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«Les agriculteurs demandent à être écoutés et respectés !»

Révision de la directive sur les émissions industrielles, politique commerciale, situation des marchés, loi sur la restauration de la nature, succès du mouvement agriculteur-citoyen aux élections provinciales néerlandaises… Autant de sujets que nous avons abordés avec le ministre David Clarinval lors d’un échange à son cabinet dans la foulée du conseil des ministres européens de l’Agriculture de ce mois de mars.

Temps de lecture : 8 min

C ’est désormais le cas à chacune de leurs réunions, les ministres européens de l’Agriculture se sont penchés sur la situation des marchés chahutés par les conséquences du conflit russo-ukrainien.

À titre compensatoire envers les agriculteurs des pays limitrophes de l’Ukraine (Pologne, Bulgarie et Roumanie, mais pas la Hongrie et la Slovaquie) affectés par l’afflux de céréales et d’oléagineux ukrainiens, le commissaire à l’Agriculture a proposé une mesure de soutien d’un montant de 56,3 millions € financée par la réserve de crise agricole en faveur de la Bulgarie, de la Pologne et de la Roumanie.

Dans le détail, l’Exécutif a décidé d’allouer 29,5 millions € à la Pologne, 16,75 millions € à la Bulgarie et 10,05 millions € à la Roumanie. Les trois États membres peuvent compléter cette aide communautaire jusqu’à 100 % avec des fonds nationaux, ce qui représenterait une aide financière totale de 112,6 millions € pour les agriculteurs touchés. Il est à noter que la réserve de crise est dotée en tout de 450 millions € pour 2023.

Dans ce contexte, quelle est la situation des marchés en Belgique ?

 

Soyons clairs, les pays limitrophes de l’Ukraine sont bien plus impactés que nous. Ce sont eux qui accueillent en première ligne les importations de produits ukrainiens.

Aujourd’hui en Pologne, tous les stocks de grains sont pleins à craquer, le secteur des fruits et légumes de ces pays est en souffrance parce qu’ils continuent à en importer par solidarité envers le peuple ukrainien et pour permettre à Kiev d’écouler les productions qu’elle ne peut plus acheminer vers la Russie.

Nous avons toutefois été interpellés par le choix de la commission de soutenir des pays plutôt que des secteurs.

Les pays d’Europe orientale sont certes les plus touchés mais d’autres États membres le sont aussi, et la Belgique en fait partie, notamment au niveau des pommes et des poires en raison des prix qui ont été cassés sous l’influence des importations ukrainiennes.

Nous voyons qu’il y a aussi des tensions au niveau du lait avec une diminution rapide des prix. Seuls ceux du porc restent stables, voire intéressants, mais c’est là aussi un secteur en crise en termes de capacité de production en raison du nombre d’éleveurs qui arrêtent.

Quant au secteur de la volaille, il est victime de la persistance de la grippe aviaire, ce qui entraîne une limitation de l’offre. La situation des marchés n’est pas facile et c’est pour cette raison que nous avons demandé à la commission de l’aide en faveur du secteur des pommes et des poires, en proie à une crise majeure.

Lors du conseil, le ministre autrichien de l’Agriculture a réitéré son opposition à la ratification de l’accord de libre-échange entre l’UE et le Mercosur tandis que l’Espagne, le Portugal et l’Allemagne, entre autres, continuent de soutenir sa finalisation rapide. Quelle est la position de la Belgique ?

D’une manière générale, nous soutenons la conclusion d’accords multilatéraux permettant une plus grande ouverture des marchés dans la mesure où la Belgique est un petit pays qui exporte beaucoup et qui est bénéficiaire quand les marchés sont ouverts.

Nous nous sommes, jusqu’à présent, opposés à l’accord avec les pays du Mercosur car nous demandons la prise en compte de trois éléments importants à nos yeux. Le premier porte sur le volet agricole en raison de la menace qui pèse sur le secteur de la viande bovine qui constitue un dossier majeur dans les négociations.

Nous avons réclamé l’application d’une clause de sauvegarde pour éviter la mise en concurrence de nos produits de qualité et aux normes environnementales et sociales très élevées avec d’autres qui ne respectent pas nos standards en la matière.

Le second point concerne le développement durable. Il n’est pas imaginable, pour nous, d’être concurrencé par des produits issus de zones déforestées.

Enfin, le troisième élément vise le renforcement des droits sociaux dans les pays d’Amérique du sud. Tant qu’il n’y aura pas de protocole additionnel sur ces trois volets, la Belgique ne pourra soutenir la ratification de l’accord.

Vos collègues européens continuent d’exprimer leurs inquiétudes envers les propositions de la commission sur la restauration de la nature. La Belgique fait-elle partie de ceux qui demandent à l’Exécutif de faire preuve de réalisme ?

C’est un dossier sur lequel je ne suis pas content du tout.

Avant toute chose, je rappelle que les différents sujets agricoles et environnementaux sont négociés en interne au sein de la DGE (direction générale Coordination et Affaires européennes, ndlr) où les représentants des différents ministres et des administrations échangent pour arrêter les positions belges.

Cela donne donc lieu à des débats entre les ministres de l’Agriculture (Willy Borsus, Jo Brouns et moi-même) et de l’environnement (Zakia Khattabi, Céline Tellier et Zuhal Demir).

En ce qui concerne la restauration de la nature, le texte est piloté au niveau du département de l’environnement de la commission européenne, laquelle s’appuie également sur l’avis des ministres de l’Agriculture. Inutile de vous rappeler le clivage qui existe entre les ministres de l’Environnement et ceux de l’Agriculture…

Contrairement aux ministres de l’Agriculture, soucieux de garantir la souveraineté alimentaire de notre pays et un revenu décent aux agriculteurs, ceux de l’Environnement sont partisans d’une politique de sanctions et de contraintes à leur encontre sur le volet de la biodiversité.

Or, les deux ministres écologistes et la représentante de la Nva, Zuhal Demir, ont fait en sorte, au niveau de la DGE, que les trois ministres de l’Agriculture ne puissent pas s’exprimer.

La Belgique a donc été le seul pays à ne pas prendre la parole lors du conseil des ministres européens de l’Agriculture parce que les ministres de l’Environnement ont pratiqué un forcing politique totalement inacceptable afin d’affaiblir la position de la Belgique sur le plan agricole.

Nous ne sommes pas opposés à la restauration de la nature, nous voulons juste plus de la clarté au niveau des indicateurs qui sont encore trop vagues.

Par ailleurs, nous ne voulons pas que les budgets qui seront utilisés proviennent de la Pac. Ce n’est pas aux agriculteurs de payer pour des politiques qui devraient être financées par des fonds européens spécifiquement dédiés.

En revanche, mis à part l’Allemagne, il ressort des interventions de mes 26 autres collègues que nous partageons tous les mêmes orientations au niveau des budgets et de flexibilité suffisante pour concilier restauration des écosystèmes et maintien des capacités de production agricole.

Un compromis a finalement été dégagé dans le cadre de la révision de la directive sur les émissions industrielles avec des seuils d’entrée pour les élevages de bovins et les porcs portés à 350 UGB pour ceux de volaille à 280 UGB et pour les exploitations mixtes à 350 UGB (contre respectivement 300, 250 et 300 UGB dans le compromis précédent). Comment la Belgique a-t-elle réagi à ce résultat ?

Nous étions favorables à une remontée du seuil et je suis satisfait de l’amélioration du texte même si je pense que nous aurions pu aller encore plus loin.

Il faut savoir que ce dossier a fait, lui aussi, l’objet d’une passe d’armes entre ministres de l’Agriculture et de l’Environnement, mais cette fois-ci entre le nord et le sud du pays.

Contrairement à leurs collègues francophones, les ministres flamands de l’Environnement souhaitaient aller sous le seuil des 150 UGB.

C’était donc compliqué de trouver un accord au niveau fédéral mais nous souhaitions une meilleure prise en compte par la commission de notre type d’agriculture. Et aujourd’hui, 150 UGB, c’est loin d’être une usine, c’est clairement une entreprise de type familial.

In fine, je dirais que c’est davantage la ligne wallonne de mon collègue Willy Borsus qui a été suivie plutôt que celle de la ministre Demir.

Il faut par ailleurs souligner que la présidence suédoise a réalisé pour sa part un gros travail de compromis pour satisfaire tous les États membres, sachant que des pays comme la Pologne et la Hongrie réclamaient un seuil de 500 UGB.

Éloignons-nous quelque peu du cadre du conseil européen… Que pensez-vous de l’entrée en force au Sénat néerlandais du mouvement agriculteur-citoyen (BBB) qui devient le plus grand parti de la chambre haute ?

J’en retiens comme message que les acteurs du monde rural, et les agriculteurs en particulier, demandent à être écoutés et respectés. Et que l’on arrête de les ringardiser, de les stigmatiser et de les considérer comme des pollueurs.

On constate, tant aux Pays-Bas qu’en Flandre, que les ministres de l’Environnement imposent un agenda environnemental unilatéral et déséquilibré.

Ils font supporter aux agriculteurs des normes plus strictes que pour les entreprises. Il faut un juste équilibre. Si les activités agricoles ont certes un impact sur l’environnement, il faut prendre en compte tous leurs apports positifs. Et l’on connaît par exemple tous la capacité de stockage du CO2 de nos pâtures.

Il faut donc arrêter de propager une image négative de l’agriculture. Les Pays-Bas ne l’ont pas compris et les agriculteurs se sont organisés autour d’un parti qui a également agrégé les suffrages de citoyens qui se sont reconnus dans le combat en faveur de la ruralité.

Je ne vois pas ce type de mouvement émerger et prospérer en Wallonie car nous n’avons pas le même modèle agricole qu’aux Pays-Bas.

Néanmoins, la demande de considération et de respect est bien présente dans l’ensemble de notre pays et nous devons l’entendre, y donner suite et mettre en œuvre des politiques qui en tiennent compte.

Dans le cas contraire, on verra malheureusement des agriculteurs se tourner vers des partis qui ne sont pas spécialement démocratiques.

En Flandre, une partie du monde agricole vote pour le Vlaams Belang et c’est une inquiétude car cela signifie que les partis classiques sont restés sourds à leurs demandes.

Marie-France Vienne

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