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Du champ à l’usine, réduire ensemble l’impact de la filière betterave-sucre sur l’environnement

Au-delà des considérations économiques, la filière betterave-sucre réfléchit à son impact sur notre environnement. Que ce soit dans les champs ou à l’usine, de nombreux efforts ont déjà été consentis, mais devront être suivis d’autres actions pour répondre aux attentes de la société et du monde politique. De la racine au morceau de sucre, tous les acteurs devront agir main dans la main pour que les pratiques de demain permettent d’atteindre un haut niveau de durabilité environnementale.

Temps de lecture : 8 min

Depuis 2017, la filière betterave-sucre souffre… Pas moins de 1.000 agriculteurs s’en sont détournés, soit une réduction des surfaces cultivées de 7.000 ha en cinq ans (-12 %). Pour garantir sa pérennité, il convient d’assurer les revenus des planteurs et des usines (lire notre édition du 12 janvier) mais aussi de limiter son impact sur l’environnement.

C’est pourquoi ce point stratégique a été abordé à l’occasion de la conférence « Plan B(etterave) », le 14 décembre dernier, par Marie-Christine Ribera, directrice générale du Comité européen des fabricants de sucre (Cefs), Laetitia Van Roos, conseillère en stratégie alimentaire auprès de la ministre de l’Environnement Céline Tellier, Philippe Baret, professeur à l’Université catholique de Louvain, Sylvie Decaigny, manager Agronomie et Durabilité de la Raffinerie tirlemontoise, et Hendrik Vandamme, vice-président de la Confédération des betteraviers belges. Tous ont ainsi tenté d’apporter des pistes de réflexion afin d’accroître la durabilité environnementale de la filière, tout en faisant le point sur les nombreux efforts déjà consentis.

De gauche à droite: Marie-Christine Ribera, directrice générale du Comité européen des fabricants de sucre, Lætitia Van Roos, conseillère en stratégie alimentaire auprès de la ministre de l’Environnement Céline Tellier, Philippe Baret, professeur à l’Université catholique de Louvain, Sylvie Decaigny, manager Agronomie et Durabilité de la Raffinerie tirlemontoise, et Hendrik Vandamme, vice-président de la Confédération des betteraviers belges.
De gauche à droite: Marie-Christine Ribera, directrice générale du Comité européen des fabricants de sucre, Lætitia Van Roos, conseillère en stratégie alimentaire auprès de la ministre de l’Environnement Céline Tellier, Philippe Baret, professeur à l’Université catholique de Louvain, Sylvie Decaigny, manager Agronomie et Durabilité de la Raffinerie tirlemontoise, et Hendrik Vandamme, vice-président de la Confédération des betteraviers belges. - J.V.

Répartir les risques sur l’ensemble de la filière

Dès l’entame des débats, Hendrik Vandamme insiste sur l’importance d’associer les thématiques du revenu et de l’environnement, sans en privilégier une plutôt que l’autre. « La lutte contre le dérèglement climatique ainsi que la protection de l’environnement sont importantes. Mais il convient aussi de garder à l’esprit que le revenu agricole doit être maintenu. D’une part, pour assurer la subsistance des planteurs et, d’autre part, en vue de répondre à ces attentes et réaliser les investissements qui s’y rapportent », détaille-t-il.

Dans ce processus de transition, les betteraviers pourraient toutefois compter sur le soutien de l’industrie. « Les sucreries réfléchissent, elles aussi, à la manière de réduire l’impact environnemental de la culture betteravière, étant donné que les racines constituent leur matière première principale », lui assure Sylvie Decaigny. Cela passe, notamment, par le développement du « carbon farming », la préservation des ressources en eau et l’amélioration de la biodiversité.

« Nous organisons également des coins de champ lors desquels les agriculteurs se rencontrent et partagent leurs pratiques favorables à la préservation de notre milieu. Celles-ci se développent et les discussions permettent de les faire essaimer », ajoute-t-elle.

Tester de nouvelles pratiques implique néanmoins de prendre des risques, notamment financiers. Le souhait de l’industrie serait de répartir lesdits risques sur l’ensemble de la filière betterave-sucre afin que les agriculteurs ne soient pas les seuls à subir les conséquences d’un éventuel échec.

Philippe Baret partage cette opinion : « La transition environnementale fera intervenir l’ensemble des acteurs du secteur. Au cours de ce processus, ils se doivent d’analyser l’ensemble des indicateurs disponibles, tant écologique qu’économique ».

Trouver un équilibre entre les piliers de la durabilité

Et le professeur louvaniste de livrer son analyse : « L’Union européenne a fixé à ses États membres des objectifs ambitieux en matière de durabilité environnementale et ce, à l’horizon 2030. Soit demain ! Pour atteindre ces objectifs, il est essentiel de travailler à l’échelle sectorielle. Les planteurs et les sucreries doivent faire des efforts, mais leurs clients finaux aussi ».

Au risque de s’attirer les foudres de certains, il ajoute qu’il ne sera pas possible, simultanément, de satisfaire à tous les critères environnementaux et de maintenir la rentabilité économique actuelle. « Ensemble, nous devons décider si la dimension économique est la seule à guider notre trajectoire… Bien entendu, l’aspect financier fait partie intégrante de la durabilité, mais il ne doit pas primer sur les piliers environnemental et social. Tout l’enjeu réside dans notre capacité à trouver un équilibre entre ces trois composantes. »

Des propos auxquels réagit Marie-Christine Ribera, se montrant en léger désaccord avec M. Baret : « Indéniablement, la filière doit agir pour décarboner ses activités. Mais j’estime que l’on peut maintenir notre rentabilité économique actuelle sans pour autant négliger les autres piliers de la durabilité ».

Pour cette dernière, les sucreries ont toujours été volontaires en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre. Suivant l’évolution de nos industries, elles ont ainsi abandonné l’usage du charbon, se tournant vers le gaz naturel. La crise énergétique actuelle sera une nouvelle opportunité de revoir leur approvisionnement énergétique.

« Toutefois, les pistes proposées par l’Union européenne que sont l’électrification et le recours à l’hydrogène me semblent difficilement envisageables. En effet, électrifier une usine requiert un investissement considérable, pour autant que le réseau de distribution soit adapté et puisse répondre à la demande d’une telle infrastructure. Quant à l’hydrogène, de trop nombreuses questions demeurent sans réponse… »

La pulpe, « une source durable d’énergie »

Dans le cadre de cette transition, la pulpe pourrait être redirigée vers des unités de biométhanisation. « Ce biogaz permettrait de décarboner la filière, mais l’UE refuse d’admettre que la pulpe est une source durable d’énergie et ne doit donc pas être considérée de la même manière que le charbon ou le gaz, notamment en matière de taxation. »

Une situation que la présidente du Cefs trouve d’autant plus aberrante que la bagasse (les résidus de cannes à sucre après extraction du jus sucré) peut, elle, être exploitée pour l’approvisionnement énergétique des sucreries. « Nous demandons prestement aux instances européennes qu’un cadre réglementaire favorable à l’usage des pulpes à des fins énergétiques voit le jour ! »

Sans aucun doute, cela permettrait d’accroître la durabilité environnementale de la filière. Mais requiert également de trouver un équilibre avec les éleveurs qui font usage de la pulpe dans la ration de leur cheptel.

Circularité, au champ et à l’usine

« Cela prouve encore une fois que la filière fait de la circularité un de ses points forts », rebondit Hendrik Vandamme. Outre l’utilisation des pulpes évoquées ci-dessus, le feuillage est restitué au sol et les écumes de sucrerie sont valorisées sous forme d’amendement calcaire. « Rien ne se perd… sauf les betteraves laissées au champ. »

L’industrie n’est pas en reste non plus et travaille, notamment, sur l’eau. Le précieux liquide est utilisé afin de nettoyer et transporter les racines dans la chaîne de production mais n’est pas éliminé par la suite. Conduit vers les bassins de décantation, il pourra faire son retour, plus tard, dans la sucrerie. « Nous pourrions également envisager de l’utiliser pour irriguer les cultures situées à proximité des usines, quand la situation climatique l’impose », ajoute Sylvie Decaigny.

À condition toutefois de bénéficier des autorisations ad hoc. Et sur ce point, le monde politique se montre clair, de même que pour la production de biogaz à partir des pulpes. « Nous devons faciliter la recherche et les discussions et mettre en œuvre les réglementations favorables à davantage de circularité. Mais, en parallèle, nous veillons à fixer des priorités », explique Laetitia Van Roos. Par exemple, les pulpes doivent être valorisées dans un ordre bien défini : alimentation humaine, alimentation animale et, en dernier recours, production d’énergie.

Pour l’eau, le schéma est similaire : alimentation humaine, alimentation animale, irrigation des cultures et, enfin, processus industriels. « Par le biais de Circular Wallonia et du plan de relance de la Wallonie, nous avons débloqué des fonds en vue de déterminer comment utiliser l’eau, comment la traiter et comment la conserver tant en termes de qualité que de quantité. »

Trouver ensemble des solutions

Cela nous amène à l’impact des changements climatiques sur l’ensemble de la filière. En effet, si les planteurs en sont victimes au champ, les sucreries en subissent aussi les conséquences, elles qui ont besoin d’un approvisionnement stable en racines. « Les changements climatiques sont là… Nous n’avons pas d’autres choix que de nous adapter et de trouver les solutions adéquates. Agriculture et progrès ne s’opposent pas », plaide Marie-Christine Ribera.

Hendrik Vandamme confirme l’impact du climat sur la culture. L’été dernier, chaud et sec, n’est qu’un exemple parmi d’autres. « Nous avons besoin de variétés tolérantes à la sécheresse mais aussi d’adapter notre manière de travailler. Il devient impératif de conserver la structure et l’humidité du sol afin que la betterave puisse se développer et aller chercher l’eau où elle se trouve, c’est-à-dire en profondeur. »

Et de poursuivre : « Je suis convaincu que la filière trouvera les solutions adaptées à sa situation et que les connaissances nécessaires seront transmises aux planteurs pour qu’ils mènent à bien leur travail ».

Philippe Baret rejoint M. Vandamme sur ce point, et va même plus loin. Il estime, en effet, qu’il est nécessaire de construire des systèmes de « co-innovation » avec les betteraviers. Selon lui, le travail doit être mené en commun par les chercheurs et les planteurs. C’est une condition sine qua non pour que les solutions dégagées répondent aux attentes et réalités du terrain.

« L’innovation – qu’elle soit variétale, écologique ou encore économique – va permettre d’apporter des solutions, conformément au projet qu’aura mis en place la filière. Cependant, ce projet ne peut se limiter à l’accroissement des rendements. Il convient de tenir compte du bien-être des planteurs, de la biodiversité, de l’environnement… », poursuit-il. En bref, l’éventail de solutions qui verra le jour doit répondre à de multiples objectifs.

Heureusement, tous les acteurs de la filière ont l’habitude de travailler ensemble. Ce qui constitue un avantage… mais aussi un handicap. « Rassembler autant d’acteurs autour d’un projet commun est, sans conteste, un atout indéniable. Mais un paquebot aussi gros que celui-ci est également difficile à manœuvrer et les tournants s’amorcent plus difficilement. »

Le monde politique indique vouloir accompagner ledit paquebot dans sa transition, tant la filière est importante en Belgique. Pour rappel, elle rassemble directement près de 9.000 travailleurs, dont 6.500 agriculteurs, et représente plus de 40.000 emplois indirects. C’est dire son importance ! « Notre objectif est d’accompagner le secteur vers une meilleure préservation de l’environnement, afin de renforcer sa pérennité », conclut Laetitia Van Roos.

J. Vandegoor

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