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Noël au balcon, PAC au tison

Les syndicats agricoles wallons ont passé les semaines qui ont suivi Noël au balcon, confortablement installés et curieux d’observer les agriculteurs européens se placer en ordre de marche pour crier au monde les graves difficultés qui les accablent. Polonais, Roumains, Allemands, Français… : chaque nation y allait de ses revendications personnelles. Fin janvier, nos confrères d’Outre-Quiévrain ont multiplié les appels du pied aux « Bèljeus » , pour qu’ils rejoignent le vaste mouvement de révolte paysanne. Les jeunes de la FJA, titillés dans leur amour-propre, ont répondu tout d’abord timidement, puis se sont piqués au jeu, retournant à la française les plaques des agglomérations, puis sortant enfin les tracteurs pour descendre dans les rues et monter sur les autoroutes.

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Les autres syndicats wallons ont suivi en traînant un peu les pieds, surtout la FWA, déjà empêtrée dans ses problèmes internes, existentiels et financiers. « Ah, les lîns djônes ! Fallé ti ko bîn qui s’mètînchent à manifestè ! ». Les premiers mouvements d’humeur ont suivi ; les démonstrations de force sont allées crescendo, pour occuper l’actualité de ce début d’année, décidément paysanne ! Les promesses politiciennes ont suivi, et on sait ce qu’elles valent, autant que des serments d’ivrognes…

Le message, très clair du début -améliorer les revenus agricoles dramatiquement bas –, a très vite été passé à la moulinette des médias, au scanner de brouillage des hommes et femmes politiques. La Gauche, bien maladroite, n’a rien compris comme d’habitude à nos revendications ; tandis que la Droite, bien trop à droite et pas du tout gauche, s’est montrée soucieuse de défendre envers et contre tout son modèle libéral capitaliste. Ils ont crié « Haro » sur le baudet écologique, et le Green Deal de la PAC a été brûlé au tison. Quant aux revenus, c’est comme la chanson de Big Flo et Oli : « Mais depuis, qu’est-ce qui a changé ? Pas grand-chose ! Je n’ai pas rangé les questions que j’me pose. On m’disait : tu comprendras plus tard, plus tard. Mais on est plus tard et je comprends pas. »

Je ne sais pas chez vous, mais les marchands de bestiaux, les chevilleurs, les laiteries, les négociants en céréales, ne proposent toujours pas 2 ou 300 euros de plus pour chaque animal vendu, 1 euro de mieux au kilo de carcasse, 20 centimes de plus au litre de lait, 5 ou 10 centimes de mieux au kilo de blé… Oh bien sûr, il paraît que les formalités administratives vont subir un sacré lifting ! Merveilleux ! Formidable ! Sauf que, de toute façon, ce ne sont pas les agriculteurs qui les remplissent eux-mêmes ! Pour les déclarations de superficie par exemple, ainsi que pour la plupart des autres formulaires, ils font appel à leur syndicat, à des conseillers agricoles, aux Services Extérieurs du Ministère régional de l’agriculture. Super ! Ces secrétaires vont voir leur travail allégé, tandis qu’ils demanderont toujours les mêmes cotisations… C’est généreux, tout de même, d’avoir manifesté pour ces braves gens qui gagnent leur vie grâce à nous !

Au final, que va nous rapporter la PAC au tison ? Pas grand-chose jusqu’à présent… Certains porte-paroles syndicaux ont été repérés par les grands haras politiques, et se sont vus proposer une place de choix dans leur écurie, sur une liste électorale : des filles et des garçons qui portent beau et savent s’exprimer devant une caméra. Le système récupère tout ce qui traîne, potentiellement profitable, tandis que le fond du problème reste irrésolu…

On a beau dire et beau gesticuler, le modèle intensif est toujours favorisé au détriment de l’agriculture paysanne. En France, le président du syndicat dominant, la Fédération Nationale des Syndicats d’Exploitants Agricoles, exploite une ferme de 700 hectares ! Il se fiche pas mal des exploitations herbagères de 50 hectares dans le Haut-Jura, la Savoie ou les Ardennes. La FNSEA a exigé et obtenu le gel du Pacte Vert, préservé les autorisations d’emploi de pesticides pour les cultures industrielles.

En Wallonie, nos ministres libéraux de l’agriculture défendent également ce même modèle d’agriculture : que le plus fort gagne, et on ne se tracasse pas trop pour les petits fermiers et de l’environnement ! Bien entendu, ils ne présentent pas comme cela leurs propositions. Pas si cons, ils multiplient les ronds de jambe et caressent les électeurs dans le sens du poil. Ils sont bien trop malins pour être sincères à 100 %, avec de jolies auréoles au-dessus de leurs têtes et des ailes virginales dans le dos.

Ils savent pertinemment bien que notre agriculture belge est tournée vers l’exportation, que l’industrie agro-alimentaire emploie des dizaines de milliers de personnes, pèse lourd sur la balance commerciale, et génère de gros revenus pour l’État. Impossible de remettre ce modèle en question, d’empêcher des matières premières agricoles étrangères d’entrer en Europe, puisque les nôtres sortent inonder d’autres marchés !

Et tant pis si une petite minorité porte le plus gros de l’effort : ce monde agricole qui de toute façon râle tout le temps, et finit toujours par rentrer dans le rang, malgré le rude écrémage de son effectif au fil des ans. C’est l’impitoyable Loi de Darwin, celle du libéralisme. Seuls les plus agressifs, les plus compétiteurs résisteront, soutenus par les banques et les lobbies de l’agro-industrie.

Ainsi le perçoivent la plupart des agriculteurs, fort déçus par les ridicules avancées obtenues lors des manifestations. Tout ça, pour ça ! Noël au balcon, PAC au tison. Ceux qui vivent de notre sueur, de nos labeurs, auront toujours bien chaud quoi qu’il advienne…

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