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De l’agroécologie à l’agro-terminologie

Il ne faut pas avoir fait un doctorat en sciences commerciales pour savoir qu’en marketing, il est plus facile d’inventer un nouvel emballage qu’un nouveau produit. L’agriculture n’échappe pas à la règle, et les dénominations utilisées sont porteuses d’images positives ou négatives selon le contexte.

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Quelques exemples pris dans le passé pour illustrer le sujet : La Fontaine, dans la fable, le laboureur et ses enfants, évoquait le labour dans le sens du labeur. Travailler la terre était alors un gage de fertilité naturelle. Labourer, aujourd’hui, est presque considéré comme un crime contre la vie microbienne des sols.

Paysan, longtemps péjoratif dans la bouche des bourgeois, est désormais revendiqué avec fierté par ceux qui vivent du travail de la terre. On n’a pas encore réhabilité d’autres termes plus condescendants comme « cul-terreux », ou « serf » fort utilisé au Moyen-Age. Quoique, les « servitudes » intéressent ceux qui veulent réinstaller des chemins pédestres au milieu des champs. « Fermier » valait mieux que serf, et les fermages aujourd’hui, avec le bail à ferme, valent mieux que l’achat d’un foncier hors de prix.

Avec la révolution agricole, on a inventé le terme d’agriculture « d’autosubsistance » pour parler du passé et d’agriculture « intensive » pour évoquer la modernité, avec une flopée de qualificatifs dérivés : productiviste, industrielle, chimique et j’en passe…

Action/réaction : en face s’est dressée l’agriculture « biologique », « organique » pour les anglo-saxons, et quand on veut faire plus vert que vert, on dit « naturelle » (pas besoin de label) et/ou « biodynamique » (avec les préparations imaginées par Rudolf Steiner qui font quand même un peu penser à l’eau bénite traditionnelle).

Un domaine qui évolue bien en terminologie est celui du travail du sol. Partant du concept d’agriculture « simplifiée » (en ne labourant plus), on est passé à celui d’agriculture de « conservation », parce qu’on veut conserver le carbone en évitant qu’il ne se minéralise trop vite par un excès d’aération. De plus, on concentrant le carbone en surface, on résiste mieux à l’érosion. À l’heure actuelle, on parle aussi d’agriculture « régénérative », soucieuse de corriger l’image des sols qui se mourraient et devenaient stériles.

Du coup, au niveau Bio, on prend conscience que labourage, hersage et binage pour lutter mécaniquement contre les mauvaises herbes et stimuler l’action microbienne des bactéries aérobies fait débat. Elles sont censées transformer l’azote organique en nutriments pour les plantes, mais au détriment du stockage de carbone. Qu’à cela ne tienne, on vient d’inventer un nouvel acronyme : « ABC » pour agriculture biologique de conservation.

Entre le Bio et l’intensif, cinquante nuances de tonalité. Le mot « conventionnel » ne veut rien dire, si ce n’est qu’il respecte les conventions légales, donc obligatoires. Comme la législation intègre de plus en plus l’environnement, le « conventionnel » devient écologiste sans le savoir.

Par comparaison à l’agriculture « intensivement écologique », on a parfois évoqué l’agriculture « écologiquement intensive ». Pas mal mais le mot « intensif » est à prendre avec des pincettes, sauf quand on veut encourager les étudiants à faire un travail intensif pour réussir leurs examens.

L’agriculture « raisonnée » se comprend comme une évolution positive de l’agriculture traditionnelle, par comparaison à l’époque où les apports d’engrais étaient systématiques et les pulvérisations préventives contre tous les parasites présents et à venir. Elle correspond au bon sens et va dans le sens du portefeuille mais n’a peut-être pas assez de connotation idéologique.

Et le mot « agroécologie » est arrivé. Il correspond parfaitement à ce « vers quoi » tendent la plupart des agriculteurs et à ce qu’attendent la plupart des consommateurs. Il mixe les deux pôles qui ne s’opposent pas sur le terrain.

Quand un agriculteur aborde sa terre, il se pose plein de questions qui relèvent de l’écologie, la science qui étudie les interactions entre les êtres vivants dans leur environnement. Ma terre est-elle amoureuse, autrement dit suffisamment ressuyée ? À quelle profondeur et quel écartement placer la semence ? Va-t-elle trouver tout ce qui lui nécessaire pour se nourrir et comment la protéger en cas d’agression ?

De fait, il est attentif à la rotation, aux engrais verts, au travail du sol, à la fumure organique et s’il y a déficit minéral, il apporte juste ce qu’il faut pour une nutrition équilibrée (analyse de terre, méthode des bilans). Il met moins de pesticides qu’en agriculture intensive mais sans aller jusqu’à la « non-assistance à plantes en danger ». C’est clair que le curseur déclenchant ses interventions peut varier d’un agriculteur à l’autre, d’une terre à l’autre et selon les années.

« Ce que l’on conçoit bien s’énonce clairement et les mots pour le dire arrivent aisément » disait Boileau au XVIIe siècle. C’est pourquoi il est pertinent d’en inventer un nouveau, « l’agro-terminologie », pour aborder « l’agro-diversité ».

JMP

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