
Pourquoi les gens voyagent-ils ? On démarre sa voiture pour aller voir aux bêtes dans une prairie éloignée, pour rejoindre son lieu de travail, se rendre dans un magasin. On roule pour voir du pays, se distraire, pour prendre des vacances à l’étranger, conduire la gamine au foot, le gamin à la danse… On prend l’auto pour visiter un musée, assister à une conférence. On prend la route pour se rendre chez un parent, chez des amis, chez le médecin aussi, aller en clinique hélas. Pour assister à un enterrement, ou à un baptême, un anniversaire, une remise de diplôme. Impossible de se passer d’une voiture, quand on habite une zone rurale, où le plus proche arrêt de bus se situe à un kilomètre, avec des horaires de passage très dilués. L’auto en rase campagne, c’est la liberté !
Dans la vie de tous les jours, l’aménagement du territoire semble être conçu pour multiplier les trajets personnels : supermarchés regroupés en banlieue, écoles et administrations au centre des villes, industries et emplois dans des zonings éloignés, logements en périphéries plus ou moins proches, etc. La motorisation de masse est une réponse obligée à cette répartition géographique. Mais que dire des transports commerciaux internationaux, par camions, avions-cargos, navires porte-conteneurs ? Leur empreinte écologique s’enfonce profondément dans le sol meuble de notre bonne vieille Terre.
Voyages par air, sur mer et sur terre, cabotages et camionnages sont les mamelles de l’économie occidentale. Le commerce mondial s’y nourrit gloutonnement, et imprime aux marchandises un vaste mouvement perpétuel très lucratif pour les multinationales, mais horriblement dispendieux en carburant fossile. L’environnement paye un lourd tribut à ce gaspillage éhonté, à l’heure où les gaz à effet de serre enferment notre planète sous une couverture chauffante réglée à son maximum. Je ne vous apprends rien.
Les méthodes modernes de gestion « zéro stock » et « flux tendu » conduisent à multiplier les transports, ce qui permet de scinder la chaîne de production en autant de maillons que nécessaire, afin de les localiser, au cas par cas, en des lieux judicieusement choisis. Les produits voyagent ainsi pour minimiser les charges salariales, sociales, fiscales et environnementales. On cite souvent le cas des crevettes danoises décortiquées au Maroc, emballées et étiquetées au Danemark, puis distribuées partout en Europe. Que dire encore de pommes de terre allemandes lavées et découpées en Italie, puis rapatriées et vendues en Allemagne ?
L’agriculture est honteusement exploitée par cette manière de procéder. La mondialisation exerce une pression insoutenable sur les prix. Chaque matière première est cotée sur référence des lieux de production favorisés : le lait mondial est estimé au prix du lait néo-zélandais, le sucre au tarif brésilien, le blé sur cotation du middle-west américain, la viande au coût argentin, etc. Nous subissons la concurrence commerciale déloyale de nations où les normes sanitaires, sociales, environnementales sont beaucoup plus laxistes. Là non plus, je ne vous apprends rien…
Mais c’est pas tout, mais c’est pas tout ! Je pourrais vous parler des méfaits du tourisme de masse, de l’exploitation des pays pauvres, de la tragédie des migrants, du trading bancaire sur les autoroutes informatiques, etc.
Parlons plutôt des virus, un thème qui volette dans l’air du temps, c’est le cas de le dire ! Notre monde grouille de mouvements incessants comme une fourmilière : un vrai bonheur pour les plantes, les insectes, les champignons, les bactéries, sans oublier les virus…, qui profitent des milliards de « taxis » pour voyager à l’oeil et se retrouver dans des endroits où ils n’ont rien à faire !
Les moustiques-tigres arrivent par avion du Brésil ; les ratons-laveurs n’ont pas traversé l’Atlantique à la nage ; les frelons asiatiques ont été introduits avec des porteries importées de Chine ; les culicoïdes chargés de virus FCO3 sont arrivés probablement par mer - d’Australie ? –, et ont débarqué à Rotterdam, épicentre de l’épidémie de langue bleue de 2024, celle-là même qui dévaste nos élevages de moutons. Voici quatre ans, le Covid-19 n’est pas venu à pied de Wuhan ; il a volé à tire-d’aile en avion jusqu’à l’Europe ! Si l’on remonte sept siècles en arrière, la Peste Noire - laquelle a tué 50 % de la population européenne, excusé du peu ! - est arrivée en navire marchand depuis la Mer Noire, « importée » en 1346 par des commerçants gênois.
Les ravages du mouvement perpétuel n’ont rien d’imaginaire : nous payons un lourd tribut à ses multiples méfaits. L’explosion des trafics contribue à rendre le développement humain insoutenable pour l’équilibre de la Terre. Et pourtant…
Et pourtant, je vais devoir retrouver tout de même une petite caisse pour sortir de temps à autre de chez moi, et ainsi participer à ma petite échelle à la vaste bougeotte motorisée planétaire, incessante et destructrice. Mea culpa !
