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«La Pac constitue un miracle économique»

Avant de refermer le livre de l’année 2022, le parlement a décidé de placer une nouvelle fois la Pac sous le feu des projecteurs. Si l’on célèbre et rend grâce à une politique qui revêt une importance stratégique pour l’UE, cet anniversaire est aussi l’occasion de se livrer à quelques réflexions…

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Le parlement européen a ainsi décidé d’une audition publique pour évoquer son propre rôle, notamment depuis l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne en 2009 qui a en a accru l’importance.

Plusieurs députés, des anciens rapporteurs en charge de la Pac 2014-2020, les anciens commissaires à l’Agriculture Dacian Ciolos, Franz Fischler et l’actuel se sont succédé pour évoquer cette politique phare de l’Union.

Demande d’un droit direct d’initiative législative pour le parlement

La réforme de la Pac qui avait été conclue le 20 novembre 2013 lui avait permis de jouer son rôle de colégislateur à part entière sur la base du cadre institutionnel établi par le traité de Lisbonne.

Et pourtant, les eurodéputés, mais aussi l’ancien commissaire autrichien Franz Fischler qui s’est d’ailleurs exprimé en ce sens lors de son intervention, demandent l’acuisition du droit d’initiative (réservé presque entièrement à la commission) pour le parlement, qui ne serait possible que par une modification de l’architecture institutionnelle de l’UE.

Pour Franz Fischler, «les agriculteurs ont été de véritables pionniers tant  sur le plan économique que juridique et administratif».
Pour Franz Fischler, «les agriculteurs ont été de véritables pionniers tant sur le plan économique que juridique et administratif». - European Communities.

Pour autant les députés ne sont pas condamnés à l’inaction, la politique moderne ne se faisant plus seulement dans le cadre de procédures législatives mais aussi, et de plus en plus, au niveau informel.

La priorité aux zones rurales ?

Les plus anciens se souviennent qu’au début de l’année 1962, à l’issue de 140 heures de discussions, les ministres des six pays fondateurs de ce que l’on appelait alors « les communautés européennes » ont conclu un accord conférant un effet juridique à la première politique agricole commune en Europe.

Il y a 60 ans, lorsque la Pac a vu le jour, il n’y avait donc que six États membres autour de la table. L’Est de l’Europe se trouvait alors derrière le rideau de fer, là où les agriculteurs ne recevaient aucune aide, « seulement des contraintes imposées par le régime communiste » a rappelé le commissaire Wojciechowski, qui se refuse à envisager la Pac de manière isolée.

Et de revenir sur l’article 174 du traité de Lisbonne consacré à la cohésion territoriale indiquant clairement qu’il convient que les zones rurales soient considérées de façon préférentielle au même titre que les régions ultrapériphériques et les zones post-industrielles.

Le rôle de la politique de cohésion est de leur accorder la priorité, « ce qui n’est pas toujours le cas sur le terrain » a-t-il reconnu.

Il faut faciliter la vie dans les espaces ruraux afin d’y favoriser l’emploi et les reprises d’exploitations agricoles. Faut-il encore le rappeler, seuls 11 % des chefs d’exploitations agricoles de l’UE ont moins de 40 ans (chiffre de 2016).

Preuve qu’il est particulièrement difficile d’attirer de nouvelles forces vives dans le secteur. Et ce, malgré les réformes de 2013 comprenant des mesures visant à encourager les jeunes générations à intégrer le secteur agroalimentaire et à participer au développement des zones rurales.

On sait théoriquement ce qui se passera dans les quelques années à venir. Mais l’UE aura besoin d’une Pac encore plus forte après 2027. « Seul 0,4 % du PIB dépensé pour la sécurité alimentaire, ça ne suffit pas au vu des défis auxquels nous sommes confrontés » a prévenu le commissaire Wojciechowski.

Franz Fischler est l’une des personnalités qui a marqué l’histoire de la Pac. Commissaire à l’Agriculture de 1995 à 1999 dans la commission Santer puis de 1999 à 2004 dans la commission Prodi, il a souligné l’importance de l’intégration de la Pac dans le cadre juridique de l’UE ainsi que dans son tissu économique, social, institutionnel.

Le secteur et ses acteurs sont d’ailleurs « de véritables pionniers » dans ces domaines. Même la cour de justice de L’Union européenne a développé une grande partie de sa jurisprudence sur la base de cas agricoles a-t-il souligné.

La paix sociale, mais un double échec

Pour le centriste Martin Hlavacek, souvent très inspiré dans ses interventions, la Pac constitue « un miracle économique » parce que « nous sommes parvenus, au fil des années, à avoir une politique stable, résiliente, adaptable et qui est soumise à des réformes régulières qui ont contribué à traiter des défis sociétaux auxquels nous avons été confrontés, les dernières en date portant sur les questions environnementales, la protection de la biodiversité et, bien entendu, l’urgence climatique ».

Autant de missions menées en assurant la sécurité alimentaire des Européens.

« Sur plus de deux décennies, l’UE a pu réduire son empreinte carbone de plus de 20 % quand d’autres régions dans le monde l’ont accrue. Il est temps de remercier les plus de 10 millions d’exploitants agricoles et toutes les personnes qui travaillent dans ce secteur, car ils sont la principale raison de la paix sociale que nous connaissons ».

Pour M. Hlavaceck, l’UE a néanmoins essuyé deux échecs. « Nous ne sommes, d’une part, pas parvenus à réduire la fracture en termes de revenus entre les agriculteurs et les travailleurs des autres secteurs. Nous n’avons, d’autre part, pas réussi à attirer suffisamment de jeunes dans les zones rurales ».

La lettre de Sicco Mansholt

L’Europe aurait-elle donc été trop timorée ? Sans doute, car elle ne s’est peut-être pas assez imprégnée de la riche histoire de la Pac façonnée par d’illustres personnalités, dont l’un des Pères de l’Europe, Sicco Mansholt.

Tout premier commissaire à l’Agriculture, l’homme d’État néerlandais, qui a eu un rôle décisif lors de la conférence de Stresa, ne ménagea pas sa peine pour mettre en œuvre la Pac dans sa version historique, celle que l’on a connue depuis les années 60 jusqu’au début des années 90.

C’est lui qui a donné, en 1968, son nom à un rapport que l’on peut qualifier de « visionnaire » dans lequel il alertait sur la surproduction à venir, le besoin de retirer des terres de la production, mais aussi la nécessité d’accompagner la sortie d’une partie de la population agricole considérée comme excédentaire suite aux importants gains de productivité de l’époque.

Pour transformer notre système productif, en ce compris l’agriculture, il évoquait de planification et d’une politique de prix spéciale pour les produits durables.

Dès 1972, le commissaire néerlandais Sicco Mansholt a défendu l'idée  d'un revenu minimum garanti à l'échelle européenne.
Dès 1972, le commissaire néerlandais Sicco Mansholt a défendu l'idée d'un revenu minimum garanti à l'échelle européenne. - European Communities.

Dans une lettre ouverte adressée en février 1972 au président de la commission européenne Franco Maria Malfatti auquel il succéda, Sicco Mansholt évoquait une politique écologiste fondée sur la décroissance de l’économie, après avoir lu le rapport du MIT (Massachusetts Institute of Technology) plus connu sous le nom de « rapport Meadows », publié la même année par le Club de Rome.

Il y défendait aussi l’idée d’un revenu minimum garanti à l’échelle européenne, évoquait l’épuisement des ressources naturelles et demandait de cesser immédiatement de tirer des chèques en blanc sur le futur.

Déjà au début des années 70, l’Europe écologique lui était apparue comme une nécessité, quitte à stopper la croissance de nos sociétés industrielles. L’Europe « humaine », celle de la « croissance zéro », devra abolir la notion de Produit national brut pour promouvoir celle de « Bonheur national brut » plaidait-il alors, transfiguré par la lecture du « rapport Meadows ».

Abstractions ? Divagations d’un technocrate qui s’est cru philosophe ? D’aucuns pensent qu’il s’agissait de la plus réaliste des prises de position, qu’il fallait la comprendre ou se préparer à mourir…

Pour l’eurodéputé socialiste français Éric Andrieu, l’ancien commissaire néerlandais n’aura pas été suffisamment pris au sérieux, même si l’on peut deviner une certaine filiation avec le « Pacte Vert » actuel. Et d’appeler de ses vœux la troisième Pac, celle que Sicco Mansholt avait déjà esquissée…

Une Pac « construite à l’envers »…

L’histoire récente a montré la capacité du parlement à être force de proposition et à porter des sujets importants tel que le règlement OCM où il a eu le pouvoir d’initiative.

« Mais on ne pourra exagérer outre mesure son pouvoir, surtout face à une réforme mal engagée depuis le début » a prévenu M. Andrieu, lui qui fustige une Pac qui, selon lui, aura été « construite à l’envers ».

« L’idéal, en politique, est de commencer par fixer des objectifs, avant de définir un budget et de mettre ensuite en œuvre des outils efficaces ».

Or, dans le cas présent, « on a fait le contraire en fixant d’abord le budget, puis en déterminant des outils (les moins efficaces) avant de se fixer des objectifs », en l’occurrence le « Pacte Vert » et ses deux stratégies « De la fourche à la fourchette » et « Biodiversité ».

L’eurodéputé socialiste a pointé une nouvelle fois le rôle du conseil européen, critiquant le principe de la présidence tournante qui rendrait les négociations très compliquées, en particulier quand elles portent sur des sujets complexes qui courent sur plusieurs années. « On ne peut changer de partenaire de négociation tous les six mois. Il faut s’organiser différemment » a-t-il cinglé lors de son intervention.

« Le parlement doit gagner en maturité »

Le socialiste portugais Luis Capoulas Santos, principal acteur de la réforme de la PAC 2014-2020 qui s’achève (en tant que rapporteur pour les paiements directs et le développement rural) a déclaré que « la Pac est le seul exemple de la manière dont il est possible d’appliquer une politique réussie sur différentes zones géographiques, aux besoins différents, par le biais de règles communes qui garantissent une concurrence loyale ».

Le Français Michel Dantin (rapporteur du règlement OCM 2014) a tiré comme conclusion des longues et difficiles négociations de 2011, après l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne, que le parlement « ne doit pas reculer ».

« Sans la détermination de cette instance démocratique, il n’y aurait eu aucun changement dans les règles de concurrence applicables à l’agriculture et pas même sur la suppression des droits de plantation en viticulture » a-t-il précisé.

« Pour réussir dans les négociations interinstitutionnelles », a-t-il ajouté, « un rapporteur a besoin de compétences suffisantes, d’une forte majorité et de courage politique. Le parlement doit gagner en maturité et éviter de se voir imposer des rythmes qui ne correspondent pas à ceux du nécessaire débat parlementaire ».

Marie-France Vienne

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