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La Belgique viticole à l’aube d’une révolution

Alors que le réchauffement climatique bouleverse les équilibres agricoles mondiaux, la viticulture belge, longtemps considérée comme marginale, émerge comme un nouvel eldorado œnologique. Grâce aux avancées scientifiques en climatologie appliquée, les acteurs de la filière prennent conscience de leur potentiel, mais aussi des risques qui pèsent sur l’avenir du vin. Le climatologue Sébastien Doutreloup, a dressé, lors d’une conférence, un état des lieux nuancé et prospectif de cette mutation en cours, entre opportunités inédites et défis redoutables.

Temps de lecture : 7 min

« Cocorico pour la Belgique », lance Sébastien Doutreloup, climatologue à l’ULiège. Pourtant, il ne s’agit pas d’un chauvinisme de circonstance, mais bien du constat scientifique d’un phénomène en pleine expansion, à savoir la montée en puissance de la viticulture en Belgique.

La vigne belge sort de l’ombre

En s’appuyant sur des données issues du Modèle Atmosphérique Régional (MAR) développé à l’ULiège, Sébastien Doutreloup souligne combien la Belgique, historiquement en marge des grandes régions viticoles, entre aujourd’hui dans une phase de mutation rapide.

Le phénomène ne date pas d’hier : les premières traces de vignes en Belgique remontent à l’époque romaine, avec des mentions attestées dès le IXe siècle à Gand, Huy ou Liège. Le Moyen-Âge connaît un véritable âge d’or viticole, notamment dans la vallée mosane, où l’on dénombrait plus de trente vignobles à Huy entre le XIVe et le XVIe siècle. La carte éditée par Joseph Halkin, professeur de géographie à l’Université de Liège à la fin du XIXe siècle, montre une répartition dense de vignobles, concentrés le long de la Meuse, dans le Brabant ou autour de Bruxelles.

Notre pays devrait atteindre le stade « climat tempéré » dès les années 2030, voire « climat chaud » à l’horizon 2100 indique Sébastien Doutreloup.
Notre pays devrait atteindre le stade « climat tempéré » dès les années 2030, voire « climat chaud » à l’horizon 2100 indique Sébastien Doutreloup. - M-F V.

Ce patrimoine s’effondrera progressivement, d’abord à cause du refroidissement climatique, mais aussi avec l’ouverture du commerce fluvial, l’arrivée massive de vins français plus constants et de meilleure qualité, et les guerres. Le coup de grâce viendra avec la crise du phylloxéra au XIXe siècle. La vigne disparaît quasiment du paysage belge jusqu’à la seconde moitié du XXe siècle.

Il faudra attendre les années 2000 pour assister à un véritable renouveau, marqué par l’émergence de domaines comme Les Agaises ou le Domaine du Chenoy, et l’obtention de plusieurs AOP et IGP. « Nous ne sommes plus dans l’anecdote, insiste M. Doutreloup. Le vin belge s’impose dans les guides spécialisés, dans les concours internationaux, et dans les palais ».

Au-delà de la simple production, c’est la reconnaissance qualitative des vins belges qui s’affirme. « Longtemps moqués, les crus nationaux sont aujourd’hui évalués, notés et récompensés », rappelle le chercheur. Des guides spécialisés comme vino.be ou Gault & Millau intègrent désormais systématiquement des vins wallons, marquant un tournant symbolique pour la filière. L’enjeu ne réside plus seulement dans l’adaptabilité climatique, mais aussi dans la structuration d’un écosystème œnologique à part entière, fondé sur une recherche de qualité, une sélection rigoureuse des cépages interspécifiques et une approche raisonnée de la viticulture biologique, permise par l’humidité du climat belge et la jeunesse encore souple de ses appellations.

Une terre climato-viticole spécifique

Mais la vraie révolution est climatique. Pour en rendre compte, le climatologue s’appuie sur l’indice de Huglin, un outil héliothermique combinant températures moyennes et maximales ainsi que durée du jour, et permettant de classifier les climats viticoles et leurs cépages associés. « Entre 1950 et 2000, la Belgique appartenait à la catégorie «climat très frais». Elle est depuis passée en «climat frais’» et devrait atteindre le stade «climat tempéré» dès les années 2030, voire ’climat chaud’ à l’horizon 2100 ».

Ce glissement de classe climatique n’est pas sans conséquences. Les cépages adaptés évoluent aussi. Aujourd’hui propices au Pinot gris, Riesling et Chardonnay, nos terroirs accueilleront probablement demain du Merlot, du Tempranillo, voire du Grenache, de la Syrah ou du Carignan. « En cent ans, nous allons traverser la France entière sans bouger d’un mètre », résume-t-il.

Les données parlent d’elles-mêmes : en Champagne, le Chardonnay atteignait sa maturité autour du 23 septembre sur la période 2000-2020. En Belgique, cette même maturité est atteinte en moyenne le 9 octobre. Mais la tendance s’accélère. Selon les projections, la Belgique vendangera ce même cépage autour du 15 août à la fin du siècle. « D’ici 2030, la Belgique aura le climat actuel de la Champagne. En 2050, celui de la Bourgogne ».

L’évolution est encore plus visible sur le Pinot noir : autrefois vendangé autour du 15 octobre, il l’est aujourd’hui près d’un mois plus tôt, parfois dès mi-septembre. En fin de siècle, les projections évoquent une vendange autour de la mi-août.

Une géographie viticole qui se redessine

À l’échelle du pays, certaines zones se démarquent. Le Brabant et les Flandres présentent déjà un indice de Huglin supérieur à celui de la vallée de la Meuse, confirmant des microclimats plus propices. À l’échelle continentale, c’est toute la carte de la vigne qui se redessine : tandis que le sud de l’Espagne, de l’Italie ou de la Grèce deviendra défavorable à la culture viticole, des régions comme la Belgique, le sud de l’Angleterre ou la Pologne apparaissent comme les nouveaux bastions du vin européen.

Des projections européennes montrent d’ailleurs que d’ici 2070, l’indice de Huglin aura remonté d’un cran dans toute l’Europe, déplaçant les zones de production vers le nord. Pour la Belgique, l’année 2018 a déjà offert un aperçu saisissant de ce que sera une année moyenne à la moitié du XXIe siècle.

Autrefois marginale, la viticulture belge connaît désormais un enracinement territorial singulier. Sébastien Doutreloup, en sa qualité de géographe autant que de climatologue, rappelle que cette émergence ne se fait pas de manière uniforme sur le territoire national. « Ce sont principalement le Limbourg et le Hainaut qui tirent la production vers le haut », observe-t-il, soulignant aussi le retard persistant du Luxembourg belge, trop froid et peu propice à l’implantation de vignobles.

De façon saisissante, la carte actuelle des vignobles épouse presque trait pour trait celle du XIXe siècle établie par Joseph Halkin, révélant une permanence climatique dans les zones traditionnellement viticoles, mais aussi une résurgence inattendue dans des régions naguère peu exploitées, comme l’Entre-Sambre-et-Meuse ou certaines parties des Flandres.

Les périls du changement : gel, sucre et typicité menacée

Loin d’un optimisme béat, le climatologue rappelle que les nouveaux défis seront nombreux. Premier paradoxe : le gel. « On pourrait croire que le gel va disparaître. En réalité, à moyen terme, le risque augmente. Le débourrement arrive plus tôt avec la douceur hivernale, mais les dernières gelées ne reculent pas au même rythme». Résultat : une fenêtre de vulnérabilité qui s’élargit. En Belgique, une année sur deux, en moyenne, connaît du gel après le débourrement, deux fois plus qu’en Champagne.

Autre sujet d’inquiétude : l’augmentation du taux de sucre. « Plus de sucre, c’est moins d’acidité, moins de fraîcheur, et une conservation plus difficile. Faut-il alors vendanger plus tôt, modifier la typicité, changer de cépages ? Ces dilemmes se poseront de manière de plus en plus pressante ».

Enfin, le climat humide de la Belgique rend la vigne particulièrement vulnérable aux champignons. C’est pourquoi les viticulteurs privilégient déjà les cépages interspécifiques, plus résistants, facilitant ainsi une production biologique plus étendue. « C’est une opportunité unique de développer une viticulture plus durable, sans les carcans parfois rigides des grandes régions historiques ».

Adapter, expérimenter, anticiper

Face à ces bouleversements, Sébastien Doutreloup plaide pour une stratégie fondée sur l’anticipation. « Contrairement à la Bourgogne, figée dans ses AOP strictes, la Belgique bénéficie d’une relative liberté. C’est une chance. « À nous d’expérimenter, de sélectionner les cépages adaptés au climat de demain, de revoir les densités de plantation, les expositions, les pratiques culturales ».

Le chercheur coordonne désormais la partie du projet européen YesWiClim (financé par le programme INTERREG-GR) visant à affinerc ces projections à l’aide de modèles climatiques croisés et de données phénologiques précises. Une initiative capitale, tant les choix que feront aujourd’hui les viticulteurs – et les pouvoirs publics – engageront le paysage viticole pour plusieurs décennies.

Et de conclure, non sans gravité : « Si nous atteignons +5 ºC à l’échelle mondiale, le vin ne sera plus notre premier souci. Ce sont l’eau, les légumes et la viabilité même de notre sol qui seront en jeu ».

Marie-France Vienne

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