Petit guide anti-diversion à l’usage des agriculteurs
« On ne lâche rien », une carte blanche de l’Unab (Union des agriculteurs·ices de Wallonie).

Recadrer le débat : le prix juste
Les causes de la crise sont multifactorielles. On a pourtant aussi entendu que « Le problème commun aux agriculteurs, c’est l’impact du Green Deal ». (1)
Oups. L’écrasante majorité des mesures du Green Deal n’ayant pas été votées, le Green Deal ne peut pas être invoqué magiquement comme cause de la difficulté des agriculteurs. Ce type de déclaration est soit un manque flagrant de connaissance du secteur, soit un moyen malhonnête de détourner l’attention du vrai problème : le système économique en cours qui écrase les acteurs les plus faibles d’une chaîne de valeur. Dans les deux cas, c’est grave.
Libre marché et concurrence déloyale : l’œuf et la poule
En termes de concurrence, le cas des œufs de poules en cage importés d’Ukraine est un bel exemple qui démontre que le dogmatisme économique néolibéral est puissant : la réglementation UE impose des cages plus grandes pour les producteurs européens, là où l’Ukraine tolère des plus petites cages. L’industrie importe donc des œufs ukrainiens, chez nous, à bas prix. Dans une vision néolibérale, le problème est donc la trop grande taille des cages imposée en UE.
Cette vision ne questionne pas une seconde le libre marché dérégulé qui incite nos industries à importer des œufs à 0.05€ ukrainiens plutôt que de payer des œufs « au sol » à 0,1€ ou des œufs bios de plein air à 0,19€ à des producteurs belges.
La concertation de chaîne, l’impossible équilibre
Sur les marges des intermédiaires, la proposition phare est de réactiver la concertation de chaîne « qui patine un peu » entre agriculteurs, agroalimentaire (Févia) et grande distribution (Comeos), pour mieux répartir la marge. Cette mesure est naïve : la FEVIA et Comeos déclarent à tour de bras que leurs marges sont déjà au plus bas. (2)
Le groupe Ahold Delhaize a pourtant dégagé 2,5 Md€ de bénéfice net en 2022, Carrefour 1,35 Md€ (+26 %) et Colruyt annonce 246 mi€ de bénéfice opérationnel pour 2023 (en hausse de +50 %).
Les agriculteurs sont écrasés par ces mastodontes : si la Fevia représente un chiffre d’affaires annuel de 75 Md€ et Comeos 20 Md€, les agriculteurs wallons plafonnent à 1,6 Md€.
Comment comprendre qu’une centrale d’achat paye 0.3€ le kilo de pommes de terre bio au producteur, puis les vend quelques jours plus tard à 2,5€/kg aux consommateurs en grande surface ? L’agriculteur a pourtant pris tous les risques et a supervisé la production 4 mois durant.
4 % de jachère : la grande arnaque
Nouvelle instrumentalisation : on a tout sur ces fameux 4 %. C’est la grande braderie. Mais peu de gens comprennent vraiment la portée de cette mesure. La règle des 4 % est complexe et se calcule avec des coefficients (1m de haie ou de fossé équivaut p.ex. à 10m², une jachère mellifère compte double surface, les cultures dérobées peuvent être mobilisées en partie…). Il ne s’agit en aucun cas de simplement laisser 4 % des surfaces en « jachère »…
Bon nombre d’agriculteurs rentrent dans les clous avec 1 ou 2 % de surface agroécologiques, sans avoir fait d’effort particulier. Le problème fondamental est qu’ils ne le savent même pas, tant la mesure est illisible et mal expliquée. Elle est typique d’une PAC bourrée d’exceptions et de cas particuliers, qui tente de faire la synthèse impossible entre les intérêts des grands groupes agro-industriels, la préservation des marchés agroalimentaires et, s’il reste un peu de budget, les avancées environnementales et la survie de nos agriculteurs.
À ce sujet, la plus grosse énormité est à mettre sur le compte d’un politique déclarant aux médias « C’est comme si je vous disais que 4 % de votre salaire est pris et on le donne à des associations environnementales ». Oui, un élu, émanation de l’autorité publique, instrumentalise la colère des agriculteurs contre des associations de la société civile.
Cette manœuvre est d’une irresponsabilité totalement inouïe, au même titre que les critiques balancées à l’encontre de la politique foncière de Natagora. Natagora qui a acquis 92ha de terres en 2023, à mettre en regard des 1.300 ha agricoles qui ont été artificialisés au cours de l’année 2022 dans le cadre de la politique d’aménagement du territoire wallon.
La souveraineté, ce concept fourre-tout
Le libre-marché agroalimentaire, un jeu économique où, à la fin, ce sont les agriculteurs qui perdent
président de l’Union des agriculteur·ice·s bio de Wallonie.