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Le millésime 2022 vu par les œnologues belges

Les sécateurs sont rangés et les vins dans les cuves : le millésime 2022 s’annonce plus que prometteur chez nous, tant en qualité qu’en quantité. Le bilan vu par les membres de la jeune Union des Oenologues de Belgique créée en mars dernier.

Temps de lecture : 11 min

Les termes d’œnologue (et même d’œnologie) sont trop souvent utilisés à mauvais escient et confondus avec celui d’œnophilie, notamment. Qui n’a en effet pas déjà suivi des « cours d’œnologie », certes intéressants, mais où on apprend à déguster du vin et non à le faire. À décharge, il faut reconnaître que le métier a de multiples facettes, mais seuls celles et ceux qui détiennent le fameux DNO, Diplôme national d’œnologie, peuvent s’en prévaloir.

L’Union presqu’au complet.
L’Union presqu’au complet.

Actuellement, douze œnologues travaillant activement en Belgique (et une dans les Hauts-de-France) portent ce titre répondant à la définition et protection de l’Office International de la Vigne et du Vin (voir encadré). Ensemble, ils ont constitué en mars 2022 l’Union des Œnologues de Belgique, dont les statuts ont été officiellement publiés au Moniteur.

« L’Union, explique son président Thierry Cowez, est née de l’envie de nous connaître, de pouvoir échanger sur des sujets techniques propres aux vins belges et du besoin de représenter la profession dans notre pays qui est en train de vivre une magnifique expansion viticole. À chacune de nos réunions, de nouvelles rencontres et des nouveaux projets !

À ce jour, nos membres représentent les différentes facettes du métier d’œnologue : la production de vin et la viticulture bien entendu, mais aussi l’enseignement, le conseil et l’analyse œnologiques, les divers métiers de prestations de services, sans oublier la communication autour du vin et le célèbre Concours mondial de Bruxelles. De plus, nous avons souhaité une association belge, non régionale, ce qui rend, je crois, l’initiative plus pertinente.

Nous souhaitons aussi œuvrer à une meilleure représentation des œnologues au sein des différentes instances régissant la filière du vin en Belgique. »

Nous avons demandé à plusieurs d’entre eux de décrire leur expérience du millésime 2022.

Chez Ruffus

Le Vignoble des Agaises, plus connu sous le nom de sa cuvée Ruffus, a été créé il y a 20 ans d’ici (voir notre édition du 5 mai) par Raymond Leroy, rejoint depuis dix ans, par ses deux fils, Arnaud et John, le premier à la commercialisation, le second dans le chai.

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« Après mon diplôme de bio-ingénieur en chimie à Louvain-la-Neuve, explique John, je suis parti à Sup Agro à Montpellier pour me spécialiser en viti-œnologie et j’ai eu l’opportunité de passer en même temps le DNO. Cette formation nous apprend bien sûr à gérer l’œnologie mais aussi les vignes ou le commerce. Ici, à Haulchin, les vignes étant gérées par Etienne Delbeke, j’ai donc été plus directement sur le côté œnologie. Si le métier est d’assurer la transition de la vigne au produit fini, il faut savoir gérer l’ensemble du process, y compris un pépin sur une cuve. »

Lorsque l’on aborde l’évaluation du millésime, John s’anime : « 2022 est une belle année, je n’irais pas jusqu’à dire que c’est ma plus belle – j’ai préféré 2018 – mais je resigne volontiers pour une autre comme celle-ci l’année prochaine. Peu de pression de mildiou au niveau des vignes, mais le danger était, si le temps est trop sec, de se choper de l’oïdium. Cela reste facile à gérer avec un peu de soufre à la pulvérisation. La vigne n’a pas trop poussé, il y a eu moins de passages et donc moins de travail, mais nous avons été obligés d’arrêter de rogner, car durant l’été, on a eu beaucoup de jours au-dessus de 30ºC, et donc danger d’échaudage. »

« Je pense que cela va être la plus grande année pour les vins tranquilles en Belgique, mais pas forcément pour les vins pétillants. On a eu en effet un peu trop de chaleur, ce qui a entraîné un petit manque d’acidité. Cela va toutefois faire des superbes trucs, avec des vins très gourmands d’entrée, mais avec moins de potentiel de vieillissement. Dans les effervescents, c’est moins important, car le consommateur va quasiment toujours boire la bouteille dans les deux ans. »

Du côté du Heuvelland

Seul membre néerlandophone (pour le moment) de l’Union des Œnologues, Martin Bacquaert est le propriétaire du domaine Entre-deux-Monts, l’un des deux plus grands vignobles au nord du pays. Ou plutôt au sud-ouest, car son domaine est installé dans le Heuvelland, au sud de Courtrai.

Cueillette à la coopérative de Sirault.
Cueillette à la coopérative de Sirault.

« Pour ma part, raconte-t-il, j’ai étudié l’agronomie à Gand de 2000 à 2004, avec une spécialisation dans la gestion des sols et sous-sols en 2005-2006. Je suis ensuite allé à Montpellier pour un master vigne-vin, le même que John (que je ne connaissais pas à l’époque). J’y ai donc passé mon DNO axé sur la viticulture, et effectué des stages en France et en Italie. Certains pensent qu’un œnologue est un sommelier bien formé, mais l’œnologue est celui qui fait le vin. Dans le temps, on pensait plutôt à la biochimie du vin, mais la production des raisins est très importante, on ne fait pas de bon vin sans bons raisins. Le terme d’œnologue est effectivement protégé, mais ce n’est pas parce qu’on est œnologue qu’on fait du bon vin et parce qu’on ne l’est pas, qu’on n’en fait pas. »

Pour ce qui concerne le bilan du millésime, Martin se montre très attentif au changement climatique. « 2021 et 2022 sont des millésimes extrêmes : 2021 très humide avec beaucoup de maladies, et 2022 très sain, sec et ensoleillé. Ce ne sera pas chaque année pareil, mais c’est ce qui nous attend, une alternance d’années tempérées et d’années extrêmes. Cette année, il a fait très sec et très chaud et le stress hydrique pouvait être mauvais pour les vignes qui n’ont pas un profond enracinement. Mais c’est un bon millésime, avec des quantités correctes, pas énormes, mais on peut déjà dire qu’il y a beaucoup de fruit, une belle concentration et un potentiel dans les rouges.

Il a fallu surtout faire attention à l’acidité. Normalement, nous faisons d’office la fermentation malolactique sur nos chardonnays, mais nous avons décidé de ne pas la faire cette fois sur la totalité afin d’éviter une trop grosse chute d’acidité. On doit rester dans la typicité belge avec de la fraîcheur, de l’élégance, sans arômes lourds. De manière générale, je suis très content, car le volume est plus élevé que l’an dernier. J’ai fait ma première vendange en 2006, et nous avions alors récolté le raisin après le 1er octobre, mais cette année, nous avons commencé fin août ! »

Et quand on lui demande à quoi doit veiller un œnologue, Martin répond sans hésiter : « Faire attention à l’acidité est très important, mais aussi aux dates de vendanges ou à l’hygiène. Un bon œnologue doit avoir un équilibre entre la technicité apprise à l’école et la pratique, mais cela reste un métier avec une zone floue, avec des décisions parfois intuitives. Il faut pouvoir juger ce qui est au-dessus du lot, ne pas se contenter de regarder les chiffres noir sur blanc ou les analyses. »

Dans le Namurois

Le potentiel de développement du vignoble belge fait aussi venir chez nous des œnologues français, comme Hélène Thomas qui travaille depuis l’été 2021 au domaine Vins XXV à Couthuin.

« J’ai obtenu mon diplôme d’œnologue à Toulouse en 2018 et j’ai fait quelques stages pendant mes études, notamment chez Gérard Bertrand à la Clape dans le Languedoc ou au domaine Chevrot à Cheilly-lès-Maranges en Bourgogne. J’ai ensuite fait les vinifications au Château Cruzeau en Pessac-Léognan avant de travailler au Bureau interprofessionnel des Vins de Bourgogne (BIVB) où j’étais chargée d’études techniques et valorisation. »

Venue à Bruxelles en 2020 (en plein confinement) pour raisons personnelles, elle travaille comme responsable de production pour les vins Grafé-Lecocq à Namur avant d’intégrer le domaine Vins des Cinq de la famille Grégoire à Couthuin, comme œnologue et maître de chai.

« Je suis arrivée en juillet 2021 et j’ai accompagné les vendanges en vert (un éclaircissage de la vigne pour réduire la quantité de raisin – ndlr) ainsi que les travaux d’élaboration du chai puisque le domaine n’a été créé qu’en 2018. Ce fut passionnant, une belle mise en pratique du DNO. C’est en effet assez grisant de créer l’environnement dans lequel on va travailler, ce n’est pas courant. »

Le point à la fois positif et négatif du millésime a été ici aussi la chaleur, c’est indéniable. « Heureusement, nous avons eu des pluies providentielles qui nous ont permis d’éviter des blocages de maturation. Nous avons eu quelques pertes de grillure, mais elles sont minimes. L’état sanitaire est exceptionnel, les raisins sont jolis, même si j’attendais un peu plus de volume. Les pellicules sont assez épaisses, les raisins se sont adaptés aux températures estivales… La principale difficulté a été la montée très rapide en alcool des raisins destinés aux effervescents qui a entraîné une vendange précoce, un mois plus tôt qu’en 2021. Mais les équilibres sont parfaits, c’est un très joli millésime, profitons-en. »

Le point de vue du labo

Possédant la double nationalité franco-belge, Véronique Lidby a quant à elle commencé par décrocher un DEA d’Ampélographie avant de partir étudier l’œnologie à Bordeaux. Ayant assuré diverses fonctions, notamment dans les chais de Delhaize, Véronique a créé à Thon-Samson le laboratoire « AOC Vallée mosane » en 2020 où elle analyse les vins de nombreux vignerons, une autre manière d’apprécier le millésime.

« En effet, je vois cela uniquement au moment où se passent les contrôles de maturité, donc à partir des vendanges. Cette année, elles ont été assez étalées dans le temps, de début septembre à mi-octobre et ceux qui ont su ou pu attendre ont de très jolis moûts. On voit vraiment la différence entre le début et la fin des vendanges, la patience était nécessaire, c’est le maître-mot de l’année. »

« Il y a une très belle matière, je pense que les fermentations alcooliques se sont bien passées, mais elles étaient beaucoup moins rapides que l’an dernier, plus classiquement à un rythme normal. C’est un millésime qui paraît joli au niveau aromatique, j’ai vu très peu d’arrêts de fermentation et on voit qu’il y a de plus en plus une belle maîtrise du process. Qu’ils soient élaborés avec des cépages classiques ou interspécifiques, les blancs sont très bien, et les rouges ont des couleurs extraordinaires. Le degré est raisonnables, les cépages sont bien adaptés et il y a très peu de cas de chaptalisation. »

Le fait de suivre les viticulteurs dans son labo permet à Véronique Lidby de constater une professionnalisation croissante du métier. « Il y a en effet une recherche accrue de conseils, que ce soit chez les amateurs ou les professionnels, un réel besoin de savoir où on va pendant les vinifications pour ne plus piloter à l’aveugle comme avant. »

En Brabant wallon

Au Château de Bousval, l’œnologue Vincent Dienst se déclare lui aussi satisfait de la dernière vendange. « Le millésime a été très beau, on a eu de beaux rendements. Mais comme il y a eu une période froide et pluvieuse, il a fallu faire preuve de patience pour que les raisins mûrissent bien malgré le développement de botrytis par endroits. Nous avons terminé nos vendanges le 8 octobre, avec une très bonne maturité des raisins. Cela fera beaucoup de bien après le millésime 2021 qui fut très compliqué. »

À Lasne Chapelle St-Lambert, non loin du cimetière où repose E.P. Jacobs, Olivier De Vuyst a planté en association avec deux amis, sept hectares de vignes en mai dernier. Grâce à sa formation d’œnologue, il a déjà eu l’occasion de travailler dans divers vignobles dont le domaine W qu’il a quitté fin 2021. Il vient de partir quelques mois… en Tasmanie.

« J’ai terminé ma formation de bio-ingénieur à Louvain-la-Neuve en 2016, explique-t-il, et mon mémoire de fin d’études portait sur les maladies de la vigne en Wallonie. Cela m’a permis de rencontrer de nombreux acteurs de la viticulture belge, milieu en plein essor. Après avoir travaillé dans les vignes en Nouvelle-Zélande pour me faire la main, j’ai commencé le DNO à Reims pour être diplômé en 2021. J’ai pu jusqu’aujourd’hui évoluer dans divers vignobles belges et français et y amener un peu de mes connaissances. Je dois beaucoup à ces vignerons avec qui j’ai partagé de belles expériences ! »

Pour lui, le métier d’œnologue est très diversifié avec beaucoup de responsabilités qui demandent une expertise et une certaine rigueur scientifique. « Dans beaucoup de cas, poursuit Olivier, il s’agit de pouvoir transformer ce que la vigne nous offre en un produit de qualité, tout en analysant, observant et en prenant en considération un grand nombre de paramètres. Il s’agit donc d’un réel travail alliant réflexion, savoir faire et adaptation à de multiples situations. Comme le disait Aubert de Villaine lors d’une visite au Domaine de la Romanée Conti en août 2021, « un grand vin, c’est la somme de beaucoup de détails ». Il faut donc pouvoir comprendre ces détails, depuis la parcelle, jusqu’à la bouteille et les travailler de manière optimale pour sublimer ce que la plante a à nous offrir.

Bien entendu, le métier d’œnologue ne se résume pas à travailler dans un chai. Cela peut se faire dans un laboratoire d’analyses, un centre R&D, une boîte de consultance… Et ce, partout dans le monde.

C’est donc un métier polyvalent offrant de nombreuses opportunités de travail, non seulement à l’étranger mais également en Belgique car le milieu se professionnalise et a besoin de gens formés prêts à prendre les rênes de nouveaux projets. » Un beau message…

Marc Vanel

Infos: Union des Oenologues de Belgique, thierrycowez@oenobel.be.

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