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Lettre ouverte pour une agriculture européenne géodéfensive, pour préserver l’avenir d’une Voie Européenne au niveau mondial

J’ai grandi là où l’on ne voit guère d’étables, à Tahiti. Mon destin n’était pas tracé vers la ferme, et pourtant, c’est au contact des ruminants que j’ai trouvé ma voie.

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En Belgique, en Europe, j’ai découvert un monde rural où l’élevage avait sa raison d’être, fondée sur la relation ancestrale entre l’animal, la terre et l’homme. J’ai appris à soigner les bovins, à comprendre que le bien-être de l’animal est le socle de toute production vertueuse. J’ai constaté de mes propres yeux que, loin des clichés, l’élevage moderne pouvait libérer les bêtes du stress, qu’il était un domaine d’excellence sanitaire et technologique, toujours plus exigeant. La Belgique aujourd’hui, malgré les épidémies, est un des territoires les plus sûrs de la planète.

Le poids écrasant d’un système économique et politique en panne

Et pourtant, aujourd’hui, ce bastion tremble. Non pas à cause d’une prétendue révolution de la conscience collective, mais du poids écrasant d’un système économique et politique en panne. On s’indigne à la vue de quelques images chocs et tronquées, on stigmatise des éleveurs qui, il faut le rappeler, ne maîtrisent ni leurs prix de vente, ni leurs marges, ni la plupart des conditions dans lesquelles ils doivent travailler. Les politiques encadrant l’élevage, ce sont nos choix sociaux, nos désirs de consommation qui les imposent. Et pendant que les projecteurs se braquent sur la moindre dérive, on ignore ceux qui se battent chaque jour, ceux qui parfois n’y résistent plus et disparaissent, laissant derrière eux un vide humain et professionnel irréparable. Une ferme d’élevage bovin disparaît chaque jour en Belgique.

Nous perdons un savoir-faire unique

Ce n’est pas un secret : ce sont les agriculteurs qui nous nourrissent, directement ou indirectement, quelle que soit la longueur du circuit, qui investissent dans les mises aux normes et changements de réglementation. Ce sont eux qui après avoir tout fait, sans reconnaissance de la société, renoncent. Et avec eux, ce sont les vétérinaires en élevage qui, un à un, jettent l’éponge. Nous perdons ainsi un savoir-faire unique, une expertise scientifique et agricole sans égale, établie sur plus de sept millénaires de culture sédentaire. L’agriculture européenne, la plus ancienne au monde, n’est pas tombée du ciel : elle est le fruit de la Renaissance, de réformes agraires successives qui ont modelé nos paysages et assuré notre indépendance alimentaire. Aujourd’hui, l’Europe, sous la pression d’une économie de service à bout de souffle, peine à renforcer sa Politique Agricole Commune. Les adaptations successives, les coupes, les injonctions contradictoires, tout cela fragilise notre souveraineté alimentaire.

Réduire l’élevage à une simple ligne de production, c’est nier son rôle

Notre époque est tiraillée par des tensions géopolitiques, par la quête effrénée de rentabilité immédiate, par la montée en puissance de nouveaux modes de consommation censés être plus « conscients ». Mais ces discours culpabilisants oublient souvent l’essentiel : réduire l’élevage à une simple ligne de production, c’est nier son rôle écologique, historique et social. Loin d’être un frein, la présence animale dans nos systèmes agricoles est un atout. Les plantes fixatrices d’azote, les rotations de cultures, le fumier qui enrichit les sols, tout cela forme un cercle vertueux, bâti sur la présence des ruminants. Sans eux, l’Europe perdrait l’une de ses principales richesses : sa terre, que l’agriculture entretient depuis plusieurs millénaires. Contrairement à la ville qui artificialise et rend les sols stériles, l’agriculture soigne la terre et la transmet.

Derrière l’étable, ce sont nos choix de société qui se profilent

Alors que faire ? Se résigner ? Certainement pas. Il est temps d’écouter ceux qui, sur le terrain, savent de quoi ils parlent. Il est temps de soutenir celles et ceux qui ont fait de l’élevage une discipline exigeante, rigoureuse et éthique. Il est temps de redonner à nos fermes la capacité de se projeter dans l’avenir, de renforcer nos filières, d’encourager nos vétérinaires à se spécialiser sans craindre pour leur survie économique, et de cesser d’accabler ceux qui produisent notre alimentation.

L’enjeu n’est pas mince : derrière l’étable, ce sont nos choix de société qui se profilent. Voulons-nous conserver une agriculture européenne pérenne, ancrée dans l’histoire, protectrice de nos sols et garante de notre autonomie ? Voulons-nous préserver des générations de savoir-faire, transmettre ce lien intime entre l’animal, le sol, et l’homme ? Ou laissons-nous le champ libre à une dépendance alimentaire, à des terres artificialisées et à la disparition définitive de notre patrimoine agricole ?

S’améliorer, encourager, préserver, valoriser et soutenir

Je crois en la capacité de l’homme à relever ses propres défis. L’agriculture, déjà vertueuse, peut et doit encore s’améliorer. Mais pour cela, nous devons lui donner les moyens de ses ambitions, encourager l’innovation, préserver nos filières, valoriser nos terres et soutenir ceux qui en prennent soin. Nous devons reconnaître que la souveraineté alimentaire est un pilier essentiel de nos démocraties et un fondement de notre stabilité politique, économique et environnementale.

Offrons à nos vétérinaires la fierté de poursuivre leur mission

Je le dis sans détour : l’agriculture européenne devrait être classée à l’Unesco. Préservons-la, redonnons-lui des perspectives, et offrons à nos vétérinaires la fierté de poursuivre leur mission, de soigner, de conseiller, d’accompagner. Le moment est venu de se souvenir que derrière chaque verre de lait, chaque morceau de fromage, chaque tranche de viande, il y a un réseau de compétences, de connaissances, de traditions, et une part de notre humanité.

Léonard Théron,

Vétérinaire, idéaliste, défenseur d’une agriculture européenne soutenue, vivante et durable

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