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Les marchands de peurs, de leurres ou les ultracrépidariens

Un ultracrépidarien est quelqu’un qui est atteint d’ultracrépidarianisme.Mais encore ?

Temps de lecture : 5 min

Si cela fait le sujet d’un courrier publié dans un journal agricole, cela doit certainement avoir un rapport avec l’agriculture. Serait-ce une nouvelle maladie en céréales, en pommes de terre ou en betteraves ? Peut-être plutôt dans le monde animal, chez les bovins, les porcins, les volailles ? Peut-être un nouvel insecte ou champignon ? Ah mais non, bien sûr, c’est sans doute encore un nouveau virus ! En tout cas, avec un nom pareil, est-ce grave docteur ?

Eh oui, c’est grave ! L’ultracrépidarianisme est le comportement de certaines personnes qui ont tendance à s’exprimer sur des sujets qu’elles ne maîtrisent pas. Ce mot vient de la locution latine « Sutor, ne ultra crepidam », qui se traduit par « Cordonnier, pas plus haut que la chaussure ! ». Dunning et Kruger, psychologues américains, ont même mis en évidence que moins il en connaît sur le sujet, plus l’ultracrepidarien en disserte avec assurance et conviction. L’effet Dunning-Kruger, c’est donc quand l’incompétent se surpasse. Et parfois, il n’y a pas de limites !

Les véritables connaisseurs eux sont plus humbles et parlent avec hésitation. Ils ont du mal à émettre un avis tranché. Charles Bukowski disait « Les gens intelligents sont pleins de doutes, les gens stupides sont pleins de certitudes ».

Comme déjà signalé à l’époque par JMP, dans cette même rubrique, le mot ultracrepidarianisme a été élu mot de l’année 2021, année de la Covid. Rappelez-vous ! Il y avait à l’époque des éminents virologues dans tous les bistros et sur tous les forums des réseaux sociaux.

Dans notre secteur agricole, malheureusement les cas ne manquent pas ! Par exemple, dans l’édition du Sillon Belge du 11 janvier dernier, je lisais dans cette rubrique :

« environ trois millions de tonnes (!) d’herbicides sont utilisées chaque jour (!) dans le monde afin d’éliminer toute plante indésirable ! Sans compter les fongicides et insecticides… ». L’utilisation des points d’exclamations me laisse à penser que tout a été bien vérifié et que l’auteur est sûr de son coup. Comme j’ai reçu une bonne formation (aussi en agriculture) et que je travaille dans l’industrie de la protection des plantes depuis plus de 35 ans, j’étais plein de doutes. Donc j’ai vérifié…

La réalité : les statistiques de l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (Fao) mentionnent pour l’année 2021 environ 1,7 million de tonnes de matières actives herbicides, soit à peu près 600 fois moins que ce qui a été avancé.

Le monde agricole est habitué à ce genre de mensonge ou d’approximation ou encore à entendre des discours de donneurs de leçons.

Il suffit d’en entendre parler sur notre métier, de lire des articles dans les journaux de la grande presse, de regarder des reportages lors d’émissions de grande écoute et on touche le fond quand on se promène sur les différents réseaux sociaux. Les soi-disant reportages d’investigations n’aident pas à améliorer la situation. Bien souvent ces émissions déforment bien plus qu’elles n’informent. Certains ne savent pas reconnaître un champ de betteraves mais ils vous expliquent comment les cultiver. Pour eux, la monoculture n’a rien à voir avec la rotation mais c’est quand la parcelle ne contient qu’un seul type de plante cultivée ; ainsi un champ de betteraves, c’est de la monoculture de betteraves… Le vocabulaire utilisé en dit long aussi : on ne pulvérise pas, on n’applique pas des produits de protection des plantes mais on arrose, on asperge ou on épand des pesticides. Si les champs (et les prairies) sont inondés, ce n’est pas à cause de la pluviométrie record mais à cause de mauvaises pratiques agricoles.

Parfois, on en arrive à se demander si ce comportement ultracrépidarien est simplement dû à l’ignorance ou s’il est organisé dans le but de désinformer, de faire peur ou de manipuler l’opinion. Et c’est comme cela que l’on en arrive à l’agribashing et avec les élections qui se profilent, on peut se préparer à en subir.

L’utracrepidarien raconte des bobards mais n’en tire pas profit comme le marchand de peurs ou de leurres. Il n’en demeure pas moins que ses propos font des dégâts et détruisent l’image d’une belle et noble profession.

C’est pour cela que c’est grave et que cela doit être dénoncé. C’est pour cela aussi qu’il faut parfois prendre le temps d’essayer de répondre aux agribasheurs. Le problème est que ces gens n’écoutent qu’eux-mêmes. Ils n’acceptent pas les remarques ou les critiques.

Un agriculteur qui fait mal son métier est tellement contrôlé que dès qu’il fait un tout petit pas de travers, il est sanctionné. Il en va de même pour de nombreuses autres professions. Mais un journaliste qui écrit des mensonges ou qui raconte des bobards dans un reportage est applaudi parce qu’il fait de l’audimat, parce qu’il lance des alertes.

Moi je félicite les agriculteurs qui communiquent, qui mettent des panneaux dans leurs champs pour expliquer le comment et le pourquoi de leur travail. Car pour combattre ce fléau il faut communiquer, expliquer. Mais expliquer l’agriculture n’est pas une chose facile. D’abord, parce qu’il n’existe pas qu’une seule agriculture. Il y a une très grande diversité et il n’y en a pas de mauvaises. Ensuite, parce que pour comprendre ces agricultures, il faut les vivre, les subir, avec tout ce qu’il y a de beau mais aussi et surtout avec toutes les difficultés et les contraintes de plus en plus nombreuses.

Alors, pour terminer avec un peu d’humour, une citation-conseil adressée aux ultracrepidariens auteurs de ce genre de propos assassins pour la profession. Celle-ci est tirée d’un sketch des Bodin’s – caractérisés par leur bon sens des gens de la terre – : « La connerie c’est comme quand t’as de la salade dans les dents, tant que tu la fermes ça ne se voit pas ! »

G.V.

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