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Le Domaine Degavre, une diversification réussie!

Lorsqu’il reprend l’exploitation familiale à Ostiches en 2018, Adrien Degavre décide d’ajouter des vignes à la centaine d’hectares de cultures traditionnelles de la ferme. Et cela marche !

Temps de lecture : 8 min

Petit village centré sur l’agriculture, Ostiches est rattaché administrativement à Ath et abrite un certain nombre d’exploitations agricoles, dont certaines particulièrement anciennes, comme celle de la famille Degavre installée dans un magnifique corps de ferme depuis 1772.

Souhaitant amorcer sa retraite, Marc Degavre vend en 2018 à son fils Adrien la moitié de l’exploitation, ses deux autres fils n’étant pas intéressés par une reprise. La polyculture (maïs, céréales, betterave, chicorée) est ici associée à l’élevage de blondes d’Aquitaine, une race bovine de grande taille réputée pour ses qualités bouchères.

« Lorsque j’ai repris mon père et moi avions déjà décidé en 2016 d’arrêter de traire (c’était alors la crise du lait) et c’est pourquoi j’ai voulu me diversifier en plantant les premières vignes en 2019. Aujourd’hui, la vigne a un peu grignoté du terrain à la grange qui sert à présent aussi d’espace de stockage et de travail pour le vin », explique Adrien.

Ingénieur industriel en agronomie formé à la haute école provinciale de Hainaut à Ath, le jeune agriculteur a ensuite travaillé de 2015 à 2017 au Carah (Centre pour l’agronomie et l’agro-industrie de la Province de Hainaut) où il fut notamment responsable des avertissements pour la lutte contre le mildiou de la pomme de terre en Wallonie. Ce centre de recherche gère également un petit vignoble pédagogique dont Adrien a suivi l’évolution.

« Après cela, j’ai bifurqué vers l’enseignement agricole à la Heph-Condorcet, à temps partiel (4/10), en même temps de ma reprise de l’exploitation agricole. L’activité de professeur est plus facilement complémentaire avec la ferme. Je ne dis pas que je peux aménager les horaires – ils sont imposés par l’école – mais jusqu’à présent je n’ai jamais dû déplacer de cours pour l’exploitation agricole. C’était plus facilement compatible. Sans compter qu’il est intéressant pour les étudiants d’avoir quelqu’un du milieu », poursuit-il.

De nombreux jeunes tentés par cette nouvelle aventure

Grâce à des conditions météo exceptionnelles, le millésime 2018 fut l’un des plus productifs pour la viticulture en Belgique, la production wallonne de vin passant en effet de 750.000 bouteilles à 1,35 million. Idem en Flandre d’ailleurs.

Ces circonstances et la montée en force des cépages résistants ont motivé nombre de jeunes à se lancer dans l’aventure vinicole, et chose étonnante, surtout dans les exploitations agricoles. Il est évidemment moins onéreux de tenter l’expérience si l’on possède déjà des terres propices à la plantation.

« À l’époque, on voyait, en effet, que la vigne devenait dans l’air du temps », se souvient Adrien qui a aujourd’hui 34 ans. Il poursuit : « On regardait croître des vignobles comme Ruffus, le Domaine du Chant d’École, le Domaine du Ry d’Argent, le Domaine de la Ferme du Chapitre, et c’était surtout des agriculteurs qui cherchaient à se diversifier. Cela avait l’air de fonctionner et de s’adapter au changement climatique.

Au début, mon père avait un petit peu peur, mais j’ai emmené mes parents voir d’autres vignobles en Belgique. Ils ont alors reconnu que cela pouvait être intéressant. Je constate d’ailleurs qu’il s’est pris au jeu… Bien qu’il soit fraîchement pensionné, il est là tous les jours, il aime aider dans les vignes, faire le palissage. Mais il préfère me laisser les interventions plus techniques, comme la taille.

Il connaît bien sûr tout sur la ferme, il est polyvalent et a bien aidé pour adapter certains engins comme un vieil extirpateur de mon grand-père pour le travail du sol, des machines qui faisaient 3 m de large et que l’on a disquées et modifiées, ou encore un ancien pulvérisateur. Cela a permis d’adapter du matériel existant ou d’occasion. »

Miser sur des cépages nobles

Pour ce qui est des variétés plantées, Adrien a dégusté nombre d’échantillons mais, confie-t-il, n’a pas été convaincu par les cépages résistants et a finalement opté pour le Chardonnay et les trois Pinots (blanc, noir et auxerrois).

« En effet, je n’ai pas encore trouvé des bulles à base de cépages interspécifiques dont la qualité finale me plaisait vraiment. Je trouve les cépages traditionnels plus qualitatifs, je n’ai pas voulu prendre ce risque-là. Et puis, il faut avouer qu’un Chardonnay ou un Pinot noir est plus vendeur. Je n’ai pas non plus voulu aller vers de l’agriculture bio, car seul le cuivre est autorisé pour traiter et son usage sera de plus en plus restreint. Des années comme celle-ci, ce serait difficile de bien se protéger. Il y a l’une ou l’autre alternative au cuivre, mais elles n’ont pas prouvé leur efficacité.

Dans le même esprit, jusqu’à présent, je ne pratique pas de désherbage chimique, même si 2024 est très humide et que j’ai rencontré quelques difficultés pour maîtriser l’enherbement. Les prochaines années, je m’accorderai peut-être un désherbage par an pour nettoyer au plus près des pieds si cela s’avère nécessaire. »

S’il n’était évidemment pas question de convertir la centaine d’hectares de l’exploitation, Adrien commença donc prudemment, le 27 avril 2019, avec la plantation de 12.000 pieds sur 2,2 ha à l’avant de la ferme. La moitié de Chardonnay et le reste des trois Pinots.

Une deuxième parcelle fut ensuite plantée de l’autre côté du village en 2022, avec 2 ha de Chardonnay qui vont produire pour la première fois cette année. Juste à côté, l’exploitation vient d’être enrichie, également cette année, de deux nouveaux hectares.

Une aide champenoise

Pour vinifier la production qui sortira de ces 6,2 ha, le vigneron a fait appel aux œnologues du groupe champenois Sofralab, acteur de référence sur le marché des produits œnologiques et services associés et déjà présent en Belgique, notamment via le Domaine des Hêtres.

« Je les ai rencontrés au salon VITeff à Epernay consacré aux technologies des vins effervescents. Il s’agit d’un contrat d’un an avec prestation (actuellement) de Sébastien Mérigot qui fait réaliser les analyses en Champagne, les interprète et me conseille pour diverses choses, comme le sulfitage, la mesure de l’acidité, l’assemblage des vins… Nous faisons les tests de dosage ensemble : c’est toujours bien d’être conseillé par quelqu’un qui peut se projeter un peu mieux dans le vin. C’est un coût que l’on hésite à mettre au début quand on n’a encore rien à vendre. Ensuite, c’est vite amorti.

En dehors de ce bureau-conseil, j’ai surtout appris sur le tas, en échangeant avec les vignerons ou en lisant pas mal de bouquins aussi. Un ami brasseur me donne également quelques conseils, notamment sur le travail et l’hygiène dans la cuverie. »

L’étape de la vente

Si ses compétences ont bien sûr contribué au succès des vins de ce qui est désormais le Domaine Degavre, Adrien a surtout été aidé par les belles médailles d’or remportées au Concours mondial de Bruxelles pour ses deux crémants, Blanc de Blancs et Blanc de Noirs, issus de la récolte 2021, une année qui fut pourtant difficile en Belgique.

« En 2021, j’ai sorti 10.000 bouteilles, dont 2.000 de Blanc de Noirs, et le double en 2022 mais avec une majorité de Blanc de Blancs. Je viens de présenter la nouvelle cuvée 2022, l’accueil fut très favorable. Pour la cuvée 2023, les bouteilles sont en cours d’élevage, mais les volumes ont légèrement augmenté, même si l’année fut plus compliquée pour le Pinot noir. Je vais également lancer une troisième cuvée 100 % Chardonnay vinifiée dans des fûts de chêne belge produits par Barwal. J’entends bien continuer dans cette voie, car j’ai déjà commandé deux fûts supplémentaires… J’ai aussi commandé trois nouvelles cuves qui vont me permettre de développer une capacité de 500 hl et, peut-être, de travailler avec des vins de réserve. »

Pour la commercialisation, j’ai essentiellement démarché des cavistes des environs et autres magasins de produits locaux, néanmoins j’essaie d’étendre le rayon d’action, notamment dans les restaurants où je fais déguster les deux cuvées médaillées. La demande pour les bulles belges est croissante, cependant j’espère que le nombre de projets ne va pas saturer le marché… Surtout que vu nos investissements, nous sommes sur des prix élevés. Il faut y prêter attention », enchaîne le néo-vigneron.

Composer avec les conditions climatiques de 2024

Comment se présenteront les prochaines vendanges au Domaine Degavre ? « L’année ne fut pas simple, avec notamment ce fameux orage du 9 juillet qui, en dix minutes, m’a fait perdre 30 % du rendement de l’année. En dehors de cela, elle fut généralement très pluvieuse et humide, avec un peu de coulures au mois de juin pendant la floraison, ce qui a amené également beaucoup de millerandages (avortement partiel des grains), en plus des dégâts de grêle.

Aujourd’hui, le mildiou est certes présent, mais uniquement sur feuilles, pas tellement sur grappes. Cela fut maîtrisé sans trop de problèmes. Les jeunes feuilles sont fort atteintes et je compte faire un troisième écimage en 2024, alors que deux suffisent habituellement. On voit que la vigne a poussé tardivement, mais il y aura des raisins à récolter malgré tout. Toutefois, pas avant fin septembre ou début octobre ! J’ai investi dans une vendangeuse mécanique qui devrait arriver tout prochainement, cela me permettra de récolter ma deuxième parcelle et, à terme, de faire quelques prestations chez d’autres viticulteurs. ».

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