Accueil Voix de la terre

Éleveurs viandeux: sont-ils les vampires des temps modernes?

Il y a eu « Buffy contre les vampires », « The vampire diaries », « Twilight » et tout récemment sur Netflix « A Discovery of Witches ». Nous ne sommes pas à la presse des programmes TV, mais cette dernière m’a inspirée par ses récents choix éditoriaux dans la rubrique agri-bashing.

Temps de lecture : 6 min

Revenons aux vampires. Y a pas photo : les vampires fascinent et en même temps, ils inspirent une peur si puissante qu’ils sont sans cesse voués à se battre pour survivre. Je me suis demandé cette semaine, plantée au milieu de mon étable, si les éleveurs viandeux n’étaient finalement pas les vampires d’aujourd’hui. Il y a de quoi se poser la question, les similarités sont pour le moins assez troublantes. «  Ça ne te fait rien qu’ils partent  ?  ». Combien de fois ne m’a-t-on pas posé cette question en voyant mes agneaux frôler les 40 kg et prêts à partir. À mes débuts en tant qu’agricultrice, j’avais demandé à une amie comment elle gérait ce fameux moment où ses animaux partaient pour l’abattoir. «  Je les remercie, je fais une petite prière et voilà .  ». Je vous l’avoue, je trouvais aussi que le petit «  voilà  » était un peu léger comme conclusion.

Jusqu’à présent, nul n’a encore tenté de m’enfoncer un pieu en plein cœur (encore heureux !) et du côté des crucifix, je suis assez bien protégée puisque même dans les différentes religions, l’agneau est carrément mis sur la table. Reste à survivre aux attaques à l’ail !

Mais prenez garde car en déterrant un plant d’ail de terre, vous adoptez le même geste que les éleveurs viandeux. Il a été démontré via de nombreuses études que le monde végétal est en effet aussi conscient que celui du règne animal. À l’école primaire, chaque enfant s’occupait d’une plante, de la jeune pousse à la floraison. Sur les temps de midi, j’allais près d’elle et je lui parlais. Un jour, mon enseignante m’a surprise et m’a dit «  continue, continue  ! » avec un sourire à peine dissimulé et s’en allait au pas de course cancaner à la salle des profs. Évidemment, j’ai arrêté net, gênée. Mais qu’est-ce qu’elle était belle, c’était La plus belle ! Bon, après elle a fané.

Dans un registre un peu moins nostalgique mais tout aussi véridique, prenons l’exemple des forêts qui à elles seules ont inventé le réseau internet bien avant celui de la Nasa. Appelé par les scientifiques le « Wood wide web », il s’agit d’un immense réseau structuré par les racines et des champignons qui relient les arbres entre eux, créant sous nos pieds un immense réseau d’arbres interconnectés. Lorsqu’un arbre est attaqué par des parasites ou même un cerf venu manger ses bourgeons, il avertit ses voisins feuillus de l’attaque qu’il subit et du danger imminent qui les menace à leur tour. Tout comme dans le règne animal où des animaux poussent des cris pour prévenir du danger imminent, les arbres envoient des pulsions électriques qui vont des branches aux racines interconnectées par des filaments fongiques. En réaction, les arbres avoisinants fabriquent un anticorps sous forme, par exemple, d’un tanin amer, rendant les feuilles immangeables. Le cerf ou le parasite cessera de se nourrir et passera son chemin. Il semblerait qu’il existe aussi de réels liens « interfamiliaux », les mères nourrissant par les racines leurs jeunes plants dont elles reconnaissent l’ADN, trop frêles et trop petits pour capter la lumière nécessaire à la photosynthèse.

Je referme cette immense parenthèse végétale pour signifier que le monde végétal a autant de sensibilité que celui du monde animal. Nous, humains, faisons partie de ce monde du vivant et, qu’on se nourrisse de protéines végétales ou animales, on interrompt indéniablement un cycle de vie. Par conséquent, nous sommes tous coupables de nous nourrir d’autre chose que d’amour et d’eau fraîche, puisque démontré ci-dessus, les protéines végétales ne sont pas une alternative moins barbare aux animales.

À tous ceux qui me poseront encore la question, je leur dis que ce qui est barbare et vampirique, ce sont les fermes-usines, qui renferment des milliers d’animaux gavés au soja, surmédicamentés et dopés aux hormones, dans un air ambiant qui vous brûle les poumons tant il est pollué à l’ammoniac. Mais si l’air vous brûle pendant quelques secondes, est-ce que vous imaginez le calvaire des animaux qui y sont enfermés 24h/24 ? ! Ces fermes-usines traitent les animaux comme des purs biens de consommation, n’ayant pas de grand intérêt à s’inquiéter de leur bien-être. Tout l’inverse de l’esprit et des valeurs de l’agriculteur.

Dans ces conditions, je rejoins ceux qui rêvent que tous les abattoirs ferment leurs portes et que les animaux retrouvent leur liberté. Mais de là à vouloir que tous les élevages soient supprimés, il y a une aberration. C’est une très mauvaise idée car les petites fermes qui élèvent leurs animaux en plein air, sont les défenseurs de première ligne de la protection de l’environnement. Je suis certaine que certains ne l’avaient pas vu venir celle-là, et pourtant, si ! Les prairies dans lesquelles pâturent les animaux ne sont pas traitées avec des pesticides et sont riches en biodiversité. Ces prairies sont parfois le dernier rempart contre les grandes cultures industrielles et de l’urbanisation qui détruisent l’un comme l’autre, la vie du sol et la faune sauvage.

Mis à part la protection de l’environnement qui est en soi une noble cause, l’élevage des animaux dans les fermes à taille humaine fait partie d’un cercle vertueux du fonctionnement de la nature, y compris dans les élevages qui produisent des céréales ou du maraîchage. Ces animaux jouent un rôle essentiel dans l’écosystème global de l’exploitation notamment à travers leurs déjections qui permettent de fertiliser les sols de manière naturelle. Sans ces animaux, il faudrait mettre des engrais chimiques sur les cultures pour que ça pousse. Alors qu’est-ce qui est mieux lorsqu’on a le choix ? Du fumier ou des engrais chimiques ?

Qu’on ne souhaite pas manger de viande, je peux tout à fait le comprendre. L’Homme est doté d’une très grande sensibilité contrairement à la plupart des animaux. J’ai apprivoisé mes brebis mais je peux me « brosser » pour recevoir un geste affectueux lorsque j’ai soigné tout le monde. Idem avec mes poules. Je les aime ces petites poulettes, mais trêve de sentimentalisme. Je ne donne pas cher de ma peau si par malheur je fais un malaise vagal dans le poulailler. Il suffirait de quelques minutes pour que les premiers grignotages ne commencent. Idem avec Gaston le cochon, votre meilleur complice gourmand pour dissimuler un ennemi  ! Quel slogan…

Les éleveurs viandeux sont-ils les vampires des temps modernes ? Non, et je crois surtout qu’on se trompe de débat. La nature est ainsi faite que chaque être vivant, qu’il soit microscopique ou géant, se nourrit juste de ce dont il a besoin pour survivre. Là où tout peut changer, c’est de faire le choix de manger moins de viande et surtout d’être à l’origine de sa nourriture, que ce soit d’ailleurs pour de la viande ou des céréales et ses produits dérivés. Choisir une production locale et issue d’une exploitation qui n’est pas industrielle, c’est participer aux côtés des agriculteurs à la protection de l’environnement dont font partie les animaux, et on a tendance à l’oublier. Nos enfants. Et nous-mêmes.

Valérie Neysen

A lire aussi en Voix de la terre

M.A.M.A.N.

Voix de la terre Ce dimanche 11 mai, nous fêterons les mamans. Pour l’occasion, il me semblait opportun de leur dédier quelques lignes car, une maman, c’est particulier et important et c’est la plus belle mission que l’univers ait daigné m’attribuer même si elle s’avère merveilleusement complexe. Parce qu’en fait, c’est quoi une maman ?
Voir plus d'articles