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Semences traitées aux néonicotinoïdes: des dérogations accordées à tort, selon la Cour de justice de l’Union européenne

Sollicitée au sujet des dérogations accordées par la Belgique et relatives à l’utilisation de semences de betterave traitées au thiaméthoxame et à la clothianidine, la Cour de justice de l’Union européenne a tranché. Selon elle, lesdites dérogations contreviennent aux règles européennes. L’ensemble des États membres de l’UE devra en tenir compte en vue des prochains semis.

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En 2019, Nature & Progrès Belgique, Pesticide Action Network (Pan) Europe et un apiculteur belge se sont tournés vers le Conseil d’État afin de savoir si les dérogations accordées par le gouvernement et autorisant, de manière exceptionnelle, le recours aux semences enrobées de néonicotinoïdes étaient légales ou non. Dans la foulée, la justice belge s’est adressée à la Cour de justice de l’Union européenne (Cjue). Cette dernière a livré son arrêt ce 19 janvier. Et tranche : selon elle, ces dérogations n’étaient pas légales.

Interdiction… et dérogations

Pour rappel, les deux néonicotinoïdes utilisés pour le traitement de semences que sont le thiaméthoxame et la clothianidine étaient initialement autorisés au sein de l’Union européenne. Cependant, estimant que ces deux matières actives présentent des risques aigus et chroniques élevés pour les abeilles, la Commission européenne a adopté, en 2018, de nouvelles réglementations imposant des restrictions très strictes quant aux recours à ces matières actives.

Deux règlements ont ainsi interdit la mise sur le marché et l’utilisation, dès la fin de l’année 2018, des semences traitées à l’aide de ces néonicotinoïdes, sauf pour les cultures installées dans des serres permanentes et tout au long du cycle de vie desdites cultures.

Une décision saluée par de nombreuses associations mais que déploraient les betteraviers européens. En effet, pour ces derniers, le recours aux semences enrobées constituait une solution de premier choix en vue de lutter contre les pucerons vecteurs de la jaunisse de la betterave. Les associations, elles, estimaient que d’autres techniques de protection avaient déjà fait leur preuve et devaient se généraliser.

Dans la foulée, la Belgique, comme d’autres États membres, délivrait une autorisation d’urgence, dite autorisation « 120 jours », sur base du règlement européen 1107/2009 concernant la mise sur le marché des produits phytopharmaceutiques. Cette dérogation autorisait le traitement des semences, leur mise sur le marché ainsi que les semis en plein air. Elle était assortie de conditions strictes, empêchant notamment le semis de cultures et d’engrais verts qui fleurissent et seraient attrayants pour les abeilles après la récolte des betteraves.

Les autorisations ont été délivrées en 2019 et 2020 pour le thiaméthoxame et la clothianidine. Pour 2021 et 2022, l’autorisation d’urgence a été accordée pour l’imidaclopride, un autre néonicotinoïde.

Dans des circonstances exceptionnelles uniquement

Ce sont les autorisations relatives au thiaméthoxame et la clothianidine qui ont été portées devant le Conseil d’État et, ensuite, devant la Cjue. Nature & Progrès, Pan Europe et un apiculteur belge estimaient, en effet, que ces dérogations étaient accordées de manière abusive, plusieurs années d’affilée et sans justifications suffisantes. Ce que contestait l’État belge.

Au terme de la procédure, la Cjue estime que le règlement européen permet aux États membres, dans des circonstances exceptionnelles, d’autoriser la mise sur le marché des produits phytopharmaceutiques qui contiennent des substances qui ne sont pas couvertes par un règlement d’approbation. « Toutefois, cette même disposition ne leur permet pas de déroger aux réglementations de l’UE visant expressément à interdire la mise sur le marché et l’utilisation de semences traitées à l’aide de tels produits », ajoute-t-elle. La Cour considère donc que les dérogations accordées et le recours aux semences enrobées n’étaient pas conformes au règlement européen.

Et de souligner aussi que s’il est possible de déroger à une interdiction, cette dernière l’emporte lorsqu’il existe de réelles préoccupations selon lesquelles les semences traitées « sont susceptibles de présenter un risque grave pour la santé humaine ou animale ou pour l’environnement » et que « ce risque ne peut être contenu de manière satisfaisante ».

Privilégier la lutte à faible apport en pesticides

La Cour rappelle encore que tous les États membres ont l’obligation de prendre toutes les mesures nécessaires afin de promouvoir la lutte contre les ennemis des cultures à faible apport en pesticides, en privilégiant chaque fois que possible les méthodes non chimiques. « Une telle obligation implique que les utilisateurs professionnels de pesticides se reportent sur les pratiques et produits présentant le risque le plus faible pour la santé humaine et l’environnement parmi ceux disponibles pour remédier à un même problème d’ennemis des cultures », ajoute-t-elle.

La Belgique n’est pas le seul pays concerné par cet arrêt. En effet, selon Pan Europe, 236 dérogations ont été accordées par des États membres de l’UE au cours des quatre dernières années. Près de la moitié (47,5 %) des dérogations concernait des néonicotinoïdes.

Si des discussions étaient en cours chez nos voisins français quant à l’octroi d’une nouvelle dérogation (lire notre édition du 19 janvier), rappelons que le ministre fédéral de l’Agriculture, David Clarinval, a annoncé en décembre dernier qu’aucune dérogation ne serait plus délivrée sur le territoire belge en vue des prochains semis.

Ce dernier a, par ailleurs, rappelé que « la Belgique a toujours tenu compte d’une grande protection environnementale intégrée dans les autorisations d’urgence » et elle « a toujours été exemplaire, et sévère, dans ce domaine au sein de l’UE ». Les députés Ecolo lui demandent néanmoins de réaliser un audit du processus aboutissant à l’octroi, ou non, d’une dérogation.

J. Vandegoor

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