Agriculteur… pour faire quoi?
Pour rouler en tracteur, comme papa… C’est ce qu’on se dit quand on est petit.

Plus grand, et pour beaucoup de monde, c’est pour nourrir la planète. Quand j’étais enfant, il y avait trois fois moins d’êtres humains sur terre mais trois fois plus de gens en sous-nutrition.
Superbe bilan d’efficacité à décerner au monde agricole mais on connaît la chanson : une partie de nos concitoyens n’a même pas la reconnaissance du ventre.
Ceci dit, si l’agriculture est d’abord considérée comme nourricière et fait honneur à sa mission, ce n’est pas sa seule raison d’être.
Le bon blé pour faire du bon pain est une image d’Epinal. Chez nous, plus d’un tiers des céréales va vers l’amidonnerie, à des fins industrielles. D’autres cultures aussi alimentent discrètement mais significativement la chimie verte. Pas de quoi crier au loup, c’est juste différent de l’idée qu’on se fait de l’usage des cultures alimentaires.
Pour mémoire, l’agriculture est aussi pourvoyeuse de vêtements. Le lin, le coton plus au sud, la laine via l’élevage sont aussi de grandes productions agricoles.
Quand la faim n’est plus un problème, d’autres besoins titillent la population. La décoration en est un. Un bouquet de jolies fleurs fait partie des gestes qui font plaisir. Ce n’est pas vital, mais cela fait du bien. Jusqu’à présent, personne n’a demandé la suppression du métier de fleuriste au prétexte qu’il n’est pas essentiel. « Et même que » les plus belles roses viennent souvent par avion de l’autre bout de la planète. On est moins tolérant avec les sapins de Noël qui créent l’ambiance en fin d’année. Ils viennent pourtant de chez nous et poussent sur des terres sur lesquelles on ne mettra jamais de betteraves.
Il y a d’autres cultures qui font plaisir. Au pays de la bière, l’orge brassicole et le houblon par exemple. Avec le réchauffement climatique, la vigne commence à gagner du terrain. Si on a « gagné » presque 2 degrés chez nous en 50 ans, c’est pour faire demain ce qui se faisait hier en Champagne. Ne dit-on pas aux agriculteurs qu’il faut s’adapter ?
Certes, la bière et le vin ne sont pas acceptés dans toutes les religions, mais nous avons quand même été éduqués dans la sanctification du « pain et du vin ».
Passons sur le tabac et, surtout, le chanvre (quand il n’est pas textile).
Et demain, avec la mobilisation des médias, des politiques, des scientifiques et du business, c’est le réchauffement climatique qui devient le challenge « Number One ». Fixer du carbone par photosynthèse, ok, l’agriculture répond présent mais pour faire quoi ?
D’abord, des prairies, donc de l’élevage pour la production de lait et viande… Et là, c’est couper l’herbe sous le pied de Gaïa et consorts qui n’avaient pas vu venir le réchauffement climatique.
Décarboner, c’est faire de l’énergie renouvelable, notamment de la biométhanisation. Les citadins demandent aux agriculteurs de les aider à baisser leur bilan carbone. Pourquoi pas ! Et la culture la plus efficace pour ce faire ? Le maïs. Oups, une culture souvent décriée avec médisance dans les milieux environnementaux. Si ceux-ci lisaient le dernier livre de Sylvie Brunel « Sa majesté le maïs », cela pourrait leur éviter de dire des âneries.
Dans le même registre, pousser aux biocarburants pour réduire la consommation d’énergie fossile, de nouveau, pourquoi pas ! Mais, si c’est pour importer de l’huile de palme à la place du colza, il faut revoir la copie. Contraintes sur le colza ici, déforestation à tout va là-bas. C’est le thème du film « La promesse verte » d’Édouard Bergeon, actuellement en salle.
Autre mission demandée par la population ? Redessiner les paysages, avec des arbres et des haies. Autrement dit, 4 % des surfaces agricoles utiles (cfr mesures agroenvironnementales et climatiques). La société a poussé au remembrement après-guerre. Elle demande aujourd’hui le retour du D.T.T. (décoration des terroirs travaillés). Comme pour les fleurs, il est légitime que les demandeurs paient ceux qui font le boulot.
Ainsi souhaite-t-on des zones refuges pour la biodiversité. Très bien, même si c’est « rats compris ». C’est tellement contre nature de laisser un blé pourrir sur pied qu’il faut offrir une prime supérieure au vrai prix du grain pour sublimer ce gâchis en produit de luxe. Marc Assin qualifie cela d’« ahurissant, aberrant, décoiffant ». De fait !
Enfin, sachant que près de 60 % de la population mondiale habite en ville, 90 % en Belgique, le top du top du dépaysement, c’est de passer quelques heures en campagne, au pays de Jacquou le Croquant. Un nouveau besoin à satisfaire : Airbnb, gîte à la ferme, chambre d’hôte, et patati, et patata… De nouveau, on n’est plus dans la survivance mais dans l’insouciance des vacances.
Alors oui, l’agriculture d’aujourd’hui, c’est bien plus que produire à manger pour des gens qui ne savent pas ce que signifie « avoir faim ». Ils ont soif de beaucoup d’autres choses.