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Olivier Gourmet, acteur fétiche des frères Dardenne : du monde rural au Festival de Cannes...

Dans l’événement des lumières qui vont, qui viennent, s’affairent dans le souffle de l’air les brins. Et les fleurs, leur manière de pousser leur âme devant elles brutalement comme pour happer la fraîcheur. Han-sur-Lesse, les rumeurs des prés encouragent sans l’interrompre l’avancée du printemps. C’est là, au bout de la route qui s’évanouit lentement en un chemin clair, que nous attendons Olivier Gourmet, l’acteur fétiche des frères Dardenne, un talent pur que l’on écoute jusque dans ses silences.

Temps de lecture : 8 min

Après avoir été marchand de bêtes comme leur père, François-Xavier, son frère cadet, y est agriculteur à titre principal depuis 1994 tandis qu’Arthur, son filleul, vient de reprendre une partie de la ferme familiale en janvier 2018. Les deux sont tout à la fois pudiques et fiers du succès de celui qui tutoie les stars et foule les tapis rouges.

Une famille ancrée dans le monde agricole

François-Xavier est à la tête, sur son exploitation de 120 hectares exclusivement constitués de prairies permanentes, d’un troupeau de Blanc-Bleu-Belge inscrit au Herd-Book depuis 2018. Ce qui lui permet de participer à de nombreux concours.

C’est qu’il a toujours eu la passion des animaux qu’il a transmise à Arthur, lequel reprend peu à peu le flambeau. Tout le contraire de son frère Olivier « qui n’a jamais eu d’attrait pour les bovins » sourit-il, ajoutant rapidement que « ce n’est pas pour autant qu’il a renié ses racines, que du contraire ».

Les souvenirs d’enfance d’Olivier Gourmet sont d’ailleurs encore très vivaces.

A gauche, Arthur, passionné d’élevage est le filleul d’Olivier et fils de François-Xavier, au centre, frère d’Olivier Gourmet.
A gauche, Arthur, passionné d’élevage est le filleul d’Olivier et fils de François-Xavier, au centre, frère d’Olivier Gourmet. - M-F Vienne

Ce sont ceux où les deux frères aidaient leur père durant les weekends et les vacances scolaires, « en hiver pour soigner les bêtes et en été pour tailler les épines et faire des clôtures, débroussailler, relever les fossés » glisse Olivier dans un franc sourire en évoquant aussi « l’arrachage à la main des chardons, car notre père ne voulait pas utiliser de pulvérisateur. C’était donc un vrai cauchemar, on n’en voyait pas le bout, je rêvais même de chardons la nuit ».

« Notre père vendait ses bêtes à Ciney, nous les chargions le jeudi et quand nous étions gamins il allait même encore de temps en temps à Bruxelles le mardi » rembobinent de concert les deux frères.

« Je me souviens du cortège des camions, des quais de déchargement, quand on n’est pas du milieu, c’est impressionnant » poursuit Olivier Gourmet.

Un temps et une atmosphère que François-Xavier regrette, tout comme l’évolution de l’agriculture en raison du manque d’aides en faveur des jeunes, « particulièrement au niveau de l’élevage » renchérit son fils Arthur. « C’est à croire que l’Europe ne veut plus de fermiers » souffle le frère cadet d’Olivier Gourmet

De Liège à Paris, en passant par Mons

Ce milieu, Olivier Gourmet l’a quitté à l’âge de 19 ans pour s’orienter vers le théâtre, contre l’avis de son père qui ne pousse pour autant pas ses fils à embrasser le métier de marchand de bestiaux.

Après une année d’université « pour lui faire plaisir », il s’inscrit au conservatoire royal de Liège puis, comme nombre d’artistes l’ont fait avant lui, monte à Paris où il souhaite rejoindre le cours du metteur en scène et réalisateur Patrice Chéreau qui le dirigera plus tard dans « Ceux qui m’aiment prendront le train ».

Il postule à l’examen d’entrée, et pour pouvoir bénéficier d’un logement à la Maison des Étudiants belges et luxembourgeois (Fondation Biermans-Lapôtre) de la cité internationale universitaire de Paris, il s’inscrit au célèbre cours Florent qui commençait en janvier.

Rencontre décisive avec les frères Dardenne

Olivier Gourmet apprend finalement que le cours de Chéreau s’arrête. Il quitte Paris pour Mons et embrasse des études de journalisme afin d’ajouter une corde à son arc tout en se rendant régulièrement à Liège où il rejoint celle qui sera sa future épouse.

Il y trouve un emploi dans le théâtre, arrête le journalisme, joue beaucoup, tant des pièces classiques que modernes, en Wallonie, à Bruxelles et parfois en France, au gré de la tournée des spectacles auxquels il participe.

Jusqu’au jour où on lui propose de siéger dans le jury extérieur du conservatoire où il a étudié. Il y fera une rencontre qui sera décisive dans sa carrière, celle du réalisateur Jean-Pierre Dardenne.

« J’avais 32 ans, on ne se connaissait pas. Nous avons tout d’abord commencé à parler des travaux des étudiants et de la façon de former les acteurs et nous nous sommes rapidement rendu compte que nous partagions des valeurs communes ». Celles de l’engagement social et moral qu’il met en forme à l’écran avec justesse et sobriété.

Quelques mois plus tard, le réalisateur lui propose de faire des essais pour « La Promesse » qu’il réalise avec son frère Luc, un film dans lequel il campe un homme qui exploite des immigrés clandestins.

Le film rafle de nombreux prix, dont le Bayard d’Or du meilleur film et celui du meilleur acteur pour Olivier Gourmet lors du Festival international du film francophone de Namur en 1996. Il aura également un gros succès d’estime à la Quinzaine des réalisateurs lors du Festival de Cannes.

Les deux cinéastes font d’Olivier leur figure récurrente : patron antipathique dans « Rosetta », Palme d’or à Cannes puis éducateur étrange dans « Le Fils » qui lui permet de décrocher le prix d’interprétation masculine, toujours à Cannes.

Des récompenses qui l’honorent mais par rapport auxquelles il prend beaucoup de recul : « si l’on avait changé les membres du jury, c’eût peut-être été un autre acteur qui aurait eu le prix » s’amuse-t-il.

Olivier Gourmet a toujours été attiré par les films d’auteurs, le cinéma social, lui qui préfère jouer du silence, qu’il préfère aux mots.

« Quand je lis les scénarios, je suis sensible aux histoires qui parlent de la société et des gens. J’apprécie quand il y a une vraie psychologie des personnages, quand on décortique les âmes humaines » développe-t-il, même s’il avoue s’être « beaucoup amusé » en tournant « Les brigades du Tigre » ou « Edmond », un film grand public « qui aurait pu être un plus grand succès ».

Dans « L’exercice de l’État » de Pierre Schoeller, il a été un formidable ministre des transports. Dans « La Tendresse » de Marion Hänsel, il conjugue finesse et légèreté tout en rendant son personnage touchant.

En amateur de polars, il diversifie encore plus son talent dans « Mesrine » ou dans « Le parfum de la dame en noir » et « Le mystère de la chambre jaune ».

Une vie loin des strass et des paillettes

Des stars, il en a croisé, sur les tournages, sur les tapis rouges. Il fait partie de cette vague d’acteurs belges francophones encore jeunes qui brillent au firmament du 7e Art mais avec lesquels, contre toute attente, il n’entretient pourtant aucun lien particulier. Ni avec les autres d’ailleurs.

« Je me situe très en dehors du milieu du cinéma, je fuis les avant-premières et les soirées de gala, je n’aime pas ça » assume-t-il.

Et d’ajouter, « cela ne m’embête pas d’être arrêté en rue pour un autographe ou un selfie, mais je m’en passerai bien ».

Une humilité que son frère François-Xavier attribue à leurs racines rurales, dans cette Wallonie où il revient dès qu’il le peut, incognito.

Olivier Gourmet regrette qu’il faille presque faire « des conneries » à la télévision pour devenir populaire plutôt que de se faire remarquer pour la qualité d’un rôle. Cette même télévision dont le but est de proposer des films grand public, avec des têtes de gondole, en première partie de soirée.

Un talent extraordinaire au service du cinéma d’auteur

L’acteur rend visite à sa fratrie trois à quatre fois par ans quand il revient sur ses terres wallonnes, où il était resté très attaché à l’hôtel « Beau Site » que possédait leur mère à Mirwart où elle était cuisinière, mais qu’il a vendu depuis.

« Ce qu’il a fait est extraordinaire, c’est mon frère, j’ai toujours cru en lui car il a un terrible talent. Cela a toujours été une fierté de le voir réussir » déroule François-Xavier, tout en regrettant que tous ses films ne soient pas diffusés en Belgique.

L’acteur n’a jamais rompu avec ses attaches rurales. Elles le nourrissent de vie profonde et familière qu’il transpose à l’écran en jouant avec les émotions qu’il manie avec une justesse inouïe.
L’acteur n’a jamais rompu avec ses attaches rurales. Elles le nourrissent de vie profonde et familière qu’il transpose à l’écran en jouant avec les émotions qu’il manie avec une justesse inouïe. - M-F Vienne.

Car Olivier Gourmet est paradoxalement bien plus connu en France où ses films sont distribués jusque dans les petites villes de province.

« Il a joué dans Eugénie Grandet, de Marc Dugain, et j’ai dû aller le voir avec mon épouse à Charleville, ce qui est un scandale ».

Et d’ajouter, « Olivier n’attire pas les foules parce qu’il s’inscrit dans le cinéma d’auteur, celui des frères Dardenne. Il a par ailleurs joué dans un film extraordinaire, Une « intime conviction », que j’ai vu deux fois. Son interprétation était magistrale, mais il n’a malheureusement pas eu le retentissement mérité ».

François-Xavier s’anime quand il s’agit de défendre le talent et la carrière de son frère qu’il suit de près. Si « La petite Chartreuse » est son film préféré, ce sont « Les Brigades du Tigre » avec Clovis Cornillac et « Tueurs » de François Troukens qui l’ont le plus marqué.

Fidélité aux attaches rurales

Dans quelques heures, Olivier Gourmet s’envolera vers la Tunisie pour tourner « Fanon », un biopic qui retrace la vie de Frantz Fanon, un jeune médecin noir qui arrive dans un asile psychiatrique à Blida pendant la guerre d’Algérie et se retrouve confronté à la différence de traitement entre les autochtones et les Français qui y sont internés. Il y dénonce le racisme et le colonialisme.

« Je joue le rôle du directeur de l’hôpital qui n’est pas spécialement sympathique, il est rétrograde, n’envisage le présent et l’avenir que par le prisme des anciennes méthodes psychiatriques et praticiens qui étaient ses maîtres ».

L’acteur n’a jamais rompu avec ses attaches rurales. Elles le nourrissent de vie profonde et familière qu’il transpose à l’écran en jouant avec les émotions qu’il manie avec une justesse inouïe.

Tout en élégance, François-Xavier Gourmet et son fils Arthur ont profité d’une furtive absence d’Olivier pour évoquer les qualités d’un frère et d’un parrain hors du commun.

« Il est fidèle, généreux, travailleur, courageux, discret et d’une grande simplicité » susurrent-ils.

Marie-France Vienne

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