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Mars, et ça repart!

Dans les almanachs agricoles, l’équinoxe de printemps est un moment de l’année marqué d’enluminures. L’hiver plante ses dernières banderilles dans l’échine des hauts-plateaux ardennais : petites gelées matinales, giboulées, bises glacées… Mais cette fois, il a perdu l’initiative et doit se résoudre à rejoindre son antre, où il rongera son frein jusqu’à fin octobre. C’est tout ce qu’on souhaite ! Bon débarras ! Il ne nous a guère ennuyés, il est vrai, avec seulement deux ou trois jours de neige pour embêter les automobilistes. Mais où sont les hivers d’antan ?

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Ceci dit, cette année, la végétation éprouve des difficultés à démarrer ; les prairies gardent leurs manteaux fauves à peine piquetés de touffes de verdure ; les saules bourgeonnent petitement, sans grande motivation dirait-on. Le soleil reste étrangement froid, comme si quelqu’un l’empêchait de chauffer : encore un coup des Russes ? Je suppose que d’ici peu, l’astre du jour ira régler lui-même son thermostat sur « printemps » ? A-t-il un coup de barre ? Mars, et ça repart !

Je dirais même qu’enfin « ça » démarre, en parlant des agnelages et des naissances à la ferme ! Ces chères matrones n’ont jamais attendu aussi longtemps pour mettre bas, because cette foutue FCO de sinistre mémoire estivale… Les portées sont réduites : une majorité de naissances uniques, quelquefois deux et rarement trois. Plusieurs brebis n’ont pas de lait ! Leur pis est aussi sec que le cœur de Poutine, aussi dysfonctionnel que le cerveau de Trump. On n’est pas encore sorti de l’aubergerie, faut-il se l’avouer ! La vaccination FCO va-t-elle sauver nos élevages ?

Les vaccins sont arrivés, oui-da ! Mieux vaut tard que jamais. Les vétérinaires s’en réjouissent… à moitié, car cette livraison tombe au beau milieu de la saison des vêlages, à l’heure même où les patriciens ruraux achèvent les prises de sang pour l’IBR ! Les règles évoluent, pour lutter contre cette dernière et surtout garder le fonds de commerce des labos de l’Arsia, lesquels risquent bien de se retrouver, un jour pas si lointain, en chômage technique faute de bovins à analyser, tant le cheptel bovin s’étiole d’année en année !

Car cette fin d’hiver coïncide hélas avec beau nombre de cessations en agriculture… Les enfants du baby-boom des années 1950 arrivent en rang serré à l’âge de la retraite. Mauvaise nouvelle pour la caisse des pensions ! La main-d’œuvre agricole vieillit à marche forcée, phénomène naturel et déplorable accompagné d’un faible taux de remplacement : 20, 30 % dans l’optimisme le plus béat… Je me demande si les pouvoirs politiques et syndicaux s’en rendent compte, trop occupés sans doute à se regarder le nombril ?

À la télé pourtant et dans la presse écrite, on découvre régulièrement l’un ou l’autre témoignage convenu d’agriculteurs qui vendent leurs animaux, rattrapés par les réalités de leur santé déclinante. Ces reportages transpirent la nostalgie, pointent du doigt le temps qui passe et l’amour du métier des gens de la terre, le décalage entre le monde agricole et la société moderne. Le message subliminal est clair, qui célèbre la fin inéluctable de la paysannerie, la chronique de sa mort annoncée.

Ah ! Ces braves et bons paysans d’autrefois ! Soumis et bébêtes, rustauds et mal fagotés, peu éduqués mais tellement attachants… La génération d’aujourd’hui répond de moins en moins à cette conception idéalisée : on l’accuse de pratiquer une agriculture intensive, de polluer, de viser les performances économiques plutôt que le rendement écologique et culturel. Bref, les gens nous reprochent d’avoir les mêmes défauts qu’eux, d’essayer de nous en sortir en employant les moyens mis à notre disposition ! Incohérence, quand tu nous tiens !

Le soleil de mars éclabousse ces vérités d’une lumière cruelle, au milieu d’une actualité pas du tout affriolante. Mais qu’à cela ne tienne, demain sera un autre jour ! Le vent va tourner au sud, tôt ou tard, et les terres vont se réchauffer, devenir « amoureuses », prêtes à recevoir les semis de printemps. Les prairies vont reverdir comme chaque année, et le bétail sortira des étables d’ici deux ou trois semaines ; les moutons s’égayeront dans les prés, accompagnés de leurs agneaux. Et la vie poursuivra son cours immuable…

C’est le credo du paysan, lequel sait pertinemment que le bien et le mal finissent souvent par s’équilibrer, qu’après la pluie vient le beau temps et que rien n’arrête la marche des saisons.

Mars, et ça repart !

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