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Des dromadaires à la conquête de la Wallonie!

Dans les replis de janvier, ces jours accumulés, entassés, construits. Le nord en ch’ti, étendues en quête d’infini, regard calme sur l’ombre bleue au bout des nuages moelleux comme reflétant leur âme peinte sur une tasse de porcelaine blanche. Le temps nous prend en Thenailles.

Temps de lecture : 8 min

La froide humidité colle aux semelles, loin devant Maubeuge et traçant vers Reims, le lieu-dit Le Fay (Thenailles) abrite un troupeau de… camélidés.

Un groupe dans une étable, quelques spécimens dans un enclos. La placidité de ces improbables locataires épouse parfaitement la quiétude du lieu devenu tout à la fois le havre de paix et l’écrin abritant la passion de Geoffrey Laumonier.

Genèse d’une passion

Ce Liégeois de 34 ans, originaire de Voroux-Goreux dans l’entité de Fexhe-le-Haut-Clocher, a découvert l’équitation à l’âge de 9 ans. Tout d’abord cavalier, il se tourne vers les disciplines de l’attelage ardennais chez Bernard Ridelle puis de l’élevage aux écuries d’Alphi, à Marche-en-Famenne. Il y est séduit par cet environnement et s’investit dans l’éducation des jeunes chevaux.

Le dromadaire est un animal bavard et très curieux,  qui vient spontanément à la rencontre des visiteurs.
Le dromadaire est un animal bavard et très curieux, qui vient spontanément à la rencontre des visiteurs. - M-F V.

C’est en 2019 qu’il découvre, sur la plateforme YouTube, l’existence du ranch de tourisme « Les dromadaires de Picardie » à Thenailles, dans le département français de l’Aisnes (Hauts-de-France). Il décide aussitôt de s’y rendre avec son ami, Jonathan Chacon, pour effectuer une promenade touristique à dos de camélidé.

Les deux Liégeois sympathisent avec le maître des lieux, Olivier Philipponneau, chamelier, dresseur, éleveur et formateur, qui propose sur son domaine une large palette d’activités dont du travail spécifique, que l’on peut rapprocher de l’équithérapie, à destination de jeunes souffrant notamment de troubles autistiques.

Un animal sociable, curieux et sportif

« Nous avons été conquis par tout ce que le dromadaire pouvait apporter, cela nous a donné envie de revenir pour confronter mes connaissances équestres à l’univers des camélidés » rembobine Geoffrey qui a tout d’abord voulu transposer la relation entre le cavalier et sa monture à celle existant entre le chamelier et son chameau.

« Sauf que cela ne passait pas et qu’il a fallu me remettre en question » s’amuse-t-il a posteriori. Et d’expliquer que la relation s’est construite « par l’intérêt et la curiosité mutuelle car le dromadaire est un animal sociable et curieux de nature, il se dirigera spontanément vers la personne qui l’approche » développe le Liégeois.

Olivier Philipponneau lui donne des cours de monte sur le domaine. Ce poitevin de naissance est l’organisateur de la première course de dromadaires en France sur l’hippodrome de La Roche-Posay, en 2010. Il est aussi le premier jockey à inscrire son nom au palmarès de la Coupe de France de courses de dromadaires remportée en 2012.

Désireux de faire connaître ses animaux au grand public, Geoffrey Laumonier veut inscrire son projet dans une démarche liée à la fois aux loisirs, au sport, à la pédagogie et à la thérapie avec des enfants et des adultes.
Désireux de faire connaître ses animaux au grand public, Geoffrey Laumonier veut inscrire son projet dans une démarche liée à la fois aux loisirs, au sport, à la pédagogie et à la thérapie avec des enfants et des adultes. - M-F V.

Le dromadaire n’est toutefois pas un animal qui se résume à des balades touristiques. On l’utilise pour des courses, surtout en Australie, en Mauritanie et au Moyen-Orient, mais aussi en Autriche, en Grande-Bretagne et en France (à Montluçon et à La Baule). Il est par ailleurs la star de certains sports comme le polo et le handball.

Achat de chamelles et de chamelons

En 2021, Geoffrey et Jonathan sautent le pas et acquièrent une première chamelle puis un petit mâle et, en novembre 2022, deux autres chamelles en Suisse, pays où l’on trouve, contre toute attente, une ferme laitière de dromadaires.

Enfin, Ils fondent leur société « Cameli Deo » et rachètent à Olivier Philipponneau un chamelon « que nous avons vu naître » sourient les deux amis qui sont désormais à la tête d’un petit troupeau de cinq dromadaires, dont deux femelles gestantes.

Les deux amis font plusieurs fois par semaine l’aller-retour entre la région liégeoise et le nord de la France pour rendre visite à leurs animaux actuellement basés au Fay.

Objectif Wallonie

Ils nourrissent l’espoir de rapatrier le petit troupeau en Wallonie, si possible dans le cadre d’un partenariat avec une structure existante telle qu’une coopérative, des habitats insolites ou une ferme pédagogique qui souhaiterait proposer des balades à dos de dromadaires. Mais pas que.

Désireux de faire connaître leurs animaux au grand public, Geoffrey et Jonathan veulent inscrire plus largement leur projet dans une démarche liée à la fois aux loisirs, au sport, à la pédagogie et à la thérapie avec des enfants et des adultes.

« Notre but est de mettre nos animaux à la disposition d’éducateurs spécialisés » déroule Geoffrey en nous précisant que « le dromadaire a été reconnu comme animal domestique par deux règlements européens ainsi que par la convention de Washington ».

Camélidés et agriculture

La présence de camélidés en Europe n’est absolument pas une hérésie. Fort de sa grande force de traction, le chameau-dromadaire a été utilisé par les Romains pour construire des voies et des villas gallo-romaines.

Il a également été utilisé pour les travaux aux champs, dans les vignes dans la région de Reims, comme animal de transport de marchandises entre l’Espagne et la France ainsi que par l’armée française et ses compagnies méharistes qui ont défilé à l’occasion du 14 juillet sur les Champs-Élysées jusque dans les années 80.

jonathan_chacon

Au niveau agricole, le dromadaire est élevé et valorisé au Moyen-Orient et en Afrique pour son lait, sa viande et son cuir.

« Si l’espèce n’a pas été pérennisée en Europe, c’est parce que vaches et chevaux étaient plus performants au niveau des productions viandeuse et laitière sous nos latitudes » explique Geoffrey.

Le dromadaire pourrait pourtant faire son retour en agriculture, du moins en France, puisque qu’un projet de loi est à l’étude au Sénat pour le faire rentrer dans le paysage agricole.

D’étonnantes capacités d’adaptation

« Il s’agit d’un animal élancé et résistant qui possède d’étonnantes capacités d’adaptation et de survie. Il peut rester plusieurs jours sans boire dans la fournaise du désert et se déshydrater jusqu’à 30 % de son poids (contre 7 % pour l’être humain) sans mettre sa vie en danger » soulève Geoffrey, ajoutant qu’il est en revanche « à même de boire jusqu’à 120 litres d’eau en 15 minutes ».

Sa bosse, remplie de graisse, d’oligo-éléments et de vitamines est un réservoir d’énergie. Il possède un pelage isolant du froid et une robe de couleur claire pour limiter l’élévation de température.

Non, le dromadaire n’a pas mauvais caractère ! Il aime être caressé et interagir avec son propriétaire. Jonathan chacon ne dira pas le contraire.
Non, le dromadaire n’a pas mauvais caractère ! Il aime être caressé et interagir avec son propriétaire. Jonathan chacon ne dira pas le contraire. - M-F V.

Ses genoux et son sternum sont quant à eux équipés de coussinets calleux lui permettant de baraquer sans souffrir au contact du sol brûlant.

Justement souvent associé au désert, le dromadaire peut-il s’adapter à notre climat wallon ? « Oui » répond spontanément Geoffrey, soulignant que « les températures dans le désert peuvent descendre jusqu’à moins 10º la nuit en hiver alors que la Belgique bénéficie d’une météo plus ou moins stable ».

Le dromadaire se nourrit de foin, de paille, d’herbe, de branches, de carottes, de citrouille. Bref, rien qui ne soit pas disponible dans notre région. On peut dire que les fourrages européens sont en moyenne plus riches que la végétation du désert.

C’est un ruminant qui a même la capacité de digérer les cactus et… les aiguilles de sapin, un atout qui fait le bonheur de Julien Job, gérant de « La Camélerie » à Feignies (Maubeuge), la première ferme qui produit du lait de chamelle en France.

Après les fêtes de fin d’année, l’éleveur récolte les sapins des habitants de son village. Les troncs sont broyés pour servir de litière aux animaux de la volière, tandis que les épines sont destinées à nourrir les chameaux et dromadaires, très amateurs de la résine des sapins qui vient agrémenter leur ration.

 

Le dromadaire a bon caractère !

Geoffrey Laumonier ne tarit pas d’éloges sur son animal favori et « très intéressant qui est étudié au sein de plusieurs universités, au Kazakhstan, à Dubaï, en Algérie, aux États-Unis ».

« Contrairement aux idées reçues, le dromadaire est en réalité originaire des plaines et des déserts d’Iran » soulève pour sa part Jonathan, en précisant que l’on en trouve plus guère à l’état sauvage, si ce n’est en Australie où il avait été importé au XIXème siècle pour la construction de chemins de fer.

« Une fois leur tâche achevée, ils ont été relâchés dans la nature à laquelle ils se sont adaptés ».

On dit communément d’une personne autoritaire, méchante, acariâtre ou encore désagréable, qu’elle est un chameau. Une comparaison peu flatteuse dénoncée par les deux Liégeois.

« Le dromadaire n’a pas mauvais caractère, il est sociable et grégaire, aime être caressé et interagir. Il est par ailleurs très bavard, on dit qu’il blatère, mais sans émettre du bruit pour rien, comme peut le faire la dinde » explique Geoffrey.

Le lait de chamelle, un produit plein d’avenir

L’attrait pour ce camélidé grandit indéniablement en Europe. Preuve en est, la multiplication de projets de fermes laitières qui fleurissent outre-Quiévrain, plus particulièrement dans le Larzac et le Cantal.

Car le lait de chamelle est un produit particulièrement apprécié des consommateurs et des scientifiques pour sa faible teneur en matières grasses, son pourcentage élevé de calcium libre et de vitamine C, en plus de minéraux comme le fer. Il aurait en outre un potentiel dans le traitement de certaines pathologies comme le diabète.

Geoffrey et  Jonathan font plusieurs fois par semaine l’aller-retour entre la région liégeoise et le nord de la France pour rendre visite à leurs animaux actuellement basés au Fay.  Ils espèrent pouvoir les installer en Wallonie.
Geoffrey et Jonathan font plusieurs fois par semaine l’aller-retour entre la région liégeoise et le nord de la France pour rendre visite à leurs animaux actuellement basés au Fay. Ils espèrent pouvoir les installer en Wallonie. - M-F V.

Certains l’on bien compris, comme le Néerlandais Frank Smits, fondateur de « Camel Dairy Farm Smits », la première ferme laitière européenne, qui abrite une centaine de dromadaires à Berlicum (Brabant septentrional) au sud des Pays-Bas.

On y décline le lait sous toutes ses formes : en poudre, en savon, produits cosmétiques, liqueur, bonbons…

L’idée d’une ferme de camélidés au sens large (bactrianes, lamas, alpagas) plairait bien aux deux compères liégeois, même si la production laitière n’est pas leur priorité. En cette année internationale des camélidés, ils sont toujours en recherche d’une structure d’accueil pour leurs dromadaires. Ils espèrent poursuivre leur aventure en Wallonie. 

Marie-France Vienne

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