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Où vont vaches et veaux?

Un conte de fée commence par « Il était une fois… » et se termine le plus souvent par « Ils vécurent heureux très longtemps et eurent beaucoup d’enfants… ». Hélas, à la fin, si les héros n’en ont plus pour longtemps, et perdent leurs enfants, il devient un « conte défait ». L’aventure de notre élevage bovin répondrait plutôt aux critères de cette deuxième histoire, avec une perte d’effectif en 25 ans de 30 % en Belgique, 40 % en Ardenne, excusez du peu… Comment en sommes-nous arrivés là ? Où sont passés vaches et veaux ?

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Notre histoire avait pourtant bien débuté, fin du 19e siècle, quand la concurrence des blés américains et russes avait mis à mal la culture des céréales. Les agriculteurs de nos régions n’ont eu d’autre choix que de changer leur fusil d’épaule en se tournant vers une spéculation plus viable. L’élevage des moutons ne nourrissait plus son berger depuis des lustres, tandis que celui des bovins ne cessait d’attirer de nouveaux adeptes, surtout dans les régions herbagères, où cultiver des céréales rimait avec gagner « que dalle ». Les races locales, rousses et rustiques, furent rapidement améliorées par l’arrivée de taureaux allemands et hollandais plutôt laitiers, ou britanniques davantage « musclés ». Parmi ceux-ci, les Durham Shorthorn firent merveille en Wallonie, où le croisement d’absorption donna au final une race à la curieuse robe blanche et bleue, avec des variantes roussâtres et noires. Ces vaches « blanc-bleu belges » donnaient encore du lait et leur solide charpente était bien pourvue en viande ; d’un naturel placide, elles alliaient rusticité et rentabilité, selon les critères d’une époque où l’on soignait « dur ».

Cette catégorie de bétail « deux-fins », davantage laitier en Flandres et dans l’Est, plutôt viandeux dans le reste de la Wallonie, s’implanta durablement dans notre pays. Puis la guerre ’40-45 vint rebattre toutes les cartes, avec l’avènement du monde moderne capitaliste, la naissance de la PAC, les progrès galopants dans la mécanisation, en élevage et en agronomie. Selon les critères des dirigeants des années 1950, la paysannerie restait un secteur « archaïque », un bœuf stupide, une haridelle qui freinait des quatre fers comme un cheval rétif face à la modernité. De nouveaux mots étaient apparus dans les discours des dirigeants agricoles (syndicaux et ministériels), dans le jargon des ingénieurs agronomes : rentabilité, compétitivité, productivité, optimalisation, sélection, innovation…

Dans l’après-guerre encore nostalgique des sages principes agricoles, tous ces concepts ne signifiaient pas grand-chose pour les paysans de chez nous. « Agriculture innovante » : cette expression constituait un oxymore désopilant, dans notre agriculture dont les maîtres mots étaient : frugalité, respect des équilibres, expérience, bon sens, prudence, en un mot : « durabilité ». Nos vaches étaient encore de type « deux fins », donnaient du lait et de la viande. Mais l’agriculture moderne n’avait que faire de ce système soi-disant peu productif. Il fallait choisir sa voie et avancer le plus loin possible dans celle-ci. Ainsi, des exploitations purement laitières virent le jour. Des taureaux testés favorablement dans les centres d’insémination artificielle étaient employés, de races Pie-Rouge de Westphalie, MRY hollandaise, et bientôt des animaux Hosltein venus du Canada, Formules 1 de la course au lait : les Starbuck, Elevation, Triple Threat, Sunny Boy, Topper, etc.

La race Blanc-Bleu se destina plutôt à produire de la viande. Ce fameux génotype « cul-de-poulain » fut désormais recherché, depuis que les vétérinaires avaient mis au point une technique de césarienne en position debout, très efficace et facile à mettre en œuvre. Les centres d’insémination pouvaient dès lors sélectionner des souches de plus en plus viandeuses, et des taureaux comme Précieux de Magraule, ou Fanfan du Tilleul, allaient avoir des milliers de descendants ! Les lignées les plus performantes étaient privilégiées (comme pour les paysans !) ; et les autres disparaissaient, malgré d’autres qualités jugées trop peu rentables à l’époque. La race, à force d’être sélectionnée, risquait de devenir quasi consanguine et de développer de multiples tares. Cette méthode de sélection allait à l’encontre des sages traditions paysannes millénaires.

Le conte de fée de nos troupeaux bovins tourna au « conte défait » en 1984, année de l’instauration des quotas laitiers. La spécialisation devint encore plus pointue. Les vaches laitières devenaient de vraies fontaines, avec des rendements de 9-10.000 litres/an, et dès lors une baisse drastique des effectifs en spéculation laitière. Par contre, les troupeaux viandeux grandissaient à toute vitesse, avec une offre qui devint pléthorique début des années 1990. Cette décennie fut catastrophique à plus d’un titre, et initia cette chute libre constatée aujourd’hui. Crise des hormones, vache folle, scandale de la dioxine… Les prix payés à la ferme ne cessaient de s’écraser, compensés chichement par les premières primes « petits taureaux » et « vaches allaitantes ». Et puis, -c’est drôle ! –, la montée en puissance de l’écologie, surtout à partir des années 2000, intégra le concept de « durabilité » que la PAC et le monde moderne nous avaient fait abandonner ! Virage à 180º! Le Blanc-Bleu « mixte » deux-fins, celui-là même dénigré par les agronomes, put bénéficier de primes pour maintenir la race. L’agriculture biologique, sans engrais ni pesticides, sans césarienne ni antibiotiques, fut portée au pinacle et largement soutenue.

Le bétail blanc-bleu a perdu d’innombrables soldats, lors de cette guerre d’attrition -comme en Ukraine- qu’on mène au monde de l’élevage depuis 25 ans. Dans la filière viandeuse, le maillon le plus méritant, -les éleveurs-naisseurs –, doit se contenter d’un revenu minimal, tandis que les marchands, chevilleurs, bouchers, grandes surfaces se taillent de belles parts du gâteau. Ce n’est pas normal ! Nous fournissons 90 % du boulot, supportons 90 % des risques, et ne percevons au final, tous frais décomptés, qu’un maigre 10 % -plutôt 5 %- de la plus-value ! La désaffection générale pour l’élevage viandeux s’explique également par l’incroyable et absurde charge administrative, compliquée par la numérisation des opérations à effectuer. J’allais oublier l’agri-bashing, et les aberrantes campagnes anti-viande, anti-méthane, anti-azote, anti-ceci, anti-cela, menées systématiquement contre nous. Dans ces conditions, où voulez-vous qu’on aille, avec nos vaches et veaux ?

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