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La Flandre à la veille d’une nouvelle législation sur le bail à ferme

Contrairement à la région Wallonne pour laquelle le Décret du 2 mai 2019 a déjà réformé le bail à ferme, en Région Flamande, un projet de décret modificatif sera normalement voté juste avant le recès parlementaire de cet été. Jusqu’à aujourd’hui, la loi fédérale sur le bail à ferme est encore d’application en Flandre. L’occasion de mettre en lumière quelques jugements récents prononcés par des tribunaux flamands.

Temps de lecture : 5 min

Commençons par un jugement du tribunal de premier instance de la Flandre-Orientale, division Gand du 3 février 2023. Dans cette affaire un agriculteur demandait la protection de la loi sur le bail à ferme malgré le fait qu’il avait signé des contrats d’occupation gratuite. L’agriculteur argumentait qu’il avait payé chaque année en espèces sans qu’il ait reçu une quittance. Pour prouver ses paiements, il voulait utiliser des enregistrements faits par caméra cachée. Les propriétaires, de leur côté, contestaient que l’agriculteur puisse utiliser ses enregistrements comme preuve, surtout ayant signé un contrat d’occupation gratuite. Le tribunal décida que malgré un écrit autrement formulé, l’exploitant d’un bien agricole peut prouver par tous moyens de droit l’existence d’un bail à ferme et de ses conditions. Les enregistrements vidéos des paiements en combinaison avec la déclaration d’exploitation durant des années auprès de l’administration suffisaient pour le tribunal à dire qu’il y avait un bail à ferme. Cette décision est en ligne avec un arrêt de la cour d’appel d’Anvers du 27 novembre 2017 dans lequel a été décidé que les enregistrements secrets d’entretiens auxquels une des parties a elle-même participé ne sont pas en soi des preuves illicites, même si l’autre interlocuteur n’était pas au courant de ces enregistrements.

La notion

d’exploitant agricole

Dans ce même contexte, un second jugement mérite d’être mentionné. Il s’agit de la décision du tribunal de premier instance de Flandre-Orientale, division Gand du 17 décembre 2021. Dans ce jugement le tribunal a clarifié comment la notion d’exploitant agricole doit être comprise pour que la faculté de prouver l’existence d’un bail à ferme avec tous les moyens de droit soit d’application. Le tribunal explique que la notion d’exploitant agricole doit être examinée en fonction des dispositions de l’article 1 de la loi sur les baux à ferme et ceci pendant la période invoquée. L’exploitation d’un bien agricole implique une exploitation professionnelle tendant à la production de produits agricoles destinés à la vente. Ceci peut se réaliser par un agriculteur à plein-temps ou à mi-temps. La protection de la loi sur les baux à ferme s’applique du moment que l’exploitation assure des revenus certains et non négligeables.

Dans une discussion similaire le juge de paix de Zoutleeuw a décidé dans son jugement du 18 février 2021 que la faculté de preuve libre n’existe que pour l’exploitant d’une exploitation agricole. L’usage d’une prairie pour des chevaux de course ne constitue pas une exploitation agricole au sens de l’article 1 de la loi sur les baux à ferme et donne pas accès à la faculté de prouver par tous moyens de droit l’existence d’un bail à ferme.

Remarquons qu’en Région Wallonne l’exploitant a la faculté de prouver l’existence du bail en produisant une preuve d’offre personnelle de paiement du fermage, conformément aux règles et formes spécifiques, contre laquelle le bailleur n’a pas réagi dans un délai de six mois, prenant cours au moment de l’offre.

Contenu du congé

Dans un jugement assez récent du 3 mai 2023, le tribunal de premier instance de la Flandre-Occidentale, section Bruges devait trancher une discussion sur la validité d’un congé donné à base d’un permis à bâtir. Selon le preneur ce congé était nul car il n’y avait pas exactement mentionné à base de quel article de la loi sur le bail à ferme le bailleur donnait congé. Plus spécifiquement, le preneur dénonçait le fait que le bailleur avait seulement mentionné l’article 6 de la loi sur le bail à ferme, sans expliquer quel paragraphe il invoquait. Le bailleur de son côté répliquait qu’il avait bien expliqué donner congé pour construire des maisons sur base du permis à bâtir qu’il avait reçu. Le tribunal de premier instance en degré d’appel, tout comme le juge de paix d’Ostende en premier instance, rejeta ce moyen en disant que la lettre du congé doit uniquement contenir le motif du congé et pas l’article de la loi sur le bail à ferme sur lequel le congé est fondé.

Il semble que cette jurisprudence vaut également en région Wallonne.

Occupation à titre précaire

Dans un jugement du 25 mars 2021, le tribunal de premier instance de la Flandre-Orientale, section Termonde, a dû se prononcer sur la question de savoir si une convention d’occupation précaire tombait sous l’application de la loi sur le bail à ferme. Les faits étaient simples : durant plusieurs années des copropriétaires ont conclu une convention d’occupation précaire avec un agriculteur lequel pouvait exploiter leurs champs en copropriété contre le paiement d’une rémunération qu’il payait annuellement. Selon l’agriculteur, il était clair qu’il y avait un bail à ferme vu le fait qu’il payait chaque année pour pouvoir exploiter ces champs dans son exploitation agricole.

Dans son jugement, le tribunal de premier instance décide qu’une occupation à titre précaire peut constituer une forme de location ne tombant pas sous les dispositions de la loi sur les baux à ferme, à condition que le contrat ainsi libellé réponde à une situation spécifique et ne serve pas à éluder la loi. Ceci implique nécessairement une situation « d’attente » limitée. La mise à disposition temporaire de terres en attente d’une liquidation de succession, comme c’était le cas dans cette affaire, peut justifier l’existence d’une occupation précaire sans qu’il y ait une situation contraire à la législation sur les baux à ferme.

Jan Opsommer

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