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Une histoire sans faim?

SOS Faim !! J’ai cherché son stand partout sur la Foire à Libramont et ne l’ai pas trouvé. Peut-être était-il bien caché ? Sans doute était-il absent ? Nulle part je n’ai pu repérer mon stand préféré, instructif, coloré, celui que je visitais toujours en tout premier lors d’éditions précédentes. Je pouvais y rencontrer des agriculteurs africains ou sud-américains, à la tournure d’esprit solidaire et paysanne, aux discours très intéressants autant qu’édifiants. Un vrai bonheur !

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Mais suis-je bête ! Le thème de la Foire aurait dû m’alerter : « L’agriculture, une histoire sans faim ! », et donc sans SOS Faim… Ceux qui ont faim perdent la voix, de toute évidence ; ils sèchent sur pied, se recroquevillent sur eux-mêmes en silence, dans l’indifférence générale. Dans nos pays prospères, les gens vous disent tout haut qu’ils ont faim eux aussi, et même grand faim… de plaisirs immédiats, de loisirs, de distractions, de vacances, d’argent, de confort, de gratitude et d’estime, d’amour et d’affection, de paix et de tranquillité pour certains, d’aventures pour d’autres, de culture et de connaissances et d’un tas d’autres choses parfois utiles, souvent futiles.

L’être humain est un éternel affamé, un sempiternel assoiffé, jamais repu, jamais désaltéré. Quand ses nécessités vitales sont comblées, il cherche et trouve très vite autre chose à consommer, à posséder, à dépecer. C’est plus fort que lui ! Le capitalisme l’a bien compris, qui invente sans cesse de nouveaux besoins superflus, lesquels deviennent rapidement indispensables : vêtements et accessoires de mode, smartphones, voitures « musclées », etc.

Fort bien ! Pendant ce temps, environ 735 millions d’enfants et d’adultes dans le monde souffrent de faim ou de malnutrition, selon un rapport de cinq agences spécialisées des Nations Unies (ONU). Avoir faim… Avons-nous jamais, chez nous, eu faim de nourriture ? Juste une fringale, de temps à autre, une faim agréable dont on sait qu’elle sera bien vite satisfaite en prenant un repas délicieux qui nous procurera du plaisir. Les 735 millions d’affamés -un être humain sur dix!!- souffrent d’une autre faim : chronique, débilitante, destructrice. Il faut se mettre à leur place ! La faim trotte sans fin dans leur tête ; elle les obsède, les rend dépendants, misérables, honteux. Elle les révolte aussi parfois, quand ils en ont encore la force. Elle leur dévore leur meilleure part d’humanité, d’estime d’eux-mêmes, d’amour-propre, quand ils doivent quémander, s’humilier, fouiller des poubelles et manger des choses innommables, donner celles-ci à leurs enfants…

Cette faim-là, nous ne la connaissons pas ; nous l’ignorons ; nous regardons ailleurs. Après tout, n’est-ce pas, c’est le boulot des ONG, des dirigeants de ces pays pauvres qui font mal leur boulot… Selon le directeur général de la FAO (Food and Agriculture Organization) -organisation des Nations Unies pour la nourriture et l’agriculture –, la pandémie de Covid-19 puis la guerre en Ukraine ont affecté les filières alimentaires de base, principalement les céréales, sans qu’il soit possible d’espérer une amélioration prochaine. De plus, les dérèglements climatiques, les conflits géo-politiques, l’ingérence néo-colonialiste capitaliste dans les pays sous-développés, ainsi que l’instabilité économique globale, sont devenus une « normalité », laquelle accroit l’insécurité alimentaire des zones à risque. En un mot comme en cent, éradiquer la faim dans le monde n’est pas pour demain, ni pour après-demain, si elle a lieu un jour !

C’est absolument incroyable ! Quand je vois par exemple ce qu’un simple potager d’un are ou deux peut produire comme légumes, si on considère également la quantité de pommes de terre ou de froment susceptible d’être récoltée sur un hectare, comment peut-on admettre que des gens meurent -décèdent, trépassent, succombent, expirent, comprenez-vous ?- simplement parce qu’ils ont faim. En Europe et aux États-Unis, on cultive même du blé, de l’orge, du maïs, des betteraves…, pour produire des bio-carburants, des boissons alcoolisées récréatives, du sucre pour l’industrie agro-alimentaire. Ici on mange trop, et mal ; ailleurs, on mange trop peu, et très mal.

L’agriculture : une histoire sans faim, sans SOS Faim ? Vraiment ? L’affirmation est fallacieuse, et reste un vœu pieux. Elle nous donne bonne conscience et nous aveugle, alors que tout paysan dans l’âme devrait regarder, constater, s’informer, se rendre compte de l’épouvantable réalité… Une personne sur dix dans le monde souffre réellement de la faim en 2023. Ces 735 millions d’affamés sont pour la plupart des enfants, et des mères de famille. Mères de famine… Elles auraient tout de même mérité un petit stand sur notre fière et opulente Foire de Libramont, pour leur donner un peu de visibilité, leur rendre justice, leur donner l’estime qu’elles méritent, pour alerter et donner à comprendre. Mais hélas, la Foire a d’autres priorités et chante en choeur avec ses visiteurs : « 735 millions de crève-la-faim, et moi, et moi, et moi. Avec les frites, les hamburgers, et toute la bière que je m’envoie. J’y pense et puis j’oublie, c’est la vie, c’est la vie. ».

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