Accueil Economie

Nutri-score :il n’existe aucun problème avec les produits agricoles, les AOP, les IGP !»

Attendue initialement pour la fin de l’année 2022 suite à l’adoption en juillet d’un rapport émis par un comité scientifique européen indépendant, la révision de l’algorithme du nutri-score interviendra finalement cette année. Pour décrypter les enjeux de ce sujet qui fâche, nous sommes allés à la rencontre de Laurence Doughan, coordinatrice du Plan Fédéral Alimentation Santé au SPF Santé publique.

Temps de lecture : 9 min

C ’est peu dire que les débats sur ce dossier sont souvent orageux. Au parlement européen, ils donnent régulièrement lieu à une véritable guerre de tranchées entre industriels de l’agroalimentaire, associations de consommateurs, scientifiques et représentants des producteurs agricoles. Ils mettent par ailleurs en lumière un clivage entre le nord et le sud de l’Europe, principalement l’Italie. Sans craindre les excès et les outrances, le pays transalpin est d’ailleurs à l’avant-garde de la bataille contre le nutri-score.

«Le nutri-score est un outil intéressant dans le cadre de la santé publique, qui peut  stimuler le consommateur dans le bon sens» souligne Laurence Doughan.
«Le nutri-score est un outil intéressant dans le cadre de la santé publique, qui peut stimuler le consommateur dans le bon sens» souligne Laurence Doughan. - M-F V.
 

Laurence Doughan, d’où vient l’idée d’un d’étiquetage nutritionnel en Europe et qui en est l’initiateur ?

On peut dire que ce sont les Britanniques. Il faut savoir qu’au Royaume-Uni, c’est le « retail » qui a pris l’initiative d’un étiquetage complémentaire. Ce sont également les pionniers au niveau d’un système de calcul en vue d’établir le profil nutritionnel d’un produit alimentaire donné. Il s’agit du « score FSA » (Food Standards Agency) développé en 2004 par Mike Rayner de l’Université d’Oxford, à la base de toute la matrice mathématique derrière le calcul de ce qui deviendra le nutri-score. Son but initial était de réguler la publicité en Angleterre. La méthodologie a été traduite en 2014 par le nutritionniste et épidémiologiste français Serge Hercberg qui l’a adaptée à la grande consommation. À l’issue de nombreux débats à l’Assemblée nationale et d’une vaste étude dans le nord de la France en conditions réelles sur base de 5 millions d’actes d’achats, elle a été mise en œuvre en 2016 dans l’Hexagone sous l’appellation de « nutri-score » arborant le logo à cinq couleurs et lettres que nous connaissons tous.

Qu’en est-il chez nous, quand et dans quel contexte a été introduit le nutri-score en Belgique ?

C’est aux alentours de 2017 que Maggie De Block, alors ministre des Affaires sociales et de la Santé publique, s’est montrée soucieuse d’aider les consommateurs dans leurs choix alimentaires. À cet effet, elle a missionné le SPF pour développer un système nutritionnel « face avant ».

Nous avons effectué des recherches sur ce qui existait déjà en Europe et à l’international (nutri-score, traffic lights, heart symbol, nutrinform battery, key hole…), d’en lister les avantages et les inconvénients et de sonder les différentes parties prenantes, notamment les secteurs de l’industrie alimentaire et de la distribution, qui étaient, au départ, relativement frileux, voire carrément hostiles à l’idée d’adopter un quelconque nouveau système sur emballage.

Maggie De Block est allée à la rencontre de son homologue française, Agnès Buzin. Nos administrations respectives ont étroitement travaillé de concert au niveau de la valeur scientifique de l’outil dans l’objectif de l’adopter en Belgique, malgré la réticence de certains partenaires.

L’Arrêté royal définissant un cadre légal pour l’application volontaire du nutri-score dans notre pays a finalement été adopté le 1er avril 2019. La Belgique a été officiellement le premier pays à rejoindre la France dans cette démarche.

Quelle a été la réaction de la grande distribution ?

Une partie de la réussite du nutri-score se mesure au degré d’adhésion de certains partenaires du « retail ». C’est le cas de Delhaize, qui l’avait déjà implanté dès le mois d’avril 2018, et de Colruyt qui ont été les deux fers de lance de cette nouvelle dynamique dans notre pays.

Lidl est sur le point de l’adopter tandis qu’Aldi l’a déjà implémenté. Et ce sont des acteurs qui comptent dans le paysage de la grande distribution belge.

Ils ont bien compris que le vent tournait et qu’il en allait de leur intérêt d’adopter un système largement soutenu en France, dont ils connaissaient globalement le fonctionnement et qui n’était pas trop discriminant. Aujourd’hui, sept pays (France, Belgique, Suisse, Luxembourg, Pays-Bas, Espagne, Allemagne) utilisent déjà le nutri-score au niveau européen et la Finlande, en tant que pays observateur, pourrait bien intégrer ce groupe dans un futur proche.

Expliquez-nous donc le fonctionnement global du nutri-score…

Le nutri-score s’appuie sur plusieurs algorithmes mis au point par l’équipe de recherche du Prof. Serge Hercberg.

Il reflète, pour 100g ou 100ml de produit, la balance entre la teneur en éléments positifs que contient ce produit (fibres, protéines, fruits, légumes, légumineuses, fruits à coques, huile de colza, de noix et d’olive) ainsi que ses points négatifs (les calories, les teneurs en acides gras saturés, le sel, les sucres en présence, qu’ils soient intrinsèques ou ajoutés).

En attribuant des points à ces différents critères, on aboutit à une note globale qui permet d’attribuer des couleurs et des lettres aux produits.

De A à E, la qualité nutritionnelle des produits décroît. Les produits classés A, en vert, sont considérés comme les plus équilibrés tandis que la lettre E, de couleur rouge, indique une forte teneur en mauvais gras, en sucre ou en sel : ces aliments ne sont pas à proscrire, mais à consommer avec modération. Pour le reste des produits on utilisera trois lettres (B, C, D) et trois couleurs intermédiaires (vert clair, jaune et orange).

Vous êtes, bien sûr, complètement convaincue par cet outil…

Je reste dans la nuance, mais oui, c’est un outil intéressant dans le cadre de la santé publique, qui peut stimuler le consommateur dans le bon sens.

Le nutri-score n’est pas là pour faire joli sur l’emballage, il existe surtout pour orienter la reformulation des produits alimentaires auprès des industriels de façon non-invasive.

Il faut toutefois en relativiser la portée et ne pas s’éloigner de l’équilibre alimentaire au sens large. Il faut intégrer le principe de la pyramide alimentaire, faire attention aux additifs, à l’origine et au caractère naturel d’un produit.

Il y a d’autres valeurs tout aussi importantes qu’un logo sur la face avant d’un produit. Le nutri-score est un outil qui vient en compléter d’autres au niveau de l’alimentation.

Dans le cadre de sa stratégie « De la fourche à la fourchette », la commission se penche toujours sur un système d’étiquetage nutritionnel sur le devant des emballages qui serait quant à lui, obligatoire. Où en sont les travaux ?

La commission a mandaté le JRC (centre commun de recherche) pour effectuer un état des lieux des systèmes existants à la suite duquel le nutri-score a été plutôt bien coté.

«Si l’hédonisme dans la nourriture est fondamental, il faut malheureusement prendre  en compte une réalité nutritionnelle, et le nutri-score fonctionne tel un outil  à disposition des consommateurs».
«Si l’hédonisme dans la nourriture est fondamental, il faut malheureusement prendre en compte une réalité nutritionnelle, et le nutri-score fonctionne tel un outil à disposition des consommateurs». - Syda Productions - stock.adobe.com

Un peu plus tard, le média en ligne Politico a organisé, le 29 septembre 2022, un grand débat au parlement européen sur l’étiquetage face avant (nutritional front of pack labelling) dans le cadre du « Future of Food and Farming Summit » entre Claire Bury, directrice adjointe de la durabilité alimentaire au sein de la commission, des intervenants italiens et espagnols, et la française Chantal Julia, épidémiologiste et nutritionniste qui fait partie de l’équipe ayant développé le nutri-score. La représentante de la commission a laissé sous-entendre que nutri-score pourrait ne pas être proposé en tant que tel comme nouveau système d’étiquetage nutritionnel harmonisé au niveau de l’Europe. Sauf que l’on ne peut préjuger de ce que la commissaire à la Santé, Stella Kyriakides, va décider. Quoi qu’il en soit, le sous-entendu de Madame Bury nous a placés dans une situation très compliquée. Cela a donné de l’eau au moulin des Italiens, qui sont vent debout contre le nutri-score et partisans de l’Italian Battery, devenu NutrIinform Battery (qui se base ni sur un algorithme, ni sur une portion de 100g de produit donné mais sur les besoins alimentaires d’un adulte), proposé par le gouvernement italien… avec le soutien de l’industrie agroalimentaire.

Restons justement en Italie, pays du régime méditerranéen par excellence, où la Coldiretti, la puissante organisation agricole du pays, est entrée en guerre contre l’algorithme français, qu’elle espère bien mettre hors-jeu. Elle fustige un système qui, selon elle, diabolise les traditions et précipiterait leur disparition des rayons des magasins. Que répondez-vous à ces détracteurs du nutri-score ?

Je veux bien comprendre qu’il existe des craintes, mais elles sont majoritairement infondées. Les opposants au nutri-score craignent avant tout de perdre des parts de marché. Ils prennent pour exemple le cas des AOP et des IGP en évoquant une perte de la culture culinaire et du terroir, et affirment que le nutri-score favorise uniquement des produits ultra-transformés. Le NutrInform Battery défendu par les Italiens n’est rien d’autre que le GDA (Guideline Daily Amont – repère nutritionnel journalier) lancé en 2014 par l’industrie alimentaire.

Il ne correspond pas à des besoins nutritionnels mais à des limites maximales par rapport à des nutriments que nous devons absolument limiter dans notre alimentation, tels que le sel, les graisses saturées ou les calories.

Nous n’avons aucun problème avec les produits du terroir, que ce soient les AOP ou les IGP, qui mettent en valeur un patrimoine culinaire local et régional. Le nutri-score ne dit pas qu’il faut les bannir, il attire juste l’attention sur le fait de les consommer avec modération. Delhaize a frappé pendant plus de deux ans son Roquefort de la lettre « E », ce qui n’a en rien fait chuter les ventes. Le nutri-score est là pour éveiller la conscience de ceux qui seraient tentés de consommer, par exemple, trop de fromages.

Ne craignez-vous pas, in fine, qu’un système comme le nutri-score instille la peur et frustre le consommateur ?

Si l’hédonisme dans la nourriture est fondamental, il faut malheureusement prendre en compte une réalité nutritionnelle, et le nutri-score fonctionne tel un outil à disposition des consommateurs. Dans un contexte où l’on sait que l’on mange généralement mal et que l’on a de mauvaises habitudes alimentaires, il est important qu’ils puissent avoir accès à une information concrète. Un produit coloré en orange vif ou en rouge n’est pas synonyme de mauvaise qualité, même si ne consommer que des produits rouges ne va pas améliorer la santé. En utilisant des modèles de simulations mathématiques, la chercheuse française Manon Egnell a ainsi mis en évidence que l’usage du nutri-score sur les emballages permettait de faire baisser de 3,4 % le risque de mortalité par maladie chronique.

Avez-vous eu des levées de boucliers en Belgique, notamment en provenance du secteur agricole ?

Même si elles sont opposées au nutri-score, je n’ai personnellement eu aucun contact avec les associations agricoles belges qui ne se sont pas manifestées, contrairement à la France où le sujet constitue un véritable enjeu et suscite le débat, également au niveau parlementaire. Le ministre David Clarinval n’a, pour sa part, jamais mis en défaut le nutri-score lors des conseils européens des ministres de l’Agriculture. En revanche, durant la pandémie, les producteurs de fromage de Herve se sont rebiffés et sont montés au créneau pour déclarer que le nutri-score était une ineptie et privilégiait l’ultra-transformé. Le limonadier bruxellois bio « Simone a soif » est aussi sorti du bois sur ses réseaux sociaux en s’insurgeant que ses boissons soient classées « D » ou « E » au même titre que le Coca-Cola. Or, le fait qu’elles soient locales et bio n’enlève en rien le sucre qu’elles contiennent !

Marie-France Vienne

A lire aussi en Economie

Voir plus d'articles