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Glanage : et si nous parlions «d’agri-fierté»?

Le glanage. Le concept a été mis en peinture au XIXème siècle par la toile de Jean-François Millet et ses célèbres « Glaneuses ». Mais cette pratique ancestrale, actuellement en plein essor dans nos campagnes, qui allie convivialité, solidarité et redécouverte du monde rural et de ses richesses est aussi devenue un formidable outil dont les agriculteurs devraient se saisir pour communiquer vers les citoyens.

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P our sensibiliser les acteurs du monde agricole à cette démarche vertueuse, rien de plus efficace que de les amener à échanger et transmettre leurs retours d’expérience à leurs collègues, aux pouvoirs locaux et consommateurs de plus en plus séduits par cette pratique qui leur permet d’accéder gratuitement à des produits sains tout en luttant contre le gaspillage alimentaire.

Mais pas que. On parle aussi de glanage solidaire lorsqu’il s’agit de répondre à l’urgence de celles et ceux qui éprouvent des difficultés à se nourrir.

Reconnexion entre producteurs et consommateurs

Toutes ces réalités et enjeux ont été abordés le mois dernier à Villers-le-Bouillet dans le cadre d’un AgriClub (cycle de conférences).

Elles ont revêtu la forme d’une présentation et d’un débat proposés par les Agences de développement local (Adl) de Berloz-Donceel-Faimes-Geer et de Villers-le-Bouillet (zone agricole s’il en est), la Fondation Rurale de Wallonie (Frw) et le Groupe d’Action Locale (Gal) Jesuishesbignon.be, lequel a été créé à la demande citoyenne sur différents projets à développer sur le bien-vivre sur onze communes qui s’étendent d’Amay à Faimes et d’Oreye à Berloz en attendant celle d’Awans.

«Si l’on veut continuer à profiter de la qualité de nos productions locales, rencontrons-nous !» insiste Martine Lekane.
«Si l’on veut continuer à profiter de la qualité de nos productions locales, rencontrons-nous !» insiste Martine Lekane. - M-F V.

S’orienter vers une agriculture durable pour accéder à une alimentation qui le sera aussi, reconnecter producteurs et consommateurs, telle est la volonté des différentes associations actives au niveau du tissu social des communes hesbignonnes.

« Si l’on veut continuer à profiter de la qualité de nos productions locales, rencontrons-nous ! » a illustré Martine Lekane, chargée de mission « Agriculture et Circuits courts » au sein du Gal Jesuishesbignon.be.

Le glanage et son organisation

Dix séances de glanage ont été organisées et portées par les agences de développement local et le Gal en 2022, qui sont à chaque fois prévenus par les agriculteurs une fois des parcelles récoltées. Mais la communication entre les parties est constante au fil de l’année quant à la nature des productions agricoles, aux dates de récoltes et possibilités d’organisation d’un glanage, d’une durée de quelques jours.

Entre la fin de la récolte et l’organisation du glanage, les délais sont serrés pour tous les acteurs concernés, surtout quand il s’agit de contacter les associations caritatives dans le cadre d’un glanage solidaire.

« Nous envoyons des alertes aux 600 candidats glaneurs via un groupe WhatSapp où nous donnons l’adresse exacte un demi-jour avant le début de l’activité » précise Martine Lekane, ajoutant que les associations sont présentes pour accueillir et encadrer les glaneurs.

Il s’agit d’interdire le parking sauvage, d’assurer la sécurité de tous mais aussi de rassurer l’agriculteur qui est encouragé à venir à la rencontre des glaneurs, leur expliquer son métier, ses difficultés. Certains prennent le temps de détailler leurs travaux, machines restées sur le champ, à l’appui.

L’Agence de développement local et le Gal ont recensé 550 glaneurs et solidaires en 2022, parmi lesquels de nombreux parents, désireux de poser un acte éducatif, qui sont venus accompagnés de leurs enfants.

Il faut savoir que le glanage solidaire a permis, en 2022, de récolter une tonne de légumes, laquelle a été offerte à des associations. C’est le cas, par exemple, du « Foyer Sainte-Marie », qui s’est chargé de la transformation des produits dans ses cuisines collectives.

Nostalgie et (re)tissage du lien social

Agriculteur à Geer, Baudouin Dewulf est un peu l’ambassadeur du glanage auprès de ses collègues hesbignons qu’il encourage à ouvrir leurs champs. Lui-même soutient cette pratique « par nostalgie, parce que nous, agriculteurs, sommes seuls sur les champs, nous n’y voyons plus personne et c’est bien dommage ».

Le glanage solidaire a permis, en 2022,  de récolter une tonne de légumes,  laquelle a été offerte à des associations.
Le glanage solidaire a permis, en 2022, de récolter une tonne de légumes, laquelle a été offerte à des associations.

Il se souvient du temps d’avant, quand il a repris, il y a une quarantaine d’années, l’exploitation familiale avec son frère.

« Nous avions des problèmes de betteraves sauvages et nous avons bénéficié de l’aide d’une dizaine d’étudiants qui venaient les arracher le matin. C’était radical et en tout cas la meilleure façon de se débarrasser de ces betteraves adventices ».

Son credo, c’est de garder le contact avec les consommateurs avec qui cela se passe toujours très bien quand il a l’opportunité de les croiser sur ses parcelles. Il prend plaisir à expliquer ses tâches à des personnes qui sont « très étonnées de la quantité de travail qu’il faut fournir pour arriver au résultat de la récolte ».

Le glanage constitue pour lui la satisfaction de permettre à des consommateurs d’avoir accès à une partie de sa récolte, le bonheur de travailler dans la nature et de motiver la jeunesse.

Pierre Rosoux, un glaneur villersois, ne dit pas autre chose, lui pour qui « glaner fait évoluer les mentalités et permet de remettre en contact les gens, en particulier les enfants, avec la terre ».

« Faire savoir positivement son savoir-faire » !

Mais cette pratique va encore plus loin. Elle est à la fois un outil de cohésion sociale et de communication.

C’est la thèse de Pascale Liesse, formatrice en communication à l’Ifapme, pour qui « il est important pour les agriculteurs de s’approprier ou de se réapproprier la communication afin de véhiculer une image juste et correcte de leur métier et non une supputation d’idéologie par des non professionnels ».

Le credo de Baudouin Dewulf, c’est de garder le contact avec les consommateurs avec qui cela se passe toujours très bien quand il a l’opportunité de les croiser sur ses parcelles.
Le credo de Baudouin Dewulf, c’est de garder le contact avec les consommateurs avec qui cela se passe toujours très bien quand il a l’opportunité de les croiser sur ses parcelles. - M-F V.

Positive, enthousiaste, la communicante encourage les agriculteurs à communiquer sur leur métier avec la passion qui, si souvent, les anime pour contrer les peurs qui naissent de l’incompréhension.

« Vous avez les cartes en mains, il faut s’ouvrir, aller sur le terrain, montrer, démontrer, avoir une transparence sur les produits, les traitements utilisés, les pratiques ».

Et le glanage est à même de proposer une réponse intelligente aux attaques que recouvre le tristement célèbre phénomène « d’agribashing », que le politologue français Eddy Fougier décrit comme « une critique idéologique de l’agriculture conventionnelle qui est à charge, qui s’appuie sur une vision largement déformée de la réalité et qui tend à rejeter par avance tout argument contradictoire et à instrumentaliser un certain nombre de peurs ».

Le glanage constitue pour la satisfaction  de permettre à des consommateurs d’avoir accès à une partie de sa récolte, le bonheur de travailler dans la nature et de motiver  la jeunesse.
Le glanage constitue pour la satisfaction de permettre à des consommateurs d’avoir accès à une partie de sa récolte, le bonheur de travailler dans la nature et de motiver la jeunesse. - Sébastien Bertholet.

Le glanage offre aux agriculteurs l’opportunité de préparer des réponses positives aux inquiétudes et aux objections des consommateurs pour devenir « des ambassadeurs de la terre, des élevages et de l’agriculture en général ».

Face à l’agribashing injuste et souvent virulent, des agriculteurs de Bourgogne-Franche-Comté avaient lancé, en 2019, une campagne pour promouvoir son exact opposé, baptisée « agriloving ».

Dans ce même esprit, et si, en Wallonie, on essayait l’agri-fierté ?…

Marie-France Vienne

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