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2024, une année noire pour l’élevage ovin: «Jusqu’à 75.000€ de perte!»

Antoine Mabille fait partie des voix agricoles qui se sont élevées il y a moins d’un an de cela. Quelques mois plus tard, comme tant d’autres, il n’a toujours pas l’impression d’avoir été écouté. D’autant plus qu’aux inquiétudes déjà bien présentes dans le secteur se sont ajoutées les pertes liées à la fièvre catarrhale ovine. À la Bergerie des Arches, au total, 38 bêtes ont succombé à la maladie de la langue bleue, sans compter ses multiples conséquences, comme la morbidité des animaux, l’infertilité, ou encore les avortements. Et alors qu’une nouvelle année approche, une chose est certaine : si l’on sort la calculette, le bilan de 2024 s’annonce déjà terriblement lourd pour l’élevage ovin.

Temps de lecture : 6 min

C’est à Gesves qu’Antoine Mabille et son épouse Élise Tonglet ont fondé la Bergerie des Arches. Installé depuis février 2019, ce couple possède environ 1.600 brebis. Un élevage qui leur permet d’approvisionner, etre autres, 47 boucheries par semaine dans toute la Wallonie et représente entre 8 et 10 % des agneaux produits au sud du pays.

Si, lorsque nous rencontrons le propriétaire des lieux, le calme semble régner dans l’exploitation, en regardant un agneau né début de la semaine, il explique : « Cette brebis devait avoir trois petits, finalement, un a survécu ». Cette femelle n’est pas la seule dans ce cas puisqu’après les constats de gestation, beaucoup d’avortements ont été déplorés. En effet, comme dans la majorité des élevages ovins, ici aussi, la fièvre catarrhale ovine a fait de nombreuses victimes… Pourtant, l’éleveur s’était paré au mieux à la langue bleue. Averti de ses dangers, dès début juin tous les animaux ont été vaccinés. « Toutefois, je remarque que pour combattre ce virus, il n’y a pas que la vaccination qui compte. Le statut sanitaire du cheptel et la conduite d’élevage sont également des facteurs primordiaux ».

Il n’a donc pas lésiné sur les moyens pour protéger ses animaux. En février, des bassins de minéraux enrichis avec de l’ail ont été mis à disposition des moutons. Un peu plus tard, fin mai, un premier traitement insecticide a été réalisé. Les brebis ont également eu des bains avec des répulsifs. Bref, toutes les mesures préventives ont été mises en place pour éloigner les insectes, vecteurs du virus, tant redoutés.

À Gesves, par exemple, 30 brebis ont mis bas avec une moyenne de 1,2 agneau vivant par brebis,  « alors que d’habitude, nous sommes à 1,8 »,
À Gesves, par exemple, 30 brebis ont mis bas avec une moyenne de 1,2 agneau vivant par brebis, « alors que d’habitude, nous sommes à 1,8 »,

Des brebis non gestantes, et une chute des naissances

Un travail de longue haleine et des heures de manipulation qui n’ont, hélas, pas empêché la maladie d’entrer dans la bergerie… Au total, 38 bêtes ont succombé à la bluetongue. « D’autres éleveurs déplorent jusqu’à 50 % de pertes… ».

Le moment le plus difficile chez lui ? Le 12 août, avec 131 brebis atteintes. Boiterie, bave excessive, hausse de la température corporelle, tous les symptômes que l’on décrit encore et toujours depuis ces derniers mois, l’agriculteur ne les connaît que trop bien… « Nous étions en période de lutte, pour les agneaux de Pâques et pour l’approvisionnement de l’année suivante. Nous avons eu 43 % de brebis vides sur ce lot, alors que d’habitude, nous tournons autour de 10 à 15 %. Au final, il va manquer 225 agneaux à naître, soit une perte de 50.000 €… ».

Par ailleurs, il a perdu certains géniteurs à haute valeur. Quant à ceux restants, ils ont rencontré des problèmes d’infertilité. Le 24 août, 28 béliers sur 55 en souffraient, le 18 septembre, 37, pour arriver à 5 début novembre. « On constate réellement que dans les six à sept semaines après le déclenchement des symptômes, on a de gros soucis avec les mâles. Il faut attendre des mois pour que cela revienne à la normale ».

Suite à la maladie, il y aura 225 agneaux de moins,  soit une perte estimée à 50.000 €.
Suite à la maladie, il y aura 225 agneaux de moins, soit une perte estimée à 50.000 €.

« Pourquoi ne pas utiliser la réserve du fond sanitaire pour aider le secteur ? »

Si Antoine Mabille est convaincu que la vaccination n’est pas une solution unique et que d’autres gestes préventifs sont tout aussi essentiels, il devra néanmoins repasser par cette étape en 2025. En effet, rappelons que l’année prochaine, les éleveurs bovins et ovins seront tenus de vacciner leurs animaux contre les sérotypes 3 et 8 de la FCO. « Nous devons traiter pour les différentes souches, cela signifie l’achat de plusieurs vaccins. Sans compter les rappels… Outre le budget, ces vaccinations représentent beaucoup de travail et de manipulations », souligne-t-il.

En Belgique, ces frais sont entièrement à charge des éleveurs. Antoine Mabille a donc sorti sa calculette… et l’addition est salée : le prix pour ces deux vaccins s’élève à 12.800 € !

De plus, comme nous l’avions expliqué dans Le Sillon Belge, en Wallonie une procédure a été mise en place pour soutenir ces agriculteurs et préserver l’avenir de leurs exploitations. Un montant forfaitaire de 60 € par ovin de plus de 6 mois est octroyé pour la morbidité sur 40 % du troupeau, tandis que cela passe à 140 € en cas de mortalité. Cependant, l’aide est plafonnée à 15.000 €, un seuil que regrette Antoine Mabille. « Aujourd’hui, les indemnités ne sont pas à la hauteur des pertes. Ce plafond ne tient pas compte de l’ensemble des exploitations présentes en Wallonie. Ce n’est pas correct… Sans compter qu’à ces pertes vont encore s’ajouter les frais liés à la vaccination ».

Chiffres du Collège des producteurs à l’appui, il poursuit : « Aujourd’hui, il y a 1.800.000 € de réserve au fonds sanitaire disponibles pour notre secteur. Je me demande pourquoi ne pas l’utiliser pour financer ces vaccins ? ».

Obligé d’augmenter les prix et de se réorganiser…

Toujours selon ces chiffres, 35.000 moutons sont morts entre juillet et septembre en Wallonie, soit un sur cinq dans les cheptels. Une perte trois fois plus importante que d’habitude. Cette morbidité exceptionnelle, associée à un grand nombre d’animaux malades, entraîne inévitablement une diminution des agneaux disponibles. À Gesves, par exemple, 30 femelles ont mis bas avec une moyenne de 1,2 agneau vivant par brebis, « alors que d’habitude, nous sommes à 1,8 », confie Antoine Mabille. Et dans les fermes, certains des jeunes ayant survécu serviront à remplacer les femelles perdues à cause de la maladie de la langue bleue.

Ce manque de bêtes, cumulé à des charges supplémentaires, aura, sans surprise, un impact direct sur le prix payé par les amateurs de viande d’agneau. « Cela va engendrer un surcoût pour le producteur, entre 1,60 € et 1,80 €/kg », précise le spécialiste, dont la production est destinée aux bouchers (70 %) ainsi qu’aux restaurateurs et particuliers (30 %). Si, face à cette hausse des prix, certains consommateurs venaient à se détourner de cette viande de qualité, espérons que d’autres seront sensibles aux épreuves traversées par le milieu.

D’ailleurs, lorsqu’on demande à Antoine Mabille s’il a déjà estimé les pertes totales pour 2024, sa réponse est sans appel : « J’ai perdu jusqu’à 75.000 € à cause la FCO. Ce montant comprend les vaccins, les traitements, le temps, la morbidité et mortalité ».

Suite à cette situation, ce dernier a décidé de réorganiser son exploitation en diversifiant ses activités. Il prévoit de travailler avec d’autres spéculations et de poursuivre la transformation à la ferme grâce à l’atelier de découpe. Quant à 2025, elle s’annonce, encore et toujours, pleine d’incertitudes. « Je pense qu’aujourd’hui beaucoup de bêtes ont été malades et ont fabriquer des anticorps. Néanmoins, nous n’avons pas assez de recul pour savoir combien de temps ces derniers, ainsi que les vaccins, offriront une protection efficace ».

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