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«L’agriculture verticale n’a pas encore trouvé le bon modèle économique»

Produire fruits, légumes, herbes aromatiques, voire élever des animaux au plus près du consommateur citadin, telle est la fonction de base de l’agriculture urbaine et verticale. Cependant, aussi optimale cette production puisse-t-elle être, celle-ci ne pourra jamais couvrir qu’une faible partie des besoins alimentaires d’une ville. Ce modèle est-il pour autant en perte de vitesse chez nous ? Pour le savoir, nous avons poussé la porte du bureau d’Haïssam Jijakli, professeur d’agriculture urbaine à Gembloux Agro-Bio Tech ULiège.

Temps de lecture : 7 min

F aisons un (grand) saut dans le passé, quand, au XVIIème siècle, le Rat de ville invita le Rat des champs de façon fort civile.

Revenons au XXIème siècle. Les deux amis sortis de l’imagination du célèbre poète et fabuliste français partagent actuellement presque la même table. Car l’agriculture urbaine, qui ambitionne de localiser l’agriculture dans ou autour de la ville, valorise les métiers agricoles et crée de nouvelles passerelles entre les villes et les champs.

Tomates, laitues et plants de radis poussent désormais à l’orée des parkings, sur les toits et dans des conteneurs à température ambiante. Et les promoteurs immobiliers, architectes et urbanistes incluent des espaces végétalisés à leurs projets de construction et de rénovation.

Pourtant, la start-up allemande Infarm (lire en page 6), spécialiste de la production indoor de légumes feuilles et d’aromates, s’apprête à quitter plusieurs pays européens, tandis que la start-up américaine Plenty, spécialiste de l’agriculture verticale (un pan de l’agriculture urbaine), va fermer l’un de ses deux sites de production.

«Nous accueillons énormément de visiteurs sur notre plateforme Wasabi, notamment l’Union wallonne des architectes qui souhaite même y organiser des formations» explique le Prof. Haïssam Jijakli, fondateur du centre de recherches en agriculture urbaine.
«Nous accueillons énormément de visiteurs sur notre plateforme Wasabi, notamment l’Union wallonne des architectes qui souhaite même y organiser des formations» explique le Prof. Haïssam Jijakli, fondateur du centre de recherches en agriculture urbaine. - M-F V.

Haïssam Jijakli, on assiste à une série de revers en agriculture verticale au cours de ces derniers mois dans un contexte de resserrement du crédit, d’augmentation des coûts énergétiques et de baisse du pouvoir d’achat. Aux États-Unis, c’est encore Fifth Season qui a décidé de mettre la clef sous la porte en fin d’année dernière. Ces informations constituent-elles un signal d’alarme pour le secteur de l’agriculture verticale ?

L’agriculture urbaine, et verticale, sont encore dans leur enfance ou leur adolescence dans nos pays. Parmi les modèles économiques qui sont testés, certains résistent, d’autres non.

Il faut aussi savoir que toute nouvelle technique ou activité connait, au cours de son existence, différentes vagues qui se nourrissent des erreurs de jeunesse des précédentes pour avancer. Nous l’avions déjà constaté avec l’aquaponie. Nous sommes actuellement en phase descendante de la première au niveau de l’agriculture verticale.

Comment expliquez-vous le creux que l’agriculture verticale traverse en ce moment ?

Beaucoup de modèles économiques se sont basés sur la production de plantes comestibles dont la valeur est peu élevée. Le rapport entre l’investissement que réclame ce type d’infrastructure et les marges dégagées ne tient donc pas la route.

Prenons l’exemple d’Agricool, une start-up française qui avait séduit le gratin du monde des affaires en cultivant à l’année des fraises, salades et herbes aromatiques dans des conteneurs étagés en Seine-Saint-Denis, à proximité des grandes enseignes.

Avec un rendement au mètre carré 60 fois supérieur aux fraises de grande distribution, une contenance en Vitamines C de 30 % au-dessus de la moyenne ainsi qu’un meilleur taux de sucre, la jeune pousse avait réalisé une entrée très remarquée dans le monde agricole. Le concept avait d’ailleurs séduit de nombreux investisseurs qui avaient injecté au total 35 millions € dans le projet.

Si, techniquement, la pépite était géniale, économiquement, cela n’a pas tenu. Se sont ajoutés aux coûts de l’investissement (le capex, capital expenditure), ceux de l’opérationnel (l’opex, operating expenses) qui ont augmenté avec la crise énergétique, mettant en danger l’équilibre de rentabilité de certaines start-up.

Dans ce contexte précis, existe-t-il des perspectives pour ce type d’agriculture ?

Oui. Parce qu’il existe d’autres techniques. L’aquaponie, qui a déjà fait ses preuves, en est une, même si l’on ne la classifie pas spécialement dans l’agriculture verticale.J’ai d’ailleurs beaucoup de demandes de conseils émanant de personnes qui souhaitent installer un système aquaponique. Les perspectives se trouvent dans des plantes avec une haute valeur ajoutée. Cela peut être des plantes médicinales ou avec un composé pouvant répondre à des besoins du secteur médical et paramédical qui est justement en demande d’une production régulière et contrôlée au niveau sanitaire. Je pense, par exemple, à Biotalys, une spin-off gantoise de l’Institut flamand pour la biotechnologie (Vib), qui a décidé de faire de la culture indoor de gingembre dont le rhizome est connu pour la richesse de ses nombreuses molécules. C’est encore une start-up française qui s’est lancée dans la production de plantes en relation avec l’univers du cosmétique. Dans les deux cas, on retrouve une valeur ajoutée très élevée. Ici à Gembloux, sur Wasabi, (plateforme WAllonne de Systèmes innovants en Agriculture et BIodiversité urbaine), dont je suis le coordinateur, nous avons étudié la faisabilité agronomique et économique, ainsi que la viabilité de la culture en conteneurs indoor d’une plante médicinale, l’Euphorbia peplus, réputée pour sa teneur en ingénol-mébutate, une molécule qui se vend plusieurs centaines d’euros du milligramme. Nous avons étudié les impacts de trois substrats hydroponiques, de trois intensités lumineuses, de trois localisations de plantes et de deux surfaces sur le rendement et le coût d’Euphorbia peplus ont été testés dans plusieurs scénarios.

Il en est ressorti qu’avec dix conteneurs, nous arrivons, en l’espace de quatre à cinq ans à l’équilibre budgétaire.

Vous êtes également le fondateur du C-RAU, le centre de recherches en agriculture urbaine. À ce titre, pourriez-vous nous expliquer la nature des travaux que vous menez ?

J’essaie de comparer différents systèmes de production, de voir ce qu’ils ont dans le ventre au niveau technique, scientifique et économique et de les conseiller en fonction de leur contexte de mise en place. Dans le cadre d’une ville extrêmement imperméabilisée, nous préférerons des techniques hors-sol (hydroponie, aquaponie) plutôt que de la pleine terre. Par contre nous ne croyons plus trop à l’indoor vertical comestible. Je parle toutefois ici à l’instant « T ». Mais imaginons que dans 20 ans l’on ne sache plus cultiver quoi que ce soit dehors en raison de la multiplication d’accidents climatiques au fil des années. L’option de l’agriculture verticale comestible pourrait alors bien faire son retour en grâce. L’hypothèse n’est en tout cas pas à écarter. Je pense donc qu’il faut garder toutes ces techniques, connaissances et systèmes bien vivants pour pouvoir les redéployer en cas de nécessité.

Revenons à l’agriculture urbaine dans sa globalité, celle qui était appelée à nourrir les villes dans lesquelles elle avait pris ses quartiers. Attire-t-elle encore les investisseurs et les agriculteurs ?

Bien sûr. Nous accueillons énormément de visiteurs sur notre plateforme Wasabi, notamment l’Union wallonne des architectes qui souhaite même y organiser des formations.

Ce sont forcément des personnes qui vont conseiller des édiles pour des constructions de quartiers, et d’immeubles. Ce sont aussi des promoteurs immobiliers qui viennent à notre rencontre, des maraîchers, y compris des formateurs bruxellois en maraîchage, des gens qui débutent sur des parcelles de permaculture.

Notre plateforme est un outil unique en Europe. Son seul pendant se trouve à Montréal.

Nous y avons déployé notamment des parcelles maraîchères réparties sur une surface totale de 57 ares, divisée en 3 parties. On y étudie différentes techniques de culture comestible applicables en zones urbaines et péri-urbaines que sont la culture sur butte, l’agroforesterie maraîchère (combinaison de légumes et d’arbres fruitiers) et le « Spin farming » (culture intensive sur des surfaces étroites).

«L’agriculture urbaine, et verticale, sont encore dans leur enfance ou leur adolescence dans nos pays. Parmi les modèles économiques qui sont testés, certains résistent, d’autres non».
«L’agriculture urbaine, et verticale, sont encore dans leur enfance ou leur adolescence dans nos pays. Parmi les modèles économiques qui sont testés, certains résistent, d’autres non». - C-RAU

Depuis 2012, la PAFF Box (Plant And Fish Farming Box) nous permet d’étudier les performances de productions végétales et animales en aquaponie. Le conteneur est surplombé par une serre légère. Sa partie inférieure abrite les poissons et le haut des lits de culture hydroponique. Tous les éléments y vivent en bonne intelligence : l’eau des poissons est pompée vers les plantes sans modifications externes et retourne ensuite vers les poissons.

Depuis 2021, nous avons installé des serres en toiture dans le cadre du projet « Groof » (Greenhouses to Reduce CO2 on roofs ») qui repense à la fois le partage de l’énergie et la production locale d’aliments.

Nous menons également des recherches sur l’agrivoltaïsme dans le cadre du projet « PV Follow Functions »afin de susciter une synergie entre l’activité agricole et la production d’électricté verte.

Mais encore…

L’agrivoltaïsme permet de produire de l’énergie solaire, donc propre, tout en assurant des gains aux agriculteurs qui l’installent.

On pourrait imaginer une agriculture éloignée des réseaux électriques, et qui deviendrait autosuffisante grâce aux panneaux photovoltaïques implantés dans les parcelles, et, pourquoi pas, envisager une (sur)production qui pourrait constituer un revenu complémentaire pour les agriculteurs.

L’agrivoltaïsme constitue donc une forme de diversification d’activités. Il pourrait s’avérer particulièrement utile par exemple pour les systèmes de production pour lesquels l’ombrage additionnel des panneaux est bénéfique. Ce serait le cas pour les systèmes maraîchers ou composés de prairies permanentes.

Sur notre plateforme, certains légumes ont souffert de la sécheresse l’année passée, des feuilles ont même brûlé. L’avantage des panneaux, c’est qu’ils peuvent tantôt laisser passer la lumière dont ont besoin les cultures, tantôt leur apporter de l’ombre ou les protéger des fortes pluies, des gels et des excès climatiques.

Marie-France Vienne

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