Accueil Economie

François Dumonceau, au sujet de l’agriculture de précision: «N’ayez pas de craintes pour vous lancer»

Si Claude Van Den Abeele a opté pour John Deere Operations Center, François Dumonceau s’est, lui, tourné vers Agrirouter. Cette plateforme lui permet de faire circuler facilement les données entre les machines, et vers les différents logiciels utilisés sur la ferme.

Temps de lecture : 6 min

L’association Armand et François Dumonceau, à la ferme de la Haye à Houtain-le-Val, cultive du froment, de l’escourgeon, du colza, des betteraves et des pommes de terre sur 130 ha. Ici, les outils numériques font partie depuis plusieurs années de la boîte à outils, à côté des tracteurs et autres machines.

François, pouvez-vous retracer votre parcours en agriculture de précision ?

Avec ma formation d’ingénieur civil en électromécanique, j’ai toujours été passionné par la technologie. J’utilisais déjà en 2009 un pulvérisateur Hardi dont je pouvais couper les sections avec une barre de guidage Easyguide 500. Ensuite, je suis passé au guidage automatique avec un signal RTK et des consoles dédiées aux machines qui m’ont permis de passer aux coupures de sections mais d’abord de manière limitée : deux sections en engrais, et sept en pulvérisation. Tout cela a bien évolué, pour en arriver aujourd’hui à 12 sections pour le distributeur d’engrais Lemken Polaris et à des coupures jet par jet avec le pulvérisateur Hardi Navigator.

Les tracteurs (New Holland) sont équipés d’une console Isobus CCI 800. La moissonneuse-batteuse, de la même marque, dispose d’un capteur de rendement qui est un élément capital en agriculture de précision. Seul le semoir à céréales demeure en version mécanique, mais le prochain investissement permettra de s’orienter vers une version électrique qui me permettra aussi de moduler les doses de semis et, ainsi, de boucler la boucle, ou presque.

En parallèle, je suis la météo avec plusieurs stations connectées SmartFarm. Outre les paramètres habituels, elles mesurent également la température dans le sol à – 5 cm et -20 cm pour m’aider à positionner au mieux mes pulvérisations mais aussi les travaux du sol au printemps, en fonction de son réchauffement.

Et l’échange de données a fait son apparition sur la ferme en 2020.

En effet, pour utiliser les différents outils numériques, les données doivent circuler rapidement et cela devenait ingérable sans un système d’échange de données efficace (encodages multiples de la même donnée, jouer avec des clés USB entre les différents logiciels…).

Avec la plateforme Agrirouter, je peux faire circuler les données entre les machines, et vers les différents logiciels, sans me soucier du bon formatage. Agrirouter me permet aussi d’envoyer les cartes de préconisation sur la console CCI du tracteur, et de piloter sur base de ces informations géographiques les outils attelés qui fonctionnent tous en Isobus.

Pour créer les cartes de préconisation, je travaille avec plusieurs fournisseurs : Xarvio Field Manager pour les céréales, My Precifield pour le colza et aussi My Easy Farm. Je prépare mes cartes de préconisation quelques jours à l’avance, de façon à utiliser les images satellites les plus récentes (cartes de biomasse, par exemple). Si je le souhaite, je peux bien entendu toujours corriger manuellement les cartes préconisées automatiquement, avant de les envoyer via Agrirouter directement vers la console du tracteur. Dès que celle-ci est allumée, la carte est téléchargée et je peux travailler.

Je réalise aussi des cartes de préconisation pour le régulateur de croissance, et parfois en fongicide. Pour le désherbage, je réfléchis encore à la tactique et devrais bientôt tester un système basé sur un drone. Celui-ci permettrait de dessiner des cartes précises avec les taches d’adventices en vue de générer une carte de traitement. En attendant, je réalise manuellement des cartes avec les taches de chardons, de façon à repasser ultérieurement de manière ciblée sur celles-ci.

Quelques chaînons manquent encore chez moi, entre autres le tracking pour documenter automatiquement les travaux réalisés. Les données ne circulent pas toujours entre les différents logiciels (je travaille par exemple avec Smag Farmer pour la documentation et la gestion des travaux, mais il ne communique pas avec Xarvio). J’essaie de pallier ce problème avec les boîtiers de localisation, comme celui de Karnott. Un autre chaînon manquant, c’est la modulation des doses en semis comme précédemment évoqué.

J’ai aussi pour projet d’améliorer le pH des parcelles grâce à la cartographie du sol car je constate encore des différences d’acidité entre certaines terres.

Quel est votre bilan après quelques années en agriculture de précision ?

Aujourd’hui, l’expérience est très positive. Premièrement, j’utilise mieux chaque unité d’azote distribuée. Ensuite, il y a beaucoup moins de produits phyto utilisés et presque plus de fond de cuve.

Troisièmement, les intrants sont en général beaucoup mieux gérés, et je pense atteindre une réduction de minimum 5 %. Enfin, je dispose de nouveaux outils d’aide à la décision. La conduite des cultures est donc beaucoup plus précise.

Il reste difficile de chiffrer exactement le retour sur investissement. À ce jour, les matériels sur le marché sont souvent prévus pour les coupures de sections ou la modulation de dose et les suppléments pour cela sont dérisoires comparés aux avantages.

Et comment voyez-vous l’avenir ?

Je suis convaincu que le numérique sera une des clés pour concilier agriculture, climat et écologie. Il améliorera aussi l’image de l’activité agricole dans le public en montrant que les agriculteurs sont des professionnels qui utilisent des outils modernes permettant une gestion toujours plus raisonnée de leurs cultures.

Techniquement parlant, d’autres perspectives s’ouvriront sans doute à partir des cartes de sol en matière de travail du sol : réglage de profondeur pour le déchaumage, hauteur de la planche niveleuse de la herse rotative, profondeur de terrage du semoir, ou encore le pilotage du labour. Mais il faudra que les tracteurs soient compatibles avec la norme TIM du système Isobus pour commander les fonctions hydrauliques.

Je ne crains pas que ces outils accélèrent l’industrialisation de l’agriculture car l’« œil du maître » de l’agriculteur, la connaissance de ses terres et de ses cultures ne seront jamais remplacés par des outils d’aide à la décision. Ceux-ci pourraient, en revanche, contribuer à l’arrivée d’une agriculture à deux vitesses, entre ceux qui feront le virage vers le numérique et les autres. Et cela n’est pas un problème de taille de l’exploitation ou de capacité financière, car les agriculteurs pourront toujours utiliser les services des entrepreneurs qui sont de plus en plus équipés de ces outils numériques.

Le service autour du matériel va aussi devoir évoluer de la vente de machines vers la vente de solutions. Il faudra cependant que les mentalités chez les utilisateurs évoluent en acceptant de payer un service rendu en ligne ou au téléphone. Et c’est aussi vrai pour les services numériques des entrepreneurs agricoles.

Avez-vous des conseils pour ceux qui souhaiteraient se lancer ?

Je constate et regrette que très peu de mes collègues font le pas vers ces outils numériques. Souvent, ils ont les tracteurs compatibles, des outils de coupure des sections, des machines de récolte avec capteur de rendement mais ils ne les utilisent pas, ou beaucoup trop peu, par rapport aux possibilités.

L’offre de services et de logiciels est pléthorique, et je comprends qu’il est souvent difficile de s’y retrouver, d’autant plus que beaucoup sont adaptés pour la France, les Pays-Bas… mais très peu pour la Belgique. Heureusement, il est souvent possible d’essayer une version gratuite avant de se décider. Il y a, à ce jour, très peu de conseillers pour nous aider. WalDigiFarm peut nous aider à s’y retrouver dans cette jungle.

Je dirais pour conclure : n’ayez pas de craintes pour vous lancer, il ne faut pas se précipiter mais y aller petit à petit.

Maurice Malpas

WalDigiFarm

A lire aussi en Economie

Voir plus d'articles