Accueil Voix de la terre

Des bougies à Sainte-Rita

Toussaint et Jour des Morts sont moins tristes qu’il n’y paraît, car célébrer les défunts donne aux vivants une belle occasion de se rencontrer et fraterniser, lors des offices religieux, sur le parvis de l’église ou dans les allées des cimetières. On se bise et on papote en famille ; on discute entre amis ; on taille une bavette au bord des tombes, sans manquer le moins du monde de respect pour nos chers disparus. De quoi parle-t-on ? De la pluie -qui a manqué en été- et du beau temps -un rien trop chaud pour la saison, mais qui fait pousser les herbes-. On s’intéresse à la santé de son interlocuteur ; on prend des nouvelles de la famille. On parle de tout et de rien ; on blague et on rit -jaune- d’une actualité qui a pris des allures d’Halloween au quotidien, avec un croque-mitaine russe et sa menace nucléaire, un coût des énergies terrifiant, la trouille de voir nos carrosses transformés en citrouilles…

Temps de lecture : 5 min

J’ai fait brûler deux cierges à l’autel de Sainte-Rita, patronne des causes perdues. 50 centimes/pièce : chouette, leur prix n’a pas augmenté depuis l’an passé ! Si seulement il en était de même pour l’électricité… Dès la mi-octobre, les feuilles mortes ont commencé à chuter en abondance, accompagnées des factures de régularisation tombées dans les boîtes aux lettres. Certains agriculteurs ont failli disjoncter, quand ils ont été mis au courant du montant à payer. Sur le chemin du cimetière, les sujets de conversation tournaient autour de ce sujet électrique. Les plus chanceux disposent encore d’un vieux contrat fixe et ne sont pas impactés ; les autres reçoivent une fameuse secousse lorsqu’ils ouvrent leur facture. Les exploitants laitiers ont le moral en black-out, l’ampérage émotif au plus bas. Les installations de traite -classiques ou robots- et de refroidissement, consomment un maximum, surtout lors d’un été chaud ! Ceux qui n’ont pas installé de panneaux photovoltaïques traient une bonne partie de leurs vaches pour les marchands d’électrons ; ceux qui en disposent passent tout de même à la caisse. Les « louves » automatiques, lesquelles nourrissent les veaux, mélangent et tiennent le lait chaud, sont elles aussi fort gourmandes en kilowattheures ! Les éleveurs viandeux qui ne mettent plus les veaux au pis, l’ont appris à leurs dépens. Oups ! Les chiffres cités par les uns et les autres varient de 5 à 20.000 euros de régularisation, ajoutés aux montants des factures intermédiaires…

Le plus râlant pour les fermiers de chez nous, ai-je entendu le Jour des Morts, est de voir tourner toutes ces turbines éoliennes sous nos yeux, dans nos beaux paysages ardennais désormais hachurés par ces immenses pylônes aux pales tournoyantes. Notre commune produit trois fois plus d’électricité qu’elle n’en consomme. Les projets en phase de développement, une fois concrétisés, feront doubler, voire tripler cette production ! V’la l’bon vent, v’la l’joli vent, Engie m’appelle ! V’la l’bon vent, v’la l’joli vent, Luminus m’attend ! Celui qui souffle sur nos hauts plateaux peut être considéré comme une ressource locale, me semble-t-il, un gisement d’énergie qui nous appartient, qu’on nous vole en quelque sorte, pour nous le revendre au prix fort ! C’est trop injuste, quelque part… Avant d’accepter ces moulins à vent sur nos campagnes, il faudrait négocier des compensations avec les promoteurs éoliens, au bénéfice des citoyens des entités communales qui accueillent ces turbines sur leur territoire. Pourquoi pas ? Nos boulangers, nos agriculteurs, nos petites entreprises et nos écoles pourraient se chauffer et travailler à moindre coût, pour un juste prix qui tiendrait compte des atouts et des handicaps de notre région.

Évidemment, le reste de la Wallonie et de la Belgique se fiche royalement de la Province du Luxembourg. Ce n’est pas nouveau. Les bois de nos forêts, notre eau, nos productions agricoles, nos sapins de Noël, et maintenant le vent de nos crêtes nous échappent, m’a fait remarquer en pleine messe mon voisin, en chuchotant bien sûr, tandis que notre brave prêtre africain bénissait le pain et le vin. (Voilà comment on prie entre nous pendant les offices…) Bien entendu, « Aide-toi, et le Ciel t’aidera ! ». Mais comment produire nous-mêmes notre énergie ? Rouler à l’huile de colza ; biométhaniser les fumiers ; placer partout des panneaux photovoltaïques ; récupérer la chaleur du refroidissement du lait ? Tout cela coûte bien cher à mettre en œuvre !

Le mieux sans doute consiste à moins consommer d’énergie, à isoler, à ne pas démarrer la voiture et le tracteur pour un oui, pour un non. Les habitudes ont la vie dure, et par exemple, beaucoup de gens sont allés au cimetière en auto, alors qu’il n’est distant de l’église que de 300 mètres ! Pourtant, il faudra un jour enterrer nos vieux réflexes, incinérer nos vieilles pratiques, marcher davantage à pied, reprendre son vélo, sa brouette, sa fourche et sa brosse. Les pensées tournent en rond et les conversations au bord des tombes fleuries s’envolent sans apporter de solutions. À l’écoute six pieds sous terre, nos chers défunts ont subi également toutes sortes de tourments en leur temps : deux guerres d’affilée, des récessions, des catastrophes ; ils ont connu comme nous des jours heureux, et d’autres moins. Nous ferons de même, d’une manière ou d’une autre. L’histoire réchauffe et repasse sans cesse les mêmes plats, en y ajoutant quelques nouveaux condiments à chaque fois, pour s’amuser. Nous les mangerons, pas le choix !

En redescendant du cimetière, comme il me restait l’euro en poche destiné au gosse de la « pélette » qui m’avait oublié, je suis repassé à l’église et j’ai ajouté deux autres bougies à Sainte-Rita, pour faire joli. Elle m’a gratifié d’un clin d’œil complice scintillant…

A lire aussi en Voix de la terre

Où est le printemps?

Voix de la terre Une bergeronnette fait son nid sous mes panneaux solaires, Les choucas ont fini de boucher la cheminée de mon fils. Aie ! Les tourterelles s’impatientent, les feuilles de nos arbres tardent à venir, elles chantent, ont envie de nicher. Mais oui, c’est le printemps…
Voir plus d'articles