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Le chemin de rencontre

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Le « savoir écouter » devrait être enseigné par les parents et dans les écoles, et ce dès le plus jeune âge, afin qu’il soit bien ancré dans nos comportements d’interaction sociale. Savoir écouter ses interlocuteurs, et la rumeur du monde. Savoir lire d’un bout à l’autre de la page et regarder également entre les lignes ; faire l’effort de déconstruire les tenants et les aboutissants de toutes ces « vérités » que la société nous propose à croire dans son catéchisme. Le plus souvent, personne n’écoute, ou fait semblant, et se réfugie dans un vaste « cela va sans dire » ou « cela va de soi » quand il s’agit de répondre à une critique, à un questionnement légitime. Tendre l’oreille et dessiller ses yeux exigent une ouverture d’esprit, et une bonne dose de bienveillance ; adopter d’emblée une posture de combat enferme à double tour les dialogues et risque d’entraîner les protagonistes dans une spirale d’affrontements sans fin.

Ainsi, l’emploi de pesticides en agriculture déclenche depuis des lustres des vagues de critiques négatives. C’est aujourd’hui pire que jamais… Une litanie de notifications m’accueille chaque matin sur mon smartphone, pour condamner tantôt le glyphosate, tantôt le prosulfocarbe, les néonicotinoïdes et d’autres molécules aux noms plus barbares les uns que les autres. Impossible de tout lire, mais en gros, ils auraient, peu ou prou, des effets néfastes, voire dévastateurs est-il affirmé, sur la santé des humains et sur les écosystèmes. Lu sur Google Chrome : le 17 septembre dernier, Étienne de Callatay s’est fendu dans La Libre d’une chronique peu amène intitulée « L’illusion d’une agriculture wallonne vertueuse ». Chiffres à l’appui, il y dénonçait certaines contre-vérités et dénis des instances agricoles face aux défis de l’environnement. Une levée de boucliers a suivi, réactions indignées ou attristées, droits de réponse publiés le 28 septembre.

Si Monsieur Toulemonde lit ces deux articles, il ne pourra s’empêcher de trouver les propos du chroniqueur frappés au coin du bon sens. De Callatay ne demande en fait qu’un examen de conscience du monde agricole wallon, un narratif plus explicite et moins combatif, moins paranoïaque. Les gens ont besoin d’entendre une histoire joyeuse, des explications claires et honnêtes, de distinguer une transparence sans coin d’ombre. Comme l’expliquait naguère JMP dans son article « Bruxelles aux deux visages » du 28 septembre, il faut « prendre des chemins de rencontre » si l’on veut nouer un dialogue constructif et instructif.

Écouter les gens, j’aime cela. Les voix de la terre ne sont pas impénétrables ; elles sont émises également par des néo-ruraux et reflètent fidèlement le ressenti des non-agriculteurs envers notre profession. Ainsi, un Liégeois d’origine m’a raconté son vécu au sein de son village d’adoption, et deux expériences diamétralement opposées. Il est arrivé en 1998, après avoir acheté une place à bâtir, au cœur d’un hameau qui ne comptait que trois fermes en tout et pour tout. Le lotissement de huit emplacements s’étalait sur une bande large de 40 mètres, prise sur une grande parcelle agricole. Il s’est tout de suite lié d’amitié avec le fermier locataire du champ, rencontré le jour de la visite.

L’homme installait une clôture pour délimiter le terrain, et dégageait une sympathie instinctive, pas du tout intrusive. Une fois la maison construite, le cultivateur lui a proposé de passer la herse rotative dans les terres de remblais ; puis il a même semé les semences de pelouse à la main, en riant comme un bossu de voir le citadin s’escrimer à éparpiller les grains minuscules. La journée s’est terminée autour d’un barbecue. Le Liégeois n’en revenait pas -Oufti !- d’être aussi bien accueilli, alors qu’on lui avait dit pis que pendre des « Ardennais ombrageux et taciturnes ».

Le fermier lui a expliqué comment il exploitait la terre : trois céréales, puis trois années de prairie temporaire. Il prévenait toujours avant de faucher ou moissonner, pour que la gamine du couple garde le petit chien et son chat à l’intérieur. De même, lorsque le champ était emblavé en céréale, il y installait un petit potager temporaire de quelques ares et proposait au Liégeois d’y semer de la salade ou d’autres légumes avec lui. Il pulvérisait une fois l’an ses céréales de printemps, jamais l’épeautre qui suivait le gazon. Ses épandages se limitaient à du compost – « du fumier noir qui ne sentait pas si mauvais ! »- et deux fois l’an de l’engrais minéral.

En automne 2015, le fermier a cessé ses activités. Son successeur, un jeune homme plein d’allant, a tout de suite annoncé la couleur (jaune) en venant pulvériser le champ d’herbes au roundup. Le néo-rural n’en revenait pas de voir les effets dévastateurs du produit. Puis il a labouré, semé, et encore pulvérisé avec autre chose. Au printemps, rebelote : deux passages de pulvérisateur. La seconde fois, le chat de la maison était parti en balade ; il est revenu couvert de quelque chose qui sentait bizarre et faisait éternuer. Il est mort le lendemain. Le Liégeois est allé trouver l’exploitant agricole pour lui parler de la dangerosité de son produit, mais celui-ci l’a reçu fraîchement et n’a rien voulu entendre. Éberlué, le propriétaire du chat a subi une logorrhée sur « l’agribashing des bobos venus de la ville qui n’ont qu’à rester chez eux et viennent nous envahir moi je dis et puis j’ai pas le temps de causer avec vous moi je travaille moi je nourris la planète moi vous n’y connaissez rien portez plainte si vous voulez je suis syndiqué moi et assuré moi vous n’allez pas m’embêter moi pour un chat il y en a plein qui courent les routes par ici ».

Moi, moi, moi… Changement d’approche radical ! Selon vous, lequel de ces deux agriculteurs a-t-il pris le meilleur « chemin de rencontre » ?

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