposé au plein soleil (= solarisation) pendant au moins deux semaines, ou encore dans un surgélateur. Les fruits écartés lors du triage doivent aussi être détruits de la même manière.

Pour les cultures arbustives, les fruits tombés au sol peuvent être détruits en faisant picorer des poules.

Si l’espèce cultivée le permet, récolter toute la parcelle en une seule fois, y compris les fruits gâtés.

Quelle lutte chimique ?

Lors de l’apparition de la drosophile asiatique, plusieurs insecticides ont été agréés en vue de la contrôler. Depuis lors, leur liste a subi des modifications et il importe d’en vérifier l’autorisation et le délai avant récolte et consommation (voir Phytoweb) surtout quand on s’approche de la cueillette. On a observé que l’addition de sucre à la bouillie améliore son efficacité, parce qu’elle rend les fruits plus attractifs. D’autres substances attractives sont à l’étude.

Des pulvérisations répétées toutes les semaines de chaux (1,8 g/l d’eau ; 400-600 l/ha) à partir du rougissement des fruits ont donné en Suisse, sur framboisiers remontants, une diminution significative des dégâts de drosophile.

Des essais de pulvérisation de répulsifs sont en cours, sans avoir à ce jour montré une efficacité.

La lutte physique, grâce aux filets

Dans les cultures sous tunnels plastiques, la pose de filets à fines mailles sur tous les ouvrants pourrait être envisagée, mais il faut penser que ces filets diminuent fortement le taux de renouvellement de l’air.

Réaliser un piégeage massif en plein air et sous abris

Plusieurs modèles de pièges existent dans le commerce. Vu le grand nombre de pièges à utiliser (200 à 250 par hectare !), il est possible de bricoler des pièges « artisanaux ».

Pour ce faire, il convient de prendre des bouteilles d’eau gazeuse en plastique, d’une contenance de 0,5 à 1 l (hauteur : 25 cm, diamètre : 8 cm), et percées à mi-hauteur de la partie cylindrique de 3 trous de 12 mm ou 5 à 6 trous de 5 mm. Un liquide attractif est ensuite réalisé : 150 ml de vinaigre de cidre de pommes à 5 %, ou idem + 50 ml de vinaigre de vin rouge + 4 g de sucre roux de canne (plusieurs variantes sont proposées, basées sur l’expérience de leur efficacité).

Les pièges sont ensuite disposés dans les parcelles cultivées, un tous les 10 à 15 m et en bordure, tous les 2 à 3 m, à 1,5 m du sol. Il faut éviter de placer les pièges en plein soleil.

Ils seront relevés toutes les semaines de mars à septembre, et deux fois par mois d’octobre à février. En automne et en hiver, les captures permettent aussi d’évaluer la population de drosophiles hivernantes. Au printemps, la pose de pièges doit se faire au moins un mois à un mois et demi avant le début de la récolte.

Vue d’un piège « artisanal » réalisé  à l’aide d’une bouteille.
Vue d’un piège « artisanal » réalisé à l’aide d’une bouteille. - Aprel

Des recherches en cours visent à augmenter l’attractivité des pièges ; en effet, lorsque les fruits cultivés sont mûrs, ils peuvent parfois être plus attractifs que les pièges ! Il semble que la drosophile asiatique soit davantage attirée par l’odeur du feuillage des plantes que par celle des fruits, ce qui pourrait expliquer qu’à la différence avec les mouches des fruits européennes, les pontes débutent sur des fruits non encore mûrs et non sur des fruits pourris.

La lutte biologique, pour un meilleur contrôle ?

Au début de l’infestation, l’absence d’ennemis naturels, le cycle de reproduction exponentiel et notre climat ont permis à la drosophile asiatique d’être très rapidement omniprésente. La lutte chimique est difficile : peu de produits sont agréés et des traitements sont parfois nécessaires lorsqu’on est proche de la récolte. La recherche d’ennemis naturels indigènes ou exotiques et la technique de l’insecte stérile ont permis d’espérer un meilleur contrôle de ce diptère.

Le parasitoïde Trichopria drosophilae est une petite guêpe indigène qui parasite les pupes. Comme ses populations ne sont importantes spontanément qu’en fin de saison, on conseille de faire des lâchers d’adultes en début de saison, dans et autour des cultures, alors que les drosophiles sont encore peu nombreuses.

Au Japon, un autre parasitoïde a été identifié : Ganaspis brasiliensis, qui semble efficace dans les cultures de fraisier, et dont une souche est plus facile à élever.

Aux Pays-Bas, des études en cours testent l’efficacité de trois champignons : Beauveria bassiana, Isaria fumosorosea et Metarhizium brunneum. On espère améliorer les résultats par la mise au point d’une nouvelle stratégie de traitement.

La technique des insectes stériles consiste à effectuer des lâchers massifs d’insectes incapables de s’accoupler. Après leur élevage, ils sont soumis à des radiations ionisantes. La technique est utilisée pour lutter contre le carpocapse et différentes mouches des fruits. Concernant la drosophile, elle est testée en culture de fraisiers sous abri.

Une autre méthode, la technique des insectes incompatibles, consiste à inoculer à des mâles de drosophile des bactéries Wolbachia qui infectent leur sperme et les rendent incompatibles avec les ovules. Pour ces deux méthodes, la production massive d’insectes uniquement mâles reste un défi.

Des animaux insectivores peuvent contribuer à diminuer les populations de drosophile asiatique ; c’est notamment le cas des chauves-souris. Dans notre pays, la plus commune est la pipistrelle. Dans une parcelle plantée d’arbres à pépins et à noyau, l’analyse du contenu de leur estomac a indiqué que leur dernier repas contenait 30 % de drosophiles. Ceci démontre, s’il le fallait encore, l’intérêt des nichoirs à chauves-souris dans les cultures fruitières.

En bordure de parcelles cultivées, on peut recommander la présence de cerisiers à grappes (Prunus padus). Avant maturité, leurs fruits sont particulièrement attirants comme lieux de ponte pour la drosophile asiatique, mais leur rôle comme plantes-pièges est insuffisant. Il en a de même pour les sureaux (Sambucus nigra).

Ir. André Sansdrap

Wépion

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